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20/09/2004 | LUXEMBOURG | N°17801

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 septembre 2004, 17801


Numéro 17801 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 mars 2004 Audience publique du 20 septembre 2004 Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17801 du rôle, déposée le 24 mars 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Valérie DUPONG, avocat à la Cour, assistée de Maître Georges

WEILAND, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom ...

Numéro 17801 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 mars 2004 Audience publique du 20 septembre 2004 Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17801 du rôle, déposée le 24 mars 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Valérie DUPONG, avocat à la Cour, assistée de Maître Georges WEILAND, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à Mitrovica (Kosovo/Etat de Serbie-

Monténégro), de nationalité serbo-montenégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 8 mars 2004 confirmant sur recours gracieux sa décision antérieure du 21 janvier 2004 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 mai 2004;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Aurore GIGOT, en remplacement de Maître Valérie DUPONG, et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 5 juillet 2004.

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Le 10 septembre 2003, Madame …, préqualifiée, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Madame … fut entendue en date du 29 décembre 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice l’informa par décision du 21 janvier 2004, notifiée par courrier recommandé du 23 janvier suivant, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 11 septembre 2003 que vous auriez quitté votre domicile au Kosovo à l’aide d’un passeur qui vous aurait emmenée au Luxembourg, où vous seriez arrivée le 10 septembre, date du dépôt de votre demande d’asile. Vous ne pouvez donner aucune indication quant au trajet emprunté. Vous présentez de vieilles pièces d’identité yougoslaves périmées. Vous n’auriez pas demandé de nouvelles pièces d’identité émises par la MINUK parce que vous n’auriez pas osé aller « de l’autre côté du pont » de Mitrovica pour ce faire.

Vous déclarez avoir quitté le Kosovo parce que vous auriez peur de votre ex-mari. Ce dernier n’aurait pas voulu vous donner la garde de votre enfant commun, vous accusant de collaborer avec les serbes parce que vous auriez vécu du côté serbe de Mitrovica. Il aurait menacé de vous tuer si vous alliez du côté albanais. Vous dites également avoir peur des serbes qui auraient occupé votre logement. Enfin, quelque chose serait arrivé à votre concubin, mais il n’aurait pas voulu dire quoi.

Enfin, vous n’êtes pas membre d’un parti politique et vous ne faites pas état de persécutions.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève Il y a tout d’abord lieu de constater que vous n’apportez aucune pièce prouvant que vous avez dernièrement vécu au Kosovo, étant donné que vous ne présentez ni pièces d’identité émises par les autorités onusiennes, ni certificat de résidence.

Par ailleurs, force est de constater que vous ne faites pas état de persécutions dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève et que vos motifs. En effet, des problèmes personnels avec votre ex-mari ne sauraient constituer des motifs visés par la Convention de Genève étant donné que ce dernier ne saurait être considéré comme agent de persécutions au sens de la Convention de Genève. Il en va de même des serbes qui occuperaient votre logement. Votre peur traduit plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Vous n’avez également à aucun moment apporté un élément de preuve permettant d’établir des raisons pour lesquelles vous ne seriez pas en mesure de vous installer dans une autre partie du Kosovo ou au Monténégro pour ainsi profiter d’une possibilité de fuite interne.

Il faut également souligner qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, est installée au Kosovo pour assurer la coexistence pacifique entre les différentes communautés et une administration civile, placée sou l’autorité des Nations Unies, a été mise en place. Les élections municipales du 28 octobre 2000 se sont conclues avec la victoire des partis modérés et une défaite des partis extrémistes. Le Kosovo doit être considéré comme territoire où il n’existe pas en règle générale des risques de persécutions pour les albanais.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 6 février 2004 ayant été rencontré par une décision confirmative du ministre du 8 mars 2004, Madame … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre de la décision ministérielle confirmative du 8 mars 2004 par requête déposée le 24 mars 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.

La demanderesse expose en substance que les événements de mars 2004, marqués par des soulèvements et affrontements à Mitrovica et dans les autres régions du Kosovo, auraient démontré la fragilité de la situation dans cette province et les tensions inter-ethniques subsistantes qui pourraient à tout moment entraîner de nouveaux affrontements et même conduire à une partition du Kosovo. Elle ajoute que les affrontements de mars 2004 auraient conduit à une « compétition autodestructrice » entre la politique flottante d’assurer une impossible cohabitation et une extraordinaire violence qui pourrait éclater à tout moment et que les forces internationales présentes au Kosovo, ayant elles-mêmes fait l’objet de quelques attaques, n’auraient pas réussi à contenir. Elle affirme que plus particulièrement à Mitrovica la résignation silencieuse s’étant instaurée parmi les habitants depuis cinq années face à la division de cette ville se serait subitement transformée en violences extrêmes entre les communautés serbe et albanaise et que la tension y resterait vive. Elle ajoute que la communauté serbe aurait subi des sévices à travers tout le Kosovo durant ces émeutes.

Quant à sa situation personnelle, la demanderesse relève qu’elle aurait été menacée sur base de soupçons qu’elle aurait collaboré avec les forces serbes, qu’elle aurait également été menacée par son ex-mari et forcée de quitter son domicile et que suite à ces événements, elle souffrirait de crises d’épilepsie. Elle ajoute qu’elle aurait vécu dans une peur constante face aux persécutions humiliantes quotidiennes dont elle aurait été victime sans pouvoir bénéficier d’une protection efficace de la part des autorités locales. Elle estime dès lors que, même si la Convention de Genève ne mentionne pas expressément le cas des réfugiés provenant de zones de guerre, elle devrait être considérée comme réfugié pour avoir fui la guerre et ses conséquences sans pouvoir compter sur son pays pour le protéger efficacement, ainsi que le recommanderait le Haut Commissariat aux Réfugiés.

Le délégué du gouvernement rétorque que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par la demanderesse lors de son audition en date du 29 décembre 2003, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, lors de son audition, la demanderesse a essentiellement fait état d’une crainte envers son ex-mari notamment en ce qui concerne leur enfant commun, faits qui concernent les relations familiales de la demanderesse sans être en rapport avec l’un des motifs visés par la Convention de Genève. Pour le surplus, elle fait état d’une crainte non autrement circonstanciée à l’égard des Serbes, laquelle s’analyse en un sentiment général de peur sans qu’elle n’ait établi concrètement que, considéré individuellement et personnellement, elle risquerait de subir des persécutions au sens de la Convention de Genève.

A cela s’ajoute que les persécutions avancées par la demanderesse n’émanent pas de l’Etat, mais de groupes de la population lesquels ne sauraient en tant que tels être considérés comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-

Yves CARLIER : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Si la demanderesse tend en l’espèce certes à décrire une situation d’insécurité et de conflit généralisé dans son pays d’origine, elle n’a soumis aucun indice concret relativement à l’incapacité actuelle des autorités compétentes de lui fournir une protection adéquate. En effet, le simple fait de prétendre que les autorités actuellement en place au Kosovo, en l’occurrence la KFOR, ne seraient pas en mesure de lui assurer une protection efficace, sans apporter d’autres précisions à ce sujet, n’est pas de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part desdites autorités.

Il suit de ce qui précède que la demanderesse n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, M. SPIELMANN, juge, et lu à l’audience publique du 20 septembre 2004 par le vice-président en présence de M. LEGILLE, greffier.

LEGILLE CAMPILL 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17801
Date de la décision : 20/09/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-09-20;17801 ?

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