La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

06/10/2004 | LUXEMBOURG | N°17953

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 octobre 2004, 17953


Tribunal administratif N° 17953 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 avril 2004 Audience publique du 6 octobre 2004 Recours formé par les époux … et … et consort, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

_____________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17953 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 avril 2004 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembou

rg, au nom de Monsieur …, né le … (Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-montén...

Tribunal administratif N° 17953 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 avril 2004 Audience publique du 6 octobre 2004 Recours formé par les époux … et … et consort, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

_____________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17953 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 avril 2004 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, de son épouse, Madame …, née le … (Albanie), de nationalité albanaise, et de leur enfant mineur … …, né le…, de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 22 mars 2004, par laquelle leur demande tendant à la reconnaissance du statut de réfugié a été rejetée comme non fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 juin 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRÜCK en sa plaidoirie à l’audience publique du 4 octobre 2004.

En date du 27 octobre 2003, les époux … et … introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Ils furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

En date des 9 décembre 2003 et 3 mars 2004, ils furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 22 mars 2004, leur notifiée par voie de courrier recommandé expédié en date du 29 mars 2004, le ministre de la Justice les informa de ce que leur demande avait été rejetée au motif que qu’ils n’allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans leur chef.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 23 avril 2004, les époux … et … ont fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle prévisée du 22 mars 2004.

A l’appui de leur recours les demandeurs concluent d’abord à une violation de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en ce que la décision litigieuse ne mentionnerait ni la présence d’un traducteur lors de leurs auditions ni que le contenu de la décision leur ait été traduit ; quant au fond ils estiment remplir les conditions pour bénéficier du statut de réfugié.

Le délégué du Gouvernement soulève à titre principal l’irrecevabilité du recours subsidiaire en annulation ; quant au fond, il conclut au bien-fondé de la décision litigieuse.

La procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite, le fait que l’avocat constitué pour un demandeur n’est ni présent, ni représenté à l’audience de plaidoiries, est indifférent. Comme les demandeurs ont pris position par écrit par le fait de déposer leur requête introductive d’instance, le jugement est contradictoire entre parties.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise, de sorte que le recours en annulation, formulé à titre subsidiaire, est irrecevable.

Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

En ce qui concerne le moyen soulevé par les demandeurs relatif à l’absence de traduction de la décision déférée en une langue par eux compréhensible, il échet de souligner à cet égard que le français est l’une des trois langues officielles du Grand-

Duché en matière administrative, contentieuse ou non contentieuse, ainsi qu’en matière judiciaire, et qu’il n’existe aucun texte de loi spécial obligeant le ministre de la Justice à faire traduire ses décisions dans une langue compréhensible pour le destinataire (cf. trib. adm. 12 mars 1997, n° 9679 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 19 et autres références y citées).

Cette conclusion ne saurait être énervée par la référence vague et non autrement explicitée à l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.

Le tribunal tient par ailleurs à souligner que la rédaction d’une décision administrative ne saurait en particulier être un motif d’annulation, lorsque les demandeurs, comme en l’espèce, sont secondés par un conseil juridique, qui de surcroît a assisté à leurs auditions, et dont les connaissances de la langue française ne sauraient être mises en doute, de sorte qu’il aurait dû à tout le moins être possible au conseil juridique en question de traduire la décision à ses mandants.

Le fait que les demandeurs ont introduit un recours contre la décision litigieuse en en critiquant la motivation atteste par ailleurs à suffisance qu’ils ne sont pas mépris sur la portée et le contenu de cette décision.

Il en résulte que le moyen des demandeurs relatif à l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme est à rejeter.

Les demandeurs reprochent encore à la décision de ne pas indiquer la présence d’un traducteur lors de leurs auditions.

Il y lieu de relever à ce sujet qu’outre le fait qu’aucune disposition légale ou réglementaire n’impose la mention formelle sur la décision que le demandeur d’asile ait bénéficié ou non de l’assistance d’un traducteur à l’occasion de ses auditions, une lecture même superficielle du rapport d’audition permet de constater que les demandeurs ont été chaque fois assistés par un interprète lors de leurs auditions par les services du ministère de la Justice, seules auditions d’ailleurs prévues par la loi, de sorte que ce moyen est à rejeter.

Quant au fond, il y a lieu de rappeler que l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions et des pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Il résulte en effet des déclarations du demandeur …, telles que relatées dans les rapports d’audition des 9 décembre 2003 et 3 mars 2004, que celui-ci prétend avoir participé à la libération du Kosovo au sein de l’UCK et être membre du parti politique LDK depuis 2000. Il relate que son frère, qui serait également membre du LDK, aurait été battu au cours de l’année 2003 par des militants du parti PDK pour le contraindre à quitter le LDK.

Lui-même aurait fait l’objet de menaces de la part d’inconnus en 1999 afin qu’il cesse ses activités pour le parti LDK.

Le tribunal constate que les persécutions dont fait état le demandeur remontent à l’année 1999, et que depuis cette date là, le demandeur, selon ses propres dires, a cessé toute activité politique (« je n’ai plus rien fait pour le LDK à partir de ce moment là. Mon grand frère a continué et moi, je ne me suis plus occupé de rien »).

En ce qui concerne les menaces adressées à son frère, qui d’ailleurs se rapportent uniquement aux activités politiques de ce dernier, et qui ne concernent dès lors pas directement le demandeur, le tribunal retient que ce dernier a quitté le Kosovo et se trouve actuellement également au Grand-Duché de Luxembourg.

Enfin, le tribunal relève que le demandeur a résidé de mai à juillet 2003 en Suède, et qu’il ne fait état d’aucune menace ou risque de persécution subis suite à son retour au Kosovo en juillet 2003. Interrogé sur ses craintes de persécution, le demandeur répond de manière vague : « j’ai peur de ces différents groupes criminels.

On nous a persécuté avant et après la guerre ».

Il en résulte que les craintes dont le demandeur fait état s’analysent en substance en un sentiment général d’insécurité : s’il vit certes dans un état généralisé de peur, il n’a pas fait l’objet de persécutions spécifiques et récentes laissant supposer un danger direct pour sa personne.

A cela s’ajoute que le demandeur n’a pas démontré que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables de lui assurer un niveau de protection suffisant, étant entendu qu’il n’a pas fait état d’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités en place, les allégations d’ordre général relatives à l’incapacité des autorités pour assurer sa protection n’étant pas pertinentes à cet égard.

En ce qui concerne la demanderesse, Madame …, le tribunal constate qu’elle ne fait état d’aucune persécution ou de risque de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, mais de menaces de mort de la part de sa famille, qui n’aurait pas accepté qu’elle épouse son actuel mari, étant donné qu’elle aurait d’ores et déjà été vendue à un « trafiquant » albanais.

Il en résulte que la crainte invoquée par la demanderesse à l’appui du recours est au contraire exclusivement d’ordre privé en ce qu’elle se dégage directement d’un différend avec sa famille. La demanderesse n’a dès lors pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef.

Il résulte des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, déclare le recours en réformation non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 6 octobre 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17953
Date de la décision : 06/10/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-10-06;17953 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award