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11/10/2004 | LUXEMBOURG | N°17881

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 octobre 2004, 17881


Tribunal administratif Numéro 17881 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 avril 2004 Audience publique du 11 octobre 2004 Recours formé par les époux … et consort, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17881 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 avril 2004 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. … …, né le … à Maglaj (Bosnie-

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rzégovine), et de son épouse, Mme … …, née le … à Bocinja (Bosnie-Herzégovine), agissant tant en leur nom...

Tribunal administratif Numéro 17881 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 avril 2004 Audience publique du 11 octobre 2004 Recours formé par les époux … et consort, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17881 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 avril 2004 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. … …, né le … à Maglaj (Bosnie-

Herzégovine), et de son épouse, Mme … …, née le … à Bocinja (Bosnie-Herzégovine), agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leur fille mineure …, tous les trois de nationalité bosniaque, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 6 janvier 2004 rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, telle que cette décision a été confirmée par ledit ministre le 8 mars 2004, suite à un recours gracieux des demandeurs ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 juin 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

Le 3 novembre 2003, M. … … et son épouse, Mme … …, préqualifiés, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leur fille mineure …, et Melle … …, née le … à Doboj (Bosnie-Herzégovine), introduisirent une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, les époux …, de même que leur fille majeure … …, furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Les 25 novembre et 5 décembre 2003, ils furent entendus tous les trois séparément par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur les motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 6 janvier 2004, notifiée par lettre recommandée du 23 janvier 2004 le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté la Bosnie fin octobre 2003 en prenant place dans la camionnette d’un passeur. Vous seriez venus directement au Luxembourg.

Vous avez déposé vos demandes en obtention du statut de réfugié le 3 novembre 2003.

Monsieur, vous exposez que vous auriez quitté votre pays parce que votre maison, à Donji Rakovac aurait été détruite. Votre épouse viendrait, elle, de Bocinja, une ville envahie par les Moudjahiddins, et dans laquelle vous auriez donc peur de vous installer. De plus, votre fille cadette présenterait un problème à la colonne vertébrale et il serait préférable de la faire soigner au Luxembourg. Finalement, la situation serait mauvaise en Bosnie car un parti nationaliste serait au pouvoir.

Vous-même auriez été membre du parti SMSD sans que cela ne vous pose de problèmes.

Madame, vous confirmez la présence des Moudjahiddins dans votre village d’origine.

Vous confirmez aussi les problèmes de santé de votre fille et la situation politique en Bosnie.

Vous craindriez le départ de la SFOR. Vous ajoutez être venue au Luxembourg pour des raisons économiques.

Mademoiselle, vous dites que votre famille vivait dans l’appartement d’un Croate qui aurait voulu récupérer son bien. Vous auriez dû déménager, mais sans savoir où aller puisque votre maison familiale aurait été détruite et que vous auriez eu peur de vivre dans le village de votre mère.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentifs au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Je constate d’abord que, contrairement à vos affirmations, vous, Monsieur et vous, Mademoiselle, étiez en possession de passeports bosniaques et de visas allemands émis par l’Ambassade d’Allemagne à Sarajevo.

Ce mensonge jette évidemment le discrédit sur tout votre récit.

De plus, je note que vous n’aviez aucun problème à Doboj où vous viviez depuis 1995.

Vous, Monsieur, y travailliez comme enseignant et comme apiculteur. Le fait de devoir déménager ne saurait constituer une persécution au sens de la Convention de Genève. Le fait de craindre les Moudjahiddins dans le village de Bocinja, non plus. Quant à la maladie de votre fille, qui se limite par ailleurs à une scoliose, elle peut être soignée dans votre pays d’origine, puisque vous versez à l’appui de votre demande d’asile un certificat médical établi en Bosnie.

Finalement, je remarque que des motifs économiques ne sont pas étrangers à votre demande d’asile.

Je constate qu’aucun des problèmes dont vous faites état ne sauraient constituer un motif suffisant pour obtenir le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève (…) ».

Le 24 février 2004, les époux …, déclarant agir tant en leur nom personnel qu’en celui de leur fille mineure …, formulèrent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux auprès du ministre de la Justice à l’encontre de cette décision ministérielle.

Le 8 mars 2004, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale, « à défaut d’éléments pertinents nouveaux ».

Le 9 avril 2004, les époux …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leur fille mineure …, ont introduit un recours en réformation contre les décisions ministérielles de refus des 6 janvier et 8 mars 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, les demandeurs exposent qu’ils seraient originaires de Bosnie-

Herzégovine et de confession orthodoxe et reprochent au ministre une appréciation erronée des faits et de ne pas en avoir tiré les conséquences qui se seraient imposées. Ils font valoir qu’en raison de leur religion, leur famille et, plus particulièrement, M. …, aurait été confronté à de « graves problèmes de coexistence avec la population de confession musulmane », que la maison d’habitation familiale de M. … aurait été détruite et qu’ils ne pourraient pas se réfugier dans la maison de la famille de Mme …, cette maison étant située dans un village où il y aurait beaucoup de moudjahidins qui risqueraient de s’en prendre à eux.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte qu’ils seraient à débouter de leur recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, ainsi que les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, si l’existence de conflits et de heurts ponctuels entre les communautés orthodoxe et musulmane en Bosnie-Herzégovine est indéniable, il n’en reste pas moins qu’il n’appert du récit des demandeurs ni qu’ils aient été dans une situation particulièrement exposée ayant pu faire naître dans leur chef un sentiment grave d’insécurité au point qu’ils ont pu considérer que leur vie y était devenue intolérable, ni qu’ils n’auraient pas pu rechercher la protection des autorités en place dans leur pays d’origine, respectivement que ces autorités n’auraient pas été en mesure ou n’auraient pas eu la volonté de leur assurer une protection suffisante.

Au contraire, le tribunal constate que les demandeurs ont été principalement mus par des considérations matérielles et économiques respectivement des problèmes de santé, lesquelles, aussi graves et compréhensibles qu’elles puissent être, ne sauraient justifier la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève. Il convient de préciser dans ce contexte que si les demandeurs n’ont pas voulu se reloger dans le village d’origine de l’épouse en raison de leur crainte à l’égard de radicaux musulmans, cet état des choses, même en admettant l’existence d’une crainte raisonnable sous ce rapport, n’est pas à lui seul suffisant pour justifier une impossibilité de trouver refuge sur l’intégralité du territoire de leur pays d’origine, étant rappelé que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib.

adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 45 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, juge et lu à l’audience publique du 11 octobre 2004, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17881
Date de la décision : 11/10/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-10-11;17881 ?

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