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27/09/2004 | LUXEMBOURG | N°18089

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 septembre 2004, 18089


Tribunal administratif N° 18089 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 mai 2004 Audience publique du 27 septembre 2004 Recours formé par les époux … et … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière d'autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18089 du rôle et déposée le 21 mai 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Lux

embourg, au nom de Monsieur … et de son épouse, Madame …, ainsi que de leurs trois enfants ...

Tribunal administratif N° 18089 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 mai 2004 Audience publique du 27 septembre 2004 Recours formé par les époux … et … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière d'autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18089 du rôle et déposée le 21 mai 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … et de son épouse, Madame …, ainsi que de leurs trois enfants mineurs …, …, et …, tous de nationalité serbo-monténégrine, ayant demeuré ensemble à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d'une décision ministérielle implicite portant rejet de leur demande en obtention du statut de tolérance formée le 8 avril 2004, ainsi que d'une décision du ministre de la Justice, sinon du ministre de la Famille, leur communiquée le 18 mai 2004 par le commissariat du gouvernement aux étrangers, portant information que leur rapatriement vers leur pays d'origine est fixé au samedi, 29 mai 2004 à 12.30 heures, par avion spécial à destination de Podgorica ;

Vu l’ordonnance du président du tribunal administratif du 25 mai 2004 ayant débouté les époux … et … ainsi que leurs enfants de leur demande tendant principalement au sursis à exécution des décisions ministérielles précitées et subsidiairement à l'institution d'une mesure de sauvegarde ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 juin 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé le 5 juillet 2004 au greffe du tribunal administratif en nom et pour compte des demandeurs ;

Vu les pièces versées au dossier ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Virginie VERDANET, en remplacement de Maître François MOYSE, et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 20 septembre 2004.

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A l’issue d’une procédure tendant à l’obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés qui s’est soldée par une décision négative définitive, les époux … et …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs… , … et …, se plaignant de problèmes de santé se manifestant par une dépression grave et d'un état d'anxiété profond, liés à la crainte de devoir retourner dans son pays d'origine dont souffrirait Monsieur …, se sont adressés au ministre de la Justice par courrier de leur mandataire datant du 8 avril 2004 pour solliciter le bénéfice du statut de tolérance provisoire sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg par application des dispositions de l’article 13 (3) et suivants de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire.

Dans un courrier subséquent du 15 avril 2004, ils ont encore fait état de ce qu'ils avaient été convoqués la veille pour se faire informer que leur rapatriement aurait lieu sous peu. Ils y ont insisté sur l'état de santé fragile de Monsieur … ainsi que sur celui du fils …, âgé de 14 ans, qui souffrirait de troubles du sommeil et d'énurésies nocturnes, soulignant qu'à leur avis, un rapatriement serait contraire à l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme comme constituant un traitement inhumain et dégradant.

En date du 18 mai 2004, les consorts …-… furent informés que leur rapatriement dans leur pays d’origine avait été fixé au samedi 29 mai 2004 à 12.30 heures par avion spécial à destination de Podgorica.

N'ayant pas reçu de réponse à leur demande en obtention du statut de tolérance, les consorts …-… ont introduit, par requête déposée le 21 mai 2004, un recours en réformation sinon en annulation contre les décisions implicite de rejet dudit statut ainsi que de rapatriement prévu pour le 29 mai 2004 et par requête déposée le même jour, ils ont sollicité le sursis à exécution des décisions critiquées, sinon l'institution d'une mesure de sauvegarde consistant dans l'autorisation de rester au pays en attendant la solution du recours au fond.

Par ordonnance du 25 mai 2004, le président du tribunal administratif a débouté les consorts …-… de leur demande tendant principalement au sursis à exécution des décisions ministérielles précitées et subsidiairement à l'institution d'une mesure de sauvegarde.

A l’appui de leur recours au fond les demandeurs font exposer, entre autres, qu'il serait établi, certificats médicaux à l'appui, qu'en cas de retour forcé, l'état psychique de Monsieur … et celui de son fils risquent d'empirer et qu'il serait indispensable qu'ils puissent continuer à bénéficier d'un traitement médical approprié au Luxembourg, un tel traitement n'étant actuellement pas possible dans leur pays d'origine. Un renvoi vers leur pays d'origine dans ces conditions constituerait un traitement inhumain et dégradant.

Les demandeurs invoquent par ailleurs l'absence de motivation des décisions déférées en violation des règles de la procédure administrative non contentieuse et des droits de la défense.

Ils estiment ensuite que l'exécution de la décision serait contraire à l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme en ce qu'elle serait à considérer, vu l'état dans lequel se trouvent Monsieur … et son fils, comme traitement inhumain et dégradant, étant donné qu'une expulsion ne saurait avoir lieu s'il est établi qu'en cas de retour dans son pays d'origine, l'intégrité physique ou la vie de l'étranger sont menacées.

Le délégué du Gouvernement soulève de prime abord l’irrecevabilité du recours en réformation, un tel recours n’étant pas spécifiquement prévu en la matière par un texte de loi, ainsi que l’irrecevabilité faute d’objet du recours en annulation, les demandeurs ayant d’ores et déjà fait l’objet d’un rapatriement.

1.

En ce qui concerne le vice de motivation des décisions déférées :

Concernant le moyen d’annulation tiré de l’absence de motivation, il est vrai qu’en vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux et elle doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle refuse de faire droit à la demande de l’intéressé.

Cependant la sanction de l’obligation de motiver une décision administrative consiste dans la suspension des délais de recours. La décision reste cependant valable, et l’administration peut produire ou compléter ses motifs postérieurement et même pour la première fois en cours d’instance.

Etant donné qu’en l’espèce, le délégué du Gouvernement a utilement motivé les décisions ministérielles déférées en cours de procédure contentieuse, le moyen relatif à l’absence de motivation des décisions est à rejeter comme étant non fondé.

2.

En ce qui concerne la décision ministérielle implicite portant rejet de la demande en obtention du statut de tolérance :

Aucun recours au fond n’étant prévu en la matière du statut de tolérance tel que prévu par les articles 13 (3) et suivants de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée, seul un recours en annulation a pu être introduit à l’encontre de la décision déférée, de sorte que le tribunal n’est pas compétent pour connaître de la demande principale en réformation.

En ce qui concerne le recours en annulation introduit à l’encontre de la décision ministérielle implicite portant rejet de la demande des consorts …-… en obtention du statut de tolérance formée le 8 avril 2004, il y a lieu de rappeler que l’article 4 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif dispose que « dans les affaires contentieuses qui ne peuvent être introduites devant le tribunal administratif que sous forme de recours contre une décision administrative, lorsqu’un délai de trois mois s’est écoulé sans qu’il soit intervenu aucune décision, les parties intéressées peuvent considérer leur demande comme rejetée et se pourvoir devant le tribunal administratif ».

La recevabilité d’un recours introduit sur base de l’article 4 (1) précité s’analyse au jour du dépôt de la requête au greffe du tribunal administratif ; en l’espèce, la demande en obtention du statut de tolérance a été introduite en date du 8 avril 2004 auprès du ministre de la Justice, de sorte qu’à la date de l’introduction du recours sous analyse - 21 mai 2004 - le délai de trois mois prévu par l’article 4 (1) précité n’était pas écoulé, de sorte que les demandeurs n’étaient a priori pas, à la date d’introduction du recours, en présence d’une décision implicite de rejet telle que prévue par la fiction inscrite au prédit article 4 (1).

Le tribunal est cependant amené à retenir, au vu des circonstances particulières du cas d’espèce, que les demandeurs, du fait de leur convocation en date du 16 avril 2004 par le ministère de la Justice en vue de déterminer les modalités pratiques de leur rapatriement, ainsi que du fait de la décision subséquente d’éloignement leur notifiée oralement en date du 18 mai 2004 par le commissariat du gouvernement aux étrangers, mesures incompatibles avec une hypothétique décision de leur accorder le statut de tolérance, se trouvaient en date du 18 mai 2004 confrontés à une décision implicite excluant de facto l’octroi du statut de tolérance.

En d’autres termes, il résulte de ces circonstances particulières, desquelles se dégage sans ambiguïté la volonté du ministre de la Justice de ne pas leur accorder le statut de tolérance, que les demandeurs se trouvaient bien, à la date d’introduction du recours, en présence d’une décision de rejet de la demande en obtention du statut de tolérance, certes implicite, mais néanmoins matérialisée par des mesures concrètes, de sorte que le recours, par ailleurs introduit dans les formes de la loi, doit être déclaré recevable.

Quant au fond, le délégué du Gouvernement estime que la décision litigieuse serait légalement motivée en ce que les demandeurs n’établiraient pas l’existence d’une circonstance de fait empêchant leur rapatriement. Il précise que le statut de tolérance ne serait accordé que dans des cas exceptionnels se limitant à des cas de grossesses avancées ou de maladies graves pour lesquelles tout transport de la personne concernée serait impossible. Dans ce contexte, le délégué du Gouvernement fait valoir que non seulement il ne ressortirait pas du dossier que les demandeurs présenteraient de pathologie médicale empêchant leur rapatriement, mais relève encore que leur rapatriement par avion aurait été exécuté sans problèmes en date du 29 mai 2004, ce qui écarterait l’argument d’une impossibilité matérielle afférente.

Au titre de l’article 13, alinéa 1er de la loi précitée du 3 avril 1996, lorsque le statut de réfugié a été refusé, le demandeur d’asile sera éloigné du territoire en conformité avec les dispositions de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1.

l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main-d’œuvre étrangère et l’alinéa 3 du prédit article prévoit une exception à ce principe « si l’exécution matérielle de l’éloignement s’avère impossible en raison de circonstances de fait, le ministre de la Justice peut décider de le tolérer provisoirement sur le territoire jusqu’au moment où ces circonstances de fait auront cessé ».

S’il est dès lors vrai que la maladie d’un demandeur d’asile débouté et la qualité des soins médicaux dans son pays d’origine sont, le cas échéant, susceptibles de constituer une circonstance de fait rendant l’exécution matérielle d’un éloignement impossible et, par conséquent, de nature à justifier que l’intéressé soit admis à demeurer sur le territoire luxembourgeois jusqu’au moment où la circonstance de fait aura cessé, force est de constater qu’en l’espèce, le ministre de la Justice n’a pas méconnu l’article 13 (3) de la loi précitée du 3 avril 1996, étant donné qu’il ne ressort d’aucun élément de preuve tangible qu’il serait impossible d’assurer les soins requis par Monsieur … et son fils dans leur pays d’origine, soins d’ailleurs apparemment essentiellement limités à la prise d’anti-dépresseurs, dans la mesure où il ressort d’un avis dressé à la suite d’un contrôle médical effectué en date du 19 avril 2004 dans le cadre de la procédure de rapatriement par un médecin de l’administration du contrôle médical de la sécurité sociale par examen des certificats médicaux établis par divers médecins ayant traité Monsieur … et son fils, qu’ils ne présentent pas de pathologie empêchant leur rapatriement.

Il suit des considérations qui précèdent que la décision ministérielle est légalement fondée et que les demandeurs sont à débouter de leur recours.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’affirmation que le rapatriement des demandeurs les exposerait à des traitements contraires à l'article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

En effet les demandeurs restent en défaut de faire état d’un tel danger, mais se contentent de faire état de l'état psychique personnel de Monsieur … et de son fils et du risque, non autrement établi, de ne pas pouvoir bénéficier, dans leur pays d'origine, d'un traitement médical adéquat, de sorte que dans ces conditions, un renvoi dans leur pays d'origine ne saurait être qualifié de traitement inhumain ou dégradant.

3.

En ce qui concerne la décision du 18 mai 2004 informant les demandeurs des date et modalités de leur rapatriement :

A titre préliminaire, le tribunal retient que la décision orale déférée, communiquée aux demandeurs en date du 18 mai 2004 et par laquelle ils furent informés que leur rapatriement dans leur pays d’origine était fixé au samedi, 29 mai 2004, s’analyse en mesure d’éloignement au sens de l’article 13 de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée, qui relevait à l’époque de la compétence du ministre de la Justice, de manière qu’aucune décision du ministre de la Famille n’est en l’espèce déférée.

Comme relevé ci-avant, l’article 13, alinéa 1er de la loi précitée du 3 avril 1996 prévoit que lorsque le statut de réfugié a été refusé, le demandeur d’asile sera éloigné du territoire en conformité avec les dispositions de la loi modifiée du 28 mars 1972, à moins qu’il ne puisse bénéficier du statut de tolérance prévu à l’alinéa 3 du même article.

Or non seulement il résulte des considérations qui précèdent que le ministre a valablement pu refuser le statut de tolérance sollicité par les demandeurs, de sorte que les demandeurs se trouvent en situation irrégulière sur le territoire luxembourgeois, mais les demandeurs restent encore en défaut d’établir, voire seulement d’alléguer un quelconque motif, distinct de la question de l’obtention du statut de tolérance, susceptible de tenir en échec leur éloignement par application de la loi modifiée du 28 mars 1972.

Il suit des considérations qui précèdent que la décision ministérielle d’éloignement est légalement fondée, de sorte que les demandeurs sont également à débouter sur ce point de leur recours.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 27 septembre 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18089
Date de la décision : 27/09/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-09-27;18089 ?

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