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27/09/2004 | LUXEMBOURG | N°17688

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 septembre 2004, 17688


Tribunal administratif N° 17688 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 mars 2004 Audience publique du 27 septembre 2004

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Recours formé par Monsieur … et consort, … contre une décision du ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative en matière d’allocation de famille

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 17688 et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 mars 2004 par Maître Albert RODESCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'O

rdre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, instituteur, et de Mme …, sans état particulier, les ...

Tribunal administratif N° 17688 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 mars 2004 Audience publique du 27 septembre 2004

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Recours formé par Monsieur … et consort, … contre une décision du ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative en matière d’allocation de famille

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 17688 et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 mars 2004 par Maître Albert RODESCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, instituteur, et de Mme …, sans état particulier, les deux demeurant ensemble à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative du 4 décembre 2003 refusant de faire droit à une demande formulée par M. … tendant à l’obtention d’une allocation de famille ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement le 29 avril 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé en date du 28 mai 2004 au greffe du tribunal administratif en nom et pour compte des demandeurs ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement le 25 juin 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Pascale PETOUD, en remplacement de Maître Albert RODESCH, et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Par lettre du 19 novembre 2003, le mandataire de M. … et de Mme … s’adressa au ministre de la Fonction publique et de la réforme administrative dans les termes suivants :

« Monsieur le Ministre, Je suis le conseil de Monsieur …, instituteur (…) et de Madame …, mère au foyer (…), les deux demeurant ensemble à L-….

Mes mandants sont les parents naturels de leurs enfants Julie et Laurie, nées le 8 juillet 2001.

Madame … avait touché l’allocation de famille instituée par la loi modifiée du 22 juin 1963 fixant le régime des traitements des fonctionnaires de l’Etat jusqu’au mois d’octobre 2001 inclusivement, alors que jusqu’à cette date elle exerçait comme institutrice primaire auprès de la commune de Beckerich.

Depuis cette date, l’allocation ne fut plus payée, ni à elle-même, en congé parental suivi d’un congé sans traitement, ni à Monsieur ….

Lorsque mes mandants ont réclamé le paiement de l’allocation d’éducation rétroactivement au nom de Monsieur … à partir du mois de novembre 2001, il leur fut répondu qu’ils n’y avaient pas droit en raison du libellé de l’article 9.3.b 1er tiret, dans la mesure où Monsieur … ne touchait pas les allocations familiales pour ces enfants. (Les allocations familiales sont payées à Madame …) Je vous prie de me faire parvenir une décision formelle susceptible d’un recours judiciaire.

J’estime en effet que cette décision constituerait une violation de l’égalité des citoyens devant la loi et contiendrait une discrimination à l’égard des enfants dits « naturels » par rapport aux enfants dits « légitimes ».

Dans une situation identique, mais où mes mandants auraient été mariés, ils auraient en effet touché l’allocation de famille indépendamment de la question de savoir auquel des deux parents étaient payées les allocations familiales.

S’agissant d’une question de principe, je vous saurais dès lors gré de bien vouloir reconsidérer la situation.

Pour des raisons de preuve, la présente lettre vous est transmise par courrier recommandé.

Veuillez agréer (…) ».

Par lettre du 4 décembre 2003, le ministre de la Fonction publique et de la réforme administrative prit position comme suit :

« En réponse à votre courrier du 19 novembre 2003, j’ai l’honneur de vous faire parvenir la prise de position du Ministère de la Fonction Publique et de la Réforme Administrative relative à l’objet sous rubrique.

Dans votre lettre du 19 novembre 2003 précitée, vous m’exposez la situation de vos mandants, Madame … et Monsieur …, instituteurs et parents naturels des filles Julie et Laurie, nées en date du 8 juillet 2001. Vous relevez que la mère a perçu l’allocation de famille après la naissance des deux filles et qu’elle a cessé de la percevoir à la fin de son congé de maternité. Vous me signalez encore que lorsque le père a demandé l’allocation de famille, celle-ci lui a été refusée avec l’argument qu’il ne percevait pas les allocations familiales.

L’article 9.3 de la loi modifiée du 22 juin 1963 fixant le régime des traitements des fonctionnaires de l’Etat dispose :

« 3. A droit à l’allocation de famille :

a) le fonctionnaire marié, non séparé de corps ;

b) le fonctionnaire veuf, séparé de corps judiciairement ou divorcé ainsi que le fonctionnaire célibataire :

-

s’il a ou s’il a eu un ou plusieurs enfants à charge. Est considéré comme enfant à charge au sens de la présente disposition l’enfant légitime, l’enfant naturel reconnu ou l’enfant adoptif du fonctionnaire, pour lesquels il touche ou a touché les allocations familiales ;

-

… » Il s’ensuit que l’Administration a fait une correcte application de ce texte dans la mesure où Monsieur François … [sic] n’est pas à considérer, comme vous le reconnaissez vous-même, comme fonctionnaire ayant ou ayant eu des enfants à charge au sens de la disposition précitée.

En ce qui concerne le principe de l’égalité devant la loi, permettez-moi de ne pas partager votre analyse à ce sujet.

La jurisprudence, de la Cour constitutionnelle notamment (Cour constitutionnelle, arrêt 2/1998 du 13 novembre 1998, Mémorial A N° 102 du 8.12.98, p. 2499), considère que le principe de l’égalité devant la loi ne s’entend pas dans un sens absolu, mais requiert que tous ceux qui se trouvent dans la même situation de fait et de droit soient traités de la même façon.

Or, vos mandants ne se trouvent pas dans la même situation de fait et de droit qu’un couple marié, ce qui n’empêche pas qu’ils aient néanmoins droit à l’allocation de famille sous réserve de remplir certaines conditions. Que ces conditions soient différentes des conditions qui sont valables pour les parents mariés ne constitue pas une discrimination, mais une nécessité afin de garantir que la finalité de l’allocation de famille soit respectée, à savoir qu’elle soit utilisée pour les besoins du ménage.

J’ajoute que Monsieur … pourra toucher l’allocation de famille s’il touche les allocations familiales, respectivement s’il les a touchées. Je proposerais donc à vos mandants, afin d’éviter un litige dans la présente affaire, d’introduire une demande auprès de la Caisse nationale des prestations familiales afin que les allocations familiales soient dorénavant versées à Monsieur …, ce qui lui permettra également de toucher l’allocation de famille.

Si vos mandants entendent cependant persister dans la voie contentieuse, je vous confirme, conformément à votre demande, que je refuse d’allouer l’allocation de famille à Monsieur … en l’état actuel du dossier. Je vous prierais également de noter que la perception des allocations familiales par Monsieur … n’aura pas d’effets rétroactifs sur ses droits quant à l’allocation de famille à percevoir de la part de l’Etat.

Vos mandants disposent d’un recours en réformation contre la présente décision à exercer par ministère d’avocat à la Cour devant le Tribunal administratif dans un délai de trois mois à partir de la notification, conformément aux prescriptions de l’article 26 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat.

Veuillez agréer (…) ».

Par requête déposée le 3 mars 2004, M. … et Mme … ont introduit un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 4 décembre 2003.

Un recours au fond étant prévu en la présente matière, s’agissant d’un litige relatif à la perception d’un accessoire au traitement des fonctionnaires de l’Etat, par l’article 26 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, ci-après dénommée le « statut général », le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable.

En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Le recours en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Les demandeurs soutiennent en premier lieu que le refus de l’allocation sollicitée par M. … et partant l’application stricte de l’article 9.3. b) de la loi modifiée du 22 juin 1963 fixant le régime des traitements des fonctionnaires de l’Etat impliquerait une « discrimination entre enfant légitime et enfant naturel dans la mesure où bien qu’ayant des parents vivant en concubinage dans les mêmes conditions qu’un couple marié, les enfants des requérants, du fait de leur situation d’enfants naturels, ne peuvent ouvrir droit à l’allocation de famille », pareil traitement différencié étant contraire à l’article « 11 (2) » de la Constitution et l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme pour ne pas être objectivement et raisonnablement justifié.

En second lieu, les demandeurs soulèvent une discrimination entre homme et femme.

Ils soutiennent que la loi, en subordonnant le bénéfice de l’allocation de famille à la perception des allocations familiales, aboutirait en pratique à créer une discrimination entre le fonctionnaire célibataire masculin, qui dans la plupart des cas ne serait pas bénéficiaire des allocations familiales, et le fonctionnaire célibataire féminin, qui dans la plupart des cas en bénéficierait, « alors que ces personnes vivant en concubinage ont la charge effective des enfants ».

Sur ce, les demandeurs sollicitent la réformation de la décision litigieuse et l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 2.000.- euros sur base de l’article 240 du Nouveau code de procédure civile.

Le délégué du gouvernement soutient que les dispositions légales claires et nullement discriminatoires auraient été correctement appliquées et il insiste spécialement sur ce qu’en vertu de l’article 5 de la loi modifiée du 19 juin 1985 concernant les allocations familiales et portant création de la caisse nationale des prestations familiales « les allocations …sont versées aux parents si l’enfant est élevé dans leur ménage » et que « les parents désignent librement celui d’entre eux entre les mains duquel le paiement doit se faire », de sorte que M.

… aurait facilement pu et pourrait toujours demander à la caisse nationale des prestations familiales l’attribution des allocations familiales à son compte et remplir les conditions prévues par l’article 9.3. b) de la loi précitée du 22 juin 1963, le fait que les consorts …-… n’ont pas bénéficié d’une allocation de famille « est dû à leur propre turpitude puisqu’ils se sont mal renseignés sur une disposition légale qui leur est applicable et dont ils auraient pu profiter s’ils avaient fait preuve d’un minimum de diligence ».

Il convient de prime abord de relever que l’article 9.3. b) de la loi précitée du 22 juin 1963 ne contient pas de discrimination directe entre enfant légitime et enfant naturel ou entre fonctionnaire célibataire masculin et fonctionnaire célibataire féminin, l’article en question visant en effet indistinctement les enfants légitimes, naturels et adoptifs, sans qu’une discrimination aucune à l’égard de l’un quelconque ne soit contenue audit texte, d’une part, de même qu’il vise indistinctement les fonctionnaires célibataires féminins et masculins, les fonctionnaires célibataires, hommes et femmes, se voyant attribuer les mêmes droits, d’autre part.

La question soulevée dans le cadre du présent litige concerne le critère légal définissant la notion d’« enfant à charge » en ce sens que l’article 9.3. b) de la loi précitée du 22 juin 1963 conditionne le bénéfice de l’allocation de famille à la charge d’un ou de plusieurs enfants, qui est établie par le fait que le demandeur à l’allocation de famille soit le bénéficiaire des allocations familiales.

S’il est vrai qu’en vertu de cette condition légale, au regard des circonstances de l’espèce, M. … n’a pas bénéficié d’une allocation de famille, alors qu’il en aurait bénéficié s’il avait été marié avec Mme …, force est cependant de constater que cet état des choses ne résulte pas d’une discrimination prohibée au sens des dispositions constitutionnelle et communautaire invoquées, mais de la volonté du législateur de traiter différemment des personnes placées dans des situations objectivement différentes, à savoir celle des fonctionnaires mariés et celle des fonctionnaires célibataires. – Il y a encore lieu de relever que l’allocation de famille constitue un supplément de traitement à caractère familial, la finalité spécifique documentant la préoccupation du législateur pour la famille et le traitement différencié des fonctionnaires célibataires s’expliquant notamment par un souci d’éviter des cumuls de perceptions d’allocations et pour faciliter la vérification de l’existence effective d’une charge familiale dans le chef d’un fonctionnaire célibataire.

Ceci étant, il convient finalement d’ajouter que les demandeurs, comme l’a relevé à bon escient le délégué du gouvernement, ne sont nullement exclus par l’effet de la loi du bénéfice de l’allocation de famille, les consorts …-… pouvant en bénéficier dès lors que Monsieur … sera désigné comme bénéficiaire des allocations familiales.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que la légalité de la décision déférée ne se trouve pas ébranlée et que le recours en annulation est partant à rejeter comme n’étant pas fondé.

Abstraction faite de ce que la faculté pour le tribunal administratif d’allouer une indemnité de procédure trouve son fondement dans l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives et non pas dans l’article 240 du nouveau Code de procédure civile, la demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 2.000.- euros formulée par les demandeurs est à rejeter comme n’étant pas fondée, étant donné qu’ils ont succombé dans leurs moyens et arguments et qu’ils n’ont pas autrement établi en quoi il serait inéquitable de laisser à leur charge les sommes exposées par eux.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le dit non justifié, partant le rejette ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par les demandeurs ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 27 septembre 2004, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17688
Date de la décision : 27/09/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-09-27;17688 ?

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