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08/09/2004 | LUXEMBOURG | N°18562

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 septembre 2004, 18562


Tribunal administratif N° 18562 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 août 2004 Audience publique du 8 septembre 2004 Recours formé par Monsieur …, contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18562 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 août 2004 par Maître Daniel BAULISCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsie

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Tribunal administratif N° 18562 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 août 2004 Audience publique du 8 septembre 2004 Recours formé par Monsieur …, contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18562 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 août 2004 par Maître Daniel BAULISCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, né le … à …, de nationalité malienne, demeurant actuellement à …, tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 1er juin 2004, déclarant sa demande en obtention du statut de réfugié comme manifestement infondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 août 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Maître Daniel BAULISCH en sa plaidoirie à l’audience publique du 8 septembre 2004.

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Le 20 avril 2004, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, il fut entendu par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Monsieur … fut encore entendu en date du 3 mai 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.

Par décision datant du 1er juin 2004, le ministre de la Justice informa Monsieur … de ce que sa demande avait été rejetée comme étant manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, au motif qu’il ne ferait valoir aucune crainte raisonnable de persécution pour l’une des raisons prévues par la Convention de Genève.

Monsieur …fit introduire par courrier daté du 28 juin 2004 un recours gracieux à l’encontre de la prédite décision ministérielle.

Le 17 août 2004, il a fait introduire un recours en annulation et subsidiairement en réformation contre la même décision ministérielle du 1er juin 2004.

Le délégué du Gouvernement conclut de prime abord à l’irrecevabilité du recours subsidiaire en réformation au motif qu’aucune disposition légale ne prévoirait un recours au fond en la matière.

La procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite, le fait que le mandataire de l’une des parties n’est ni présent, ni représenté à l’audience de plaidoiries, est indifférent. Comme les parties ont pris position par écrit par le fait de déposer respectivement une requête introductive d’instance et un mémoire en réponse, le jugement est contradictoire entre parties.

Encore que le demandeur entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision (trib. adm. 4 décembre 1997, n° 10404 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Recours en réformation, n° 2 et autres références y citées).

Il ressort des éléments du dossier que le ministre de la Justice s’est basé sur l’article 9 de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée et sur l’article 3 du règlement grand-

ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée.

L’article 10 (3) de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée prévoit expressément qu’en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives, de sorte que le tribunal est incompétent pour connaître de la demande en réformation de la décision attaquée formulée à titre subsidiaire.

Le délégué du Gouvernement souligne encore le fait que le recours en annulation serait prématuré, dès lors qu’il aurait été déposé avant que le ministre ne prenne position par rapport au recours gracieux, mais déclare vouloir renoncer audit moyen d’irrecevabilité « étant donné des décisions de rejet au sens de l’article 9 de la loi modifiée du 3 avril 1996 doivent être toisées le plus rapidement possible ».

Il appert cependant que le recours sous analyse a pour objet la décision ministérielle du 1er juin 2004, et non le silence conservé par le ministre suite au recours gracieux, ou la décision implicite de refus pouvant le cas échéant en être déduite après écoulement du délai de trois mois prévu par l’article 4 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif.

Si un recours introduit sur base de l’article 4 (1) précité, dirigé le cas échéant contre la décision implicite de refus alléguée du ministre, devait effectivement en l’état actuel du dossier, être considéré comme prématuré, le délai de trois mois n’étant pas écoulé à la date d’introduction du recours, il n’en est cependant pas de même du recours déposé contre la décision ministérielle du 1er juin 2004, décision dont l’existence n’est pas affectée par l’introduction ultérieure d’un recours gracieux.

Le recours en annulation, prévu explicitement par le prédit article 10 (3) de la loi modifiée du 3 avril 1996, est par conséquent recevable étant donné qu’il a été introduit dans les formes et délai de la loi.

En ce qui concerne le reproche selon lequel le ministre n’aurait pas suffisamment motivé la décision déférée, il convient de rappeler que si l’acte lui-même ne précise pas les motifs sur lesquels il repose, ceux-ci peuvent être communiqués au plus tard au cours de la procédure contentieuse pour permettre à la juridiction administrative d'exercer son contrôle de légalité, étant donné qu’il est loisible à l'administration de présenter ses motifs en cours d'instance, à condition que la juridiction administrative puisse en contrôler la légalité au moment où elle est appelée à statuer (trib. adm. 4 juillet 2001, Pas.

adm. 2003, v° Procédure administrative non contentieuse, n° 44, p.478).

Force est de constater que le moyen fondé sur le défaut de motivation ministérielle n’est pas justifié en fait, étant donné que, d’une part, la décision ministérielle déférée est suffisamment motivée en ce que les faits tels que résumés dans la décision litigieuse correspondent aux faits sous-jacents à la demande d’asile du demandeur et qu les motifs de refus y sont énumérés et que, d’autre part, le ministre a encore précisé en cours d’instance ses motifs de refus.

Le ministre a partant indiqué de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait sur lesquels il s’est fondé pour justifier son refus et les motifs ont ainsi été portés à suffisance de droit à la connaissance du demandeur.

Le moyen fondé sur le défaut de motivation de la décision ministérielle soumise au tribunal est partant à rejeter.

Quant au fond, le demandeur fait exposer qu’il aurait quitté le Mali parce qu’il aurait été menacé de mort par des villageois qui l’auraient accusé d’avoir commis un meurtre. Il précise à ce sujet qu’il aurait en effet été injustement accusé du meurtre d’une personne qui aurait trouvé la mort lors d’une bagarre ; les villageois le considérant comme étant le meurtrier l’auraient alors attaché et frappé, de sorte que ce n’est que l’intervention de la police qui lui aurait sauvé la vie.

Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement ».

En vertu de l’article 3, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ».

En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande d’asile dans le cadre de son audition, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure qu’il n’a manifestement pas établi, ni même allégué, des raisons personnelles suffisamment précises de nature à établir dans son chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance.

En effet, lors de son audition, telle que celle-ci a été relatée dans le compte rendu figurant au dossier, le demandeur explique avoir quitté le Mali pour fuir la vindicte populaire qui l’accuserait à tort du meurtre d’un villageois. Il précise que le meurtre aurait eu pour cadre une rixe entre villageois, rixe causée par des bœufs dont il avait la charge et qui avaient pénétré dans des plantations.

Il relate que des villageois furieux auraient d’abord cassé le toit de sa maison, pour ensuite l’attacher jusqu’à l’intervention de la police qui l’aurait libéré. Ses beaux-

parents ayant entendu que certains villageois aimeraient le tuer, il décida de prendre la fuite et de quitter le pays.

Or, les menaces de mort émanant de villageois cherchant à venger l’un des leurs, à les supposer établies, tirent leur origine de relations conflictuelles d’ordre privé et relèvent le cas échéant d’infractions de droit commun, mais ne sauraient être considérées comme constitutives de persécutions du fait de la race, de la religion, de la nationalité, de l’appartenance à un groupe social ou des opinions politiques du demandeur.

Force est encore de constater que le demandeur a bénéficié de la protection des autorités étatiques de son pays, étant donné qu’il a été sauvé de la vindicte populaire par l’intervention de la police locale : « la police st venue et a dit qu’ils n’avaient pas le droit pour (sic) m’attacher et ils ont dit d’attendre jusqu’au lundi » .

C’est partant à juste titre et au vu de ces développements que le ministre de la Justice a déclaré la demande d’asile sous analyse comme étant manifestement infondée, sans qu’il ne faille analyser plus avant la question de la crédibilité du récit du demandeur et d’un éventuel recours abusif dans son chef à la procédure d’asile.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours formé par le demandeur est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement, se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 8 septembre 2004 par :

M. Ravarani, président, Mme Gillardin, juge, M. Sünnen, juge, en présence de Mme Wiltzius, greffier.

Wiltzius Ravarani 5


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 18562
Date de la décision : 08/09/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-09-08;18562 ?

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