La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/08/2004 | LUXEMBOURG | N°17805

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 août 2004, 17805


Numéro 17805 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 mars 2004 Audience publique du 25 août 2004 Recours formé par Monsieur … …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17805 du rôle, déposée le 24 mars 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Valérie DUPONG, avocat à la Cour, assistée de Maître George

s WEILAND, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom d...

Numéro 17805 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 mars 2004 Audience publique du 25 août 2004 Recours formé par Monsieur … …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17805 du rôle, déposée le 24 mars 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Valérie DUPONG, avocat à la Cour, assistée de Maître Georges WEILAND, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, né le 26 février 1970 à … (Kosovo/Etat de Serbie-

Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 8 mars 2004 confirmant, sur recours gracieux, sa décision du 19 janvier 2004 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 avril 2004;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Georges WEILAND et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 28 juin 2004.

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Le 11 août 2003, Monsieur … …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut entendu en date du 26 août 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice l’informa par décision du 19 janvier 2004, notifiée par courrier recommandé du 28 janvier suivant, de ce que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté le Kosovo début juillet 2003 pour aller en train à Sarajevo. Ensuite, vous avez poursuivi votre voyage avec un passeur jusqu’au Luxembourg. Vous ne pouvez donner aucune précision quant à votre trajet.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 11 août 2003.

Vous exposez que vous avez fait votre service militaire de 1989 à 1990 à Zajecar.

Vous exposez que, de 2000 au 22 août 2001, vous auriez vécu dans la maison d’un Serbe, mais que vous auriez dû la quitter au retour de son propriétaire. La KFOR vous aurait reconstruit une maison, sur l’emplacement de l’ancienne, détruite pendant la guerre, dans le village de Gllogovac. Au moment de prendre possession de votre nouvelle maison, des individus masqués vous auraient tiré dessus, tuant votre frère et votre cousin et vous blessant à la jambe. Par la suite, ces gens masqués se seraient présentés à votre domicile pour vous enjoindre de quitter les lieux. Suite à une plainte de votre part, la KFOR et la TMK auraient fait surveiller votre maison. Vous précisez qu’au départ de ces patrouilles, les individus masqués seraient revenus. Vous en auriez eu assez et vous auriez décidé de quitter le Kosovo.

Vous auriez tenté de vous établir à Sarajevo/BIH, mais vous n’y auriez pas trouvé de logement.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je constate d’abord qu’il résulte des données en notre possession que vos assertions concernant votre famille sont fausses : vos parents ne vivent pas à Gllogovac, vous n’avez aucun frère du nom de Bajrush, vos frères sont encore tous vivants et, d’ailleurs, aucun membre de votre famille n’est décédé de mort violente. Ce mensonge jette évidemment un grand doute sur la véracité du reste de votre récit.

Quoiqu’il en soit, si tant en est que vous ayez quelque chose à redouter dans votre pays, vous reconnaissez avoir bénéficié de la protection efficace de la force armée internationale installée au Kosovo sous l’égide des Nations Unies.

En effet, les violences vis-à-vis des minorités du Kosovo ont diminué et les forces onusiennes sont tout à fait capables de fournir une protection aux personnes appartenant à ces minorités.

J’en conclus que les faits que vous alléguez, à en supposer une partie véridique, ne sont pas d’une gravité suffisante pour justifier une crainte de persécution pour l’un des motifs prévus par la Convention de Genève mais qu’ils traduisent davantage un sentiment général d’insécurité qu’une réelle crainte de persécution.

Finalement, des personnes masquées, non autrement qualifiées, ne sauraient constituer des agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, il ne ressort pas du dossier qu’il vous aurait été impossible de vous installer dans une autre région de la République de Serbie-Monténégro et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne.

Je dois donc constater qu’aucune de vos assertions ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, c’est-à-

dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 6 février 2004 ayant été rencontré par une décision confirmative du ministre du 8 mars 2004, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre de la décision ministérielle confirmative du 8 mars 2004 par requête déposée le 24 mars 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.

Le demandeur expose en substance que les événements de mars 2004, marqués par des soulèvements et affrontements à Mitrovica et dans les autres régions du Kosovo, auraient démontré la fragilité de la situation dans cette province et que les tensions inter-ethniques subsistantes pourraient à tout moment entraîner de nouveaux affrontements et même conduire à une partition du Kosovo. Il ajoute que les affrontements de mars 2004 auraient conduit à une « compétition autodestructrice » entre la politique flottante d’assurer une impossible cohabitation et une extraordinaire violence qui pourrait éclater à tout moment et que les forces internationales présentes au Kosovo, ayant elles-mêmes fait l’objet de quelques attaques, n’auraient pas réussi à contenir. Il affirme que plus particulièrement à Mitrovica la résignation silencieuse, s’étant instaurée parmi les habitants depuis cinq années face à la division de cette ville, se serait subitement transformée en violences extrêmes entre les communautés serbe et albanaise et que la tension y resterait vive. Il ajoute que la communauté serbe aurait subi des sévices à travers tout le Kosovo durant ces émeutes.

Quant à sa situation personnelle, le demandeur relève qu’il aurait été forcé de quitter son domicile face aux menaces proférées par des personnes masquées malgré son appel aux forces de l’ordre et qu’il aurait vécu dans une peur constante face aux persécutions humiliantes quotidiennes dont il aurait été victime sans pouvoir bénéficier d’une protection efficace de la part des autorités locales. Il estime dès lors que, même si la convention de Genève ne mentionne pas expressément le cas des réfugiés provenant de zones de guerre, il devrait être considéré comme réfugié pour avoir fui la guerre et ses conséquences sans pouvoir compter sur son pays pour le protéger efficacement, ainsi que le recommanderait le Haut Commissariat aux Réfugiés.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2003, v° Recours en réformation, n° 11).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 26 août 2003, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Tout d’abord, c’est à juste titre que le ministre a relevé dans sa décision critiquée du 19 janvier 2004 certaines fausses déclarations du demandeur concernant la situation et le sort des membres de sa famille et plus particulièrement le fait qu’aucun membre de la famille du demandeur n’est décédé d’une mort violente et qu’il en a tiré la conclusion que ces mensonges affectent la crédibilité du récit du demandeur.

A cela s’ajoute que les persécutions avancées par le demandeur n’émanent pas de l’Etat, mais de groupes de la population lesquels ne sauraient en tant que tels être considérés comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Si le demandeur tend en l’espèce certes à décrire une situation d’insécurité et de conflit généralisé dans son pays d’origine, il n’a soumis aucun indice concret relativement à l’incapacité actuelle des autorités compétentes de lui fournir une protection adéquate. En effet, le simple fait de prétendre que les autorités actuellement en place au Kosovo, en l’occurrence la KFOR, ne seraient pas en mesure de lui assurer une protection efficace, sans apporter d’autres précisions à ce sujet, n’est pas de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part desdites autorités. Il se dégage par contre des déclarations du demandeur lors de son audition qu’il a bénéficié de patrouilles régulières de la KFOR au moment d’emménager dans sa maison reconstruite.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. SCHROEDER, premier juge, M. SPIELMANN, juge, Mme GILLARDIN, juge, et lu à l’audience publique du 25 août 2004 par le premier juge en présence de M.

MAY, greffier en chef de la Cour administrative, greffier assumé.

s. MAY s. SCHROEDER 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17805
Date de la décision : 25/08/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-08-25;17805 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award