La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/09/2004 | LUXEMBOURG | N°17613

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 septembre 2004, 17613


Tribunal administratif N° 17613 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 février 2004 Audience publique du 27 septembre 2004 Recours formé par Madame …, … contre une décision prise par le ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17613 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 février 2004 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le…, de nationalité algérienne, demeurant à

L-…, tendant à l’annulation, sinon subsidiairement à la réformation d’une décision du minist...

Tribunal administratif N° 17613 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 février 2004 Audience publique du 27 septembre 2004 Recours formé par Madame …, … contre une décision prise par le ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17613 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 février 2004 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le…, de nationalité algérienne, demeurant à L-…, tendant à l’annulation, sinon subsidiairement à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 15 décembre 2003 par laquelle le séjour au Grand-Duché de Luxembourg lui a été refusé et lui enjoignant de quitter le territoire, ainsi que d’une décision ainsi qualifiée du même ministre du 22 décembre 2003 lui refusant le bénéfice d’un permis de travail ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 mai 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé le 15 juin 2004 au greffe du tribunal administratif en nom et pour compte de la demanderesse ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 juin 2004 ;

Vu les pièces versées au dossier et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Virginie VERDANET, en remplacement de Maître François MOYSE, et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 20 septembre 2004.

________________________________________________________________________

Madame … déposa en date du 16 juillet 2001 une demande en régularisation, tendant à obtenir une autorisation de séjour, auprès du service commun des ministères du Travail et de l’Emploi, de la Justice et de la Famille établi dans la zone d’activité « Cloche d’Or », 5, rue G. Kroll, L-2941 Luxembourg.

Elle indiqua à cet effet appartenir à la catégorie dite « B », telle que décrite dans la brochure intitulée «régularisation du 15 mars au 13 juillet 2001 de certaines catégories d’étrangers séjournant sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg », éditée par le service commun, dénommée ci-après la «brochure », correspondant aux critères suivants : «Je réside et travaille de façon ininterrompue au Grand-Duché de Luxembourg depuis le 1er janvier 2000, je ne suis pas affilié(e) à la sécurité sociale luxembourgeoise, j'ai un emploi stable et j'ai touché et touche toujours soit un salaire égal au salaire social minimum revenant à un travailleur non qualifié âgé de 18 ans (52.047 LUF), soit un salaire égal au RMG auquel je peux prétendre compte tenu de ma situation familiale ».

En date du 1er juillet 2003, Madame … adressa au ministre de la Justice un courrier intitulé « comment obtenir un permis de travail pour Mme … » par lequel elle s’enquit de « ce qu’il faut faire » pour pouvoir engager Madame … en tant que fille au-

pair.

Par décision du 15 décembre 2003, le ministre de la Justice refusa de faire droit à la demande tendant à l’obtention d’une autorisation de séjour présentée par la demanderesse le 16 juillet 2001, aux motifs suivants :

« (…) je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre demande.

En effet, selon l'article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1 ° l'entrée et le séjour des étrangers; 2° le contrôle médical des étrangers; 3° l'emploi de la main-d'œuvre étrangère, la délivrance d'une autorisation de séjour est subordonnée à la possession de moyens d'existence personnels suffisants légalement acquis permettant à l'étranger de supporter ses frais de séjour au Luxembourg, indépendamment de l'aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s'engager à lui faire parvenir.

Comme vous ne remplissez pas cette condition, une autorisation de séjour ne saurait vous être délivrée.

Pour le surplus, votre demande en obtention d'une autorisation de séjour est également à rejeter au regard des directives applicables en matière de régularisation.

En effet, il ressort des pièces accompagnant votre demande introduite sur base de la catégorie B que vous ne remplissez pas les conditions prévues pour cette catégorie qui est libellée comme suit: «Je réside et travaille de façon ininterrompue au Grand-Duché de Luxembourg depuis le 1er janvier 2000, je ne suis pas affilié(e) à la sécurité sociale luxembourgeoise, j'ai un emploi stable et j'ai touché et touche toujours soit un salaire égal au salaire social minimum revenant à un travailleur non qualifié âgé de 18 ans (52.047 LUF), soit un salaire égal au RMG auquel je peux prétendre compte tenu de ma situation familiale ».

Vous êtes invitée à quitter le Luxembourg endéans un délai d'un mois. A défaut de départ volontaire, la police sera chargée de vous éloigner du territoire luxembourgeois.

(…) ».

Par courrier du 22 décembre 2003, le ministre de la Justice s’adressa en les termes suivants à Madame… :

« Par la présente, j'aimerais vous informer qu'un permis de travail à émettre par le Ministère du Travail et de l'Emploi, ne pourra être délivré alors que Mademoiselle … se trouve en séjour irrégulier au Grand-Duché de Luxembourg.

Par ailleurs, le Grand-Duché de Luxembourg a dénoncé l'Accord européen sur le placement au pair, dénonciation qui est devenue effective avec effet au 24 mars 2003. Il s'ensuit qu'un engagement comme « fille au pair» aux conditions de rémunération et de travail prévues par l'accord précité n'est plus possible au Luxembourg. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 février 2004, Madame … a fait déposer un recours tendant à l’annulation, sinon subsidiairement à la réformation de la prédite décision du ministre de la Justice du 15 décembre 2003 ainsi que du courrier du même ministre du 22 décembre 2003.

1.

En ce qui concerne le recours dans la mesure où il est dirigé contre la décision ministérielle du 15 décembre 2003 portant rejet de l’autorisation de séjour :

Encore que la demanderesse entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision (trib. adm. 4 décembre 1997, n° 10404 du rôle, Pas. adm. 2003, v° recours en réformation, n° 2 et autres références y citées).

Dans la mesure où ni la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1° l’entrée et le séjour des étrangers, 2° le contrôle médical des étrangers, 3° l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère, ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en matière de refus d’autorisation de séjour, le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation.

Le recours subsidiaire en annulation est recevable dans la mesure où il a été introduit dans les formes et délai de la loi.

Madame … expose que la décision du 15 décembre 2003 violerait l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes « ainsi que les directives prises par le Gouvernement dans le cadre de la réglementation des étrangers ».

Elle estime encore que la décision déférée violerait l’exigence de motivation « inscrite dans les textes légaux ».

Concernant le moyen d’annulation tiré de l’absence de motivation, il est vrai qu’en vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux et elle doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle refuse de faire droit à la demande de l’intéressé.

Cependant la sanction de l’obligation de motiver une décision administrative consiste dans la suspension des délais de recours. La décision reste cependant valable, et l’administration peut produire ou compléter ses motifs postérieurement et même pour la première fois en cours d’instance.

Etant donné qu’en l’espèce, le délégué du Gouvernement a utilement motivé l’acte ministériel déféré en cours de procédure contentieuse, le moyen relatif à l’absence de motivation des décisions est à rejeter comme étant non fondé.

Quant au fond, il est constant en cause que les motifs de refus à l’appui de la décision de refus déférée reposent d’une part sur le fait que la demanderesse ne remplirait ni les conditions prévues par l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée ni celles prévues pour l’octroi d’une autorisation de séjour dans le cadre de la procédure dite de régularisation, et plus particulièrement celles édictées pour les candidats appartenant à la catégorie « B » de la brochure.

Conformément aux dispositions de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger :

- qui est dépourvu de papiers de légitimation prescrits, et de visa si celui-ci est requis, - qui est susceptible compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics, - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour. » Il est constant en cause que le seul motif de refus basé sur le prédit article 2 invoqué en l’espèce par le ministre de la Justice à l’appui de la décision de refus du 15 décembre 2003 repose sur le défaut de moyens personnels suffisants de la demanderesse.

Or à cet égard, il n’est ni établi, ni même allégué que la demanderesse ait disposé de moyens personnels suffisants - légalement acquis ou non - respectivement à la date d’introduction de sa demande, le 16 juillet 2001, et à la date de la décision ministérielle, la seule référence à une attestation testimoniale aux termes de laquelle la demanderesse aurait été aperçue « pendant l’année 2000 » en train de faire le ménage dans un snack-bar étant en tout état de cause insuffisante pour rencontrer utilement la prédite condition.

En ce qui concerne le second motif de refus avancé par le ministre, à savoir le fait que la demanderesse ne remplirait pas les conditions édictées pour les candidats appartenant à la catégorie « B » dans le cadre de la procédure dite de régularisation, et plus particulièrement le fait que Madame … n’a ni exercé une activité salariée ni résidé de façon interrompue depuis le 1er janvier 2000 au Grand-Duché de Luxembourg, il résulte des pièces versées, en sus du fait relevé ci-dessus que la demanderesse n’a pas établi avoir eu un emploi stable depuis cette date, qu’elle a résidé en France, et plus particulièrement à Nice, au cours de l’année 2001, où elle déposa en mars 2001 une demande tendant à obtenir l’asile territorial, de sorte qu’elle ne saurait maintenir avoir résidé de façon interrompue au Luxembourg depuis le 1er janvier 2000.

Force est dès lors de constater que la demanderesse ne remplit pas les conditions d’obtention d’une autorisation de séjour telles que prévues au bénéfice des candidats relevant de la catégorie « B ».

Il résulte par conséquent des considérations qui précèdent que le ministre de la Justice a valablement pu refuser l’autorisation de séjour sollicitée sur base des deux motifs invoqués.

La demanderesse estime cependant encore que ce refus serait illégale, étant donné que le ministre se baserait sur un motif « impossible à changer au vu de la situation actuelle ». Elle relève à ce sujet que le ministre d’un côté lui refuserait l’autorisation de séjour sollicitée au motif qu’elle ne disposerait pas de moyens de subsistance personnels et d’un autre côté il lui refuserait un permis de travail, de sorte qu’elle se trouverait dans l’impossibilité de régulariser sa situation.

Or la conclusion dégagée ci-avant n’est pas énervée par l’argumentation de la demanderesse relative à une condition « impossible » à remplir, l’emploi stable requis pour la catégorie « B » ne devant pas nécessairement avoir été couvert par un permis de travail, le but de la procédure de régularisation étant précisément de régulariser des clandestins le cas échéant employés illégalement.

2.

En ce qui concerne le recours dans la mesure où il est dirigé contre le courrier ministériel du 22 décembre 2003 :

Madame … fait valoir que le courrier du ministre de la Justice du 22 décembre 2003 lui refusant le bénéfice d’un permis de travail serait entachée d’illégalité, le ministre de la Justice étant incompétent pour prendre une telle décision qui relèverait des seules compétences du ministre du Travail.

En ce qui concerne le courrier du ministre de la Justice du 22 décembre 2003, le délégué du Gouvernement estime qu’il ne s’agirait que d’une information donnée à Madame…, et non d’une décision susceptible de recours.

Aux termes de l’article 1er de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, un recours est ouvert « contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible ».

L'acte émanant d'une autorité administrative, pour être sujet à un recours contentieux, doit dès lors constituer, dans l'intention de l'autorité qui l'émet, une véritable décision, à qualifier d'acte de nature à faire grief, c'est-à-dire un acte de nature à produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame (trib. adm.,18 juin 1998, n° 10617 et 10618, Pas. adm. 2003, v° actes administratifs, n° 2, p. 14 et autres références). Plus particulièrement n'ont pas cette qualité de décision faisant grief, comme n'étant pas destinées à produire, par elles-mêmes, des effets juridiques, les informations données par l'administration, tout comme les déclarations d'intention ou les actes préparatoires d'une décision (trib. adm., 23 juillet 1997, n° 9658, confirmé sur ce point par arrêt du 19 février 1998, n° 10263C, Pas. adm.

2003, v° actes administratifs, n° 5, p. 15 et autres références).

Il ressort du libellé du courrier incriminé que le ministre de la Justice n’a pas eu l’intention de prendre une décision, mais que ce courrier a pour seul objet d’informer l’employeur potentiel de la demanderesse, à savoir Madame …H, de la situation en fait et en droit concernant la possibilité de la demanderesse de se voir délivrer un permis de travail par le ministre du Travail et de l’Emploi. Le tribunal relève à ce sujet particulièrement l’emploi du futur ainsi que la référence au ministre compétent pour prendre le cas échéant la décision afférente (« un permis de travail à émettre par le Ministère du Travail et de l’Emploi ne pourra être délivré »).

Le recours est dès lors à déclarer irrecevable, dans la mesure où il est dirigé contre la prédite lettre du 22 décembre 2003, pour n’être pas constitutive d’une décision administrative susceptible d’un recours contentieux, mais d’une simple lettre informative dépourvue de tout caractère décisionnel.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision ministérielle du 15 décembre 2003 ;

reçoit le recours en annulation en la forme dans la mesure où il est dirigé contre la décision ministérielle du 15 décembre 2003 ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

déclare encore le recours irrecevable dans la mesure où il est dirigé contre le courrier ministériel du 22 décembre 2003 ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 27 septembre 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17613
Date de la décision : 27/09/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-09-27;17613 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award