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06/10/2004 | LUXEMBOURG | N°17872

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 octobre 2004, 17872


Tribunal administratif N° 17872 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 avril 2004 Audience publique du 6 octobre 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17872 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 avril 2004 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuelle

ment à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 19 janvi...

Tribunal administratif N° 17872 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 avril 2004 Audience publique du 6 octobre 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17872 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 avril 2004 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 19 janvier 2004 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 8 mars 2004 prise sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 juin 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 27 septembre 2004.

Monsieur … introduisit en date du 23 septembre 2003 une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur son identité.

Il fut entendu le 4 décembre 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur … par décision du 19 janvier 2004, lui envoyée par courrier recommandé en date du 26 janvier 2004, de ce que sa demande a été refusée comme non fondée au motif qu’aucune de ses assertions ne saurait fonder une crainte de persécution entrant dans le cadre de l’article 1er, A, § 2 de la Convention de Genève.

Le 19 février 2004, Monsieur … fit introduire un recours gracieux à l’encontre de cette décision.

Le ministre de la Justice confirma sa décision antérieure par une décision prise en date du 8 mars 2004.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 avril 2004, Monsieur … a fait déposer un recours en réformation à l’encontre des deux décisions ministérielles de refus des 19 janvier et 8 mars 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le tribunal est compétent pour l’analyser. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur expose être originaire du Kosovo, de confession musulmane, ainsi qu’appartenir à la minorité des « Bochniaques ». Il expose qu’il aurait été la victime de nombreuses menaces et agressions à cause de son origine bochniaque. Il estime que sa situation personnelle serait telle qu’il lui serait impossible de vivre au Kosovo en tant que membre d’une minorité, étant donné que les autorités en place ne sembleraient pas en mesure d’empêcher les exactions dont seraient victimes les membres des minorités. Il conclu qu’on ne saurait parler d’une quelconque stabilisation de la situation et renvoie à ce titre aux récents rapports et positions de l’UNHCR.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours sous analyse laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Le demandeur, agriculteur, n’appartenant à aucun parti politique, fait seulement état de deux événements isolés, l’un datant de 1999 déjà où il se serait fait voler sa voiture et l’autre de 2002 au cours duquel un groupe non identifié de personnes seraient entrés dans sa cour et auraient tiré en l’air. Pour le surplus il relate que ses problèmes se sont concentrés autour de 1999 et 2000 et il ne peut pas « dire que ce n’est pas un peu plus calme, mais cela sont des choses qui s’accumulent peu à peu jusqu’à ce que on ne peut plus supporter. Je ne peux pas dire que tous les Albanais sont mauvais. J’ai eu des bons voisins. La situation est telle qu’après 6 heures du soir on n’ose plus sortir dehors, d’ailleurs la journée non plus. ».

Force est dès lors de retenir que l’examen des déclarations faites par le demandeurs lors de son audition, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Concernant la crainte générale exprimée par le demandeur d’actes de persécution de la part d’Albanais du Kosovo à son encontre en raison de son appartenance à la minorité bochniaque, force est de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Bochniaques, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, le demandeur risque de subir des persécutions.

A cet égard, il y a lieu de constater que suivant la version actualisée du rapport de l’UNHCR datant de juin 2004 sur la situation des minorités au Kosovo, la situation de sécurité générale des Bochniaques pendant la période observée s’étalant entre janvier 2003 et le 15 mars 2004 est restée stable. Ainsi il est relaté que “As in the previous reporting period, the security situation of Kosovo Bosniaks, especially in Prizren region where the vast majority of the community lives, remained stable with no major ethnically motivated incidents. However, there were still sporadic incidents involving Bosniak victims, especially when exercising freedom of movement1” et encore: “Despite relaxation of inter-ethnic relations, Bosniaks informed that they did not sense a significant change in their overall situation in Kosovo. The communities invariably continued to raise concerns over lack of economic opportunity and discrimination in accessing public and private sector employment. Bosniak families continued to sell their properties in Peje/Pec and Prizren regions and depart for Bosnia-Herzegovina or Western Europe. The improvement in security and freedom of movement could not stave off departures, which are mainly due to perceived lack of future prospects in Kosovo2”.

En ce qui concerne leur situation après les récents incidents ayant eu lieu entre le 15 et le 19 mars 2004, force est de constater que les Bochniaques n’étaient pas la cible directe des affrontements. En effet il est relaté dans la troisième partie du rapport intitulé « Situation of minority groups by region in light of the turmoil in march 2004 » que « Kosovo Serbs were the primary target of inter-ethnic violence. … Finally, whereas Bosniaks and Gorani did not become a direct target of the violence, in some locations they left sufficiently at risk that they opted for precautionary movements, or where evacuated by police, to safer places3 et encore «The few Bosniaks and Gorani who were displaced during the mid-March unrest have returned to their home communities.

Returnees and remainees have resumed the same levels of freedoms they enjoyed prior to the events. Nevertheless and for reasons stated in other parts of this update, it is important to underline the continued and accrued vulnerability of these communities in the event of new violence. Likewise all other ethnic minorities in Kosovo, the Bosniaks and Gorani have now an increased level of fear and their confidence in existing security systems has been subject to the same erosion as other groups4».

Face à l’évolution somme toute positive ainsi tracée de la situation de la minorité bochniaque, malgré l’installation d’un sentiment général d’insécurité suite aux événements ayants eu lieu en mars 2004, les éléments invoqués par le demandeur ne peuvent être considérés comme fondant une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève. A cela s’ajoute que les persécutions mises en avant par le demandeur émanent de personnes privées et non pas de l’Etat, de sorte qu’il lui appartient de mettre suffisamment en évidence un défaut de protection de la part des autorités, preuve qu’il n’a pas rapportée en l’espèce, étant entendu qu’il n’a pas fait état d’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection dans son chef de la part des autorités en place.

1 UPDATE ON THE KOSOVO ROMA, ASHKAELIA, EGYPTIAN, SERB, BOSNIAK, GORANI AND ALBANIAN COMMUNITIES IN A MINORITY SITUATION, UNHCR Kosovo, June 2004, p. 24.

2 UPDATE ON THE KOSOVO ROMA, ASHKAELIA, EGYPTIAN, SERB, BOSNIAK, GORANI AND ALBANIAN COMMUNITIES IN A MINORITY SITUATION, UNHCR Kosovo, June 2004, p. 25.

3 UPDATE ON THE KOSOVO ROMA, ASHKAELIA, EGYPTIAN, SERB, BOSNIAK, GORANI AND ALBANIAN COMMUNITIES IN A MINORITY SITUATION, UNHCR Kosovo, June 2004, p. 31 et 32.

4 UPDATE ON THE KOSOVO ROMA, ASHKAELIA, EGYPTIAN, SERB, BOSNIAK, GORANI AND ALBANIAN COMMUNITIES IN A MINORITY SITUATION, UNHCR Kosovo, June 2004, p. 46.

De tout ce qui précède, il résulte que les craintes dont le demandeur fait état s’analysent en substance en un sentiment général d’insécurité lequel ne saurait fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, de sorte que le recours laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 6 octobre 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17872
Date de la décision : 06/10/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-10-06;17872 ?

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