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25/08/2004 | LUXEMBOURG | N°17803

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 août 2004, 17803


Numéro 17803 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 mars 2004 Audience publique du 25 août 2004 Recours formé par Monsieur … …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17803 du rôle, déposée le 24 mars 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Valérie DUPONG, avocat à la Cour, assistée de Maître George

s WEILAND, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom d...

Numéro 17803 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 mars 2004 Audience publique du 25 août 2004 Recours formé par Monsieur … …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17803 du rôle, déposée le 24 mars 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Valérie DUPONG, avocat à la Cour, assistée de Maître Georges WEILAND, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, né le 10 mars 1971 à … (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 8 mars 2004 confirmant, sur recours gracieux, sa décision du 29 janvier 2004 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 avril 2004;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Georges WEILAND et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 28 juin 2004.

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Le 24 juin 2003, Monsieur … …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut entendu en date du 24 décembre 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice l’informa par décision du 29 janvier 2004, notifiée par courrier recommandé du 2 février suivant, de ce que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« Il ressort du rapport de la Police Judiciaire que vous auriez quitté Pristina/Kosovo le 19 juin 2003 en direction de Rozaje à bord d’un taxi où vous auriez poursuivi votre route en voiture jusqu’au Luxembourg. Vous y seriez arrivé le 24 juin 2003, date du dépôt de votre demande d’asile. Vous ne pouvez pas donner d’indications quant au trajet emprunté.

Vous déclarez avoir quitté le Kosovo à cause de l’insécurité y régnant. En 2002, vous auriez circulé à bord de votre voiture quand des personnes inconnues, masquées et armées vous auraient arrêté pour vous soustraire de l’argent. Vous auriez peur de ces groupes masqués qui maltraiteraient les gens.

Enfin vous admettez ne pas être membre d’un parti politique et vous ne faites pas état de persécutions personnelles.

Selon l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ». Par ailleurs, l’article 3 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 précitée, dispose que « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ».

Je vous informe qu’une demande d’asile qui peut être déclarée manifestement infondée peut, a fortiori, être déclarée non fondée pour les mêmes motifs.

Même à supposer les faits que vous invoquez établis, il ne résulte pas de vos allégations que vous risquiez ou risquez d’être persécuté dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève. La crainte de l’insécurité régnant au Kosovo n’est pas de nature à constituer objectivement une crainte justifiée de persécution selon la Convention de Genève de 1951. Par ailleurs, le fait de vous être fait ponctuellement dérober de l’argent par des personnes inconnues ne saurait pas davantage fonder une demande d’asile politique. En effet, des personnes inconnues ne sauraient être considérées comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève et leur agissements ne sauraient constituer des motifs visés par la Convention de Genève. Votre peur traduit plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un vague sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève. Par ailleurs, force est de constater que vous n’avez pas porté plainte, renonçant ainsi à la protection de la MINUK. A cela s’ajoute que le Kosovo doit être considéré comme territoire où il n’existe pas en règle générale des risques de persécution pour les albanais.

Vous n’avez également à aucun moment apporté un élément de preuve permettant d’établir des raisons pour lesquelles vous ne seriez pas en mesure de vous installer dans une autre partie du Kosovo ou de la République de Serbie Monténégro pour ainsi profiter d’une possibilité de fuite interne.

Force est de constater que vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi, une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 10 février 2004 ayant été rencontré par une décision confirmative du ministre du 8 mars 2004, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre de la décision ministérielle confirmative du 8 mars 2004 par requête déposée le 24 mars 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.

Le demandeur expose en substance que les événements de mars 2004, marqués par des soulèvements et affrontements à Mitrovica et dans les autres régions du Kosovo, auraient démontré la fragilité de la situation dans cette province et que les tensions inter-ethniques subsistantes pourraient à tout moment entraîner de nouveaux affrontements et même conduire à une partition du Kosovo. Il ajoute que les affrontements de mars 2004 auraient conduit à une « compétition autodestructrice » entre la politique flottante consistant à assurer une cohabitation impossible et une extraordinaire violence qui pourrait éclater à tout moment, que les forces internationales présentes au Kosovo, ayant elles-mêmes fait l’objet de quelques attaques, n’auraient pas réussi à contenir. Il affirme que plus particulièrement à Mitrovica la résignation silencieuse, s’étant instaurée parmi les habitants depuis cinq années face à la division de cette ville, se serait subitement transformée en violences extrêmes entre les communautés serbe et albanaise et que la tension y resterait vive. Il ajoute que la communauté serbe aurait subi des sévices à travers tout le Kosovo durant ces émeutes.

Quant à sa situation personnelle, le demandeur relève qu’il se serait fait arrêter par des personnes masquées et qu’il aurait vécu dans une peur constante face à ces persécutions humiliantes quotidiennes dont il aurait été victime sans pouvoir bénéficier d’une protection efficace de la part des autorités locales. Il estime dès lors que, même si la convention de Genève ne mentionne pas expressément le cas des réfugiés provenant de zones de guerre, il devrait être considéré comme réfugié pour avoir fui la guerre et ses conséquences sans pouvoir compter sur son pays pour le protéger efficacement, ainsi que le recommanderait le Haut Commissariat aux Réfugiés.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2003, v° Recours en réformation, n° 11).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 24 décembre 2003, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, le demandeur fait état d’un seul fait concret – qu’il aurait été arrêté en 2002 en voiture par des gens masqués qui lui auraient dérobé son argent – qui relève de la criminalité de droit commun sans être fondé sur l’un des motifs visés par la Convention de Genève. Pour le surplus, le demandeur fait essentiellement état d’un sentiment général de peur face à une situation alléguée d’insécurité sans établir concrètement que, considéré individuellement et personnellement, il risquerait de subir des persécutions au sens de la Convention de Genève.

A cela s’ajoute que les risques de persécution avancés par le demandeur n’émanent pas de l’Etat, mais de groupes de la population lesquels ne sauraient en tant que tels être considérés comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-

Yves CARLIER : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Si le demandeur tend en l’espèce certes à décrire une situation d’insécurité et de conflit généralisé dans son pays d’origine, il n’a soumis aucun indice concret relativement à l’incapacité actuelle des autorités compétentes de lui fournir une protection adéquate. En effet, le simple fait de prétendre que les autorités actuellement en place au Kosovo, en l’occurrence la MINUK, ne seraient pas en mesure de lui assurer une protection efficace, sans apporter d’autres précisions à ce sujet et sans faire état d’une tentative concrète de recherche de protection à travers notamment le dépôt d’une plainte, n’est pas de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part desdites autorités.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. SCHROEDER, premier juge, M. SPIELMANN, juge, Mme GILLARDIN, juge, et lu à l’audience publique du 25 août 2004 par le premier juge en présence de M.

MAY, greffier en chef de la Cour administrative, greffier assumé.

s. MAY s. SCHROEDER 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17803
Date de la décision : 25/08/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-08-25;17803 ?

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