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25/08/2004 | LUXEMBOURG | N°17673

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 août 2004, 17673


Numéro 17673 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er mars 2004 Audience publique du 25 août 2004 Recours formé par Madame … …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17673 du rôle, déposée le 1er mars 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Jeannot BIVER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’O

rdre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … …, épouse …, née le 18 février 1973 à … (F...

Numéro 17673 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er mars 2004 Audience publique du 25 août 2004 Recours formé par Madame … …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17673 du rôle, déposée le 1er mars 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Jeannot BIVER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … …, épouse …, née le 18 février 1973 à … (Fédération de Russie), de nationalité tatare et de citoyenneté russe, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 15 décembre 2003 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 2 février 2004 prise sur recours gracieux;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 avril 2004;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en sa plaidoirie à l’audience publique du 28 juin 2004.

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Le 29 août 2003, Madame … …, épouse …, préqualifiée, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Madame … fut entendue en date du 17 novembre 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice l’informa par décision du 15 décembre 2003, notifiée par courrier recommandé du 19 décembre suivant, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté votre pays le 23 août 2003.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 29 août 2003.

Vous exposez que vous êtes venue au Luxembourg pour rejoindre votre époux et faire soigner votre enfant malade. De plus, vous auriez eu a subir le contre-coup des ennuis de votre mari avec ses collègues de travail et avec des membres du RNE qui militeraient pour une Russie ethniquement pure. Vous dites avoir été violée devant votre époux et votre enfant le 5 mai 2002.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je constate d’abord que votre mari, lors de ses auditions au Ministère de la Justice, n’a jamais parlé explicitement d’un viol dont vous auriez été la victime. Il parle d’une agression dans un parc, le dernier dimanche d’avril, soit le 28 avril 2002 et d’un « sale boulot ». Par contre, il dit que vous auriez été agressée en janvier 2002, agression dont vous ne faites pas état.

Ces contradictions entre vos deux versions des faits jettent un doute quant à la véracité de votre récit.

Quoiqu’il en soit, le désir de faire soigner votre enfant au Luxembourg et celui de rejoindre votre mari, ne sauraient constituer une cause d’obtention du statut de réfugié.

Pour le surplus, les membres du RNE ne sauraient constituer des agents de persécutions au sens de la Convention de Genève. D’autant plus, que le Parquet Général de la Fédération de Russie poursuit actuellement systématiquement toute incitation à la haine raciale.

Il ressort de votre récit que vous éprouvez surtout un sentiment général d’insécurité qui ne saurait fonder une persécution au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 8 janvier 2004 ayant été rencontré par une décision confirmative du ministre du 2 février 2004, Madame … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre des décisions ministérielles initiale du 15 décembre 2003 et confirmative du 2 février 2004 par requête déposée le 1er mars 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.

La demanderesse reproche au ministre de ne pas avoir tenu compte dans sa décision des éléments contenus dans le récit détaillé manuscrit qu’elle lui aurait fait transmettre par courrier du 11 décembre 2003, mais de s’être référé uniquement à son audition du 17 novembre 2003. Elle expose que suite à son mariage avec M. …, de nationalité arménienne, ils se seraient installés en Arménie mais auraient dû faire face à de graves problèmes d’intégration du fait de son appartenance à la religion musulmane et de son origine tatare, de manière qu’ils auraient dû quitter l’Arménie pour aller habiter à Krasnodar en 1993. Or, même dans sa propre région d’origine, ils n’auraient pas pu vivre tranquillement, étant donné que son mari aurait dû faire face à des persécutions en raison de son origine arménienne, qu’il aurait été victime de deux agressions de la part de collègues de travail lui ayant enjoint de retourner chez lui et qu’il aurait toujours déposé des plaintes pour dénoncer ces faits, plaintes auxquelles les autorités locales n’auraient cependant pas donné de suites. La demanderesse fait valoir qu’elle aurait également subi deux agressions, étant donné qu’elle aurait été passée à tabac à la porte de sa maison par des inconnus appartenant probablement au mouvement RNE, ne devant son salut qu’à l’intervention de son mari et de sa belle-mère, et qu’elle aurait été violée « aux environs du 5 mai 2002 » dans les circonstances suivantes :

sur le chemin du retour, la voiture familiale aurait été arrêtée par une voiture de la milice, les miliciens auraient enjoint à son époux de suivre leur voiture et les auraient conduits jusque dans une forêt où les miliciens auraient tout de suite disparu pour les laisser face à cinq personnes, dont l’une aurait mis le couteau au cou d’un des enfants et une autre l’aurait violé sous les yeux de son époux et de ses enfants.

La demanderesse conclut qu’elle aurait été victime d’actes graves de persécution de la part d’un groupe de la population dans la région de Krasnodar, « notoirement connue pour être théâtre d’agression raciste touchant particulièrement les arméniens et les turques meskètes », et que les autorités locales décourageraient tout dépôt de plaintes suite à des violences commises et n’y donneraient pas de suites, de manière à encourager des actes de persécution de la part de groupes russophones nationalistes. Elle en déduit qu’à défaut de protection adéquate de la part des autorités responsables, elle devrait être admise au statut de réfugié, d’autant plus que son mari pourrait également se prévaloir d’actes de persécution.

Le délégué du gouvernement rétorque que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par la demanderesse lors de son audition en date du 17 novembre 2003, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, abstraction même faite des contradictions entre les récits respectifs de la demanderesse et de son époux relevées par le ministre dans la décision critiquée du 15 décembre 2003, force est de constater que les actes de persécution invoqués par la demanderesse n’émanent essentiellement pas des autorités publiques mêmes, mais de certains éléments de la population. De tels actes ne peuvent être considérés comme fondant une crainte justifiée de persécution que si les autorités en place refusent d’accorder une protection adéquate pour l’un des motifs visés par la Convention de Genève ou si elles sont incapables de fournir une telle protection. En l’espèce cependant, si la demanderesse fait effectivement état d’un refus de protection de la part d’agents des autorités compétentes pour assurer sa protection voire même d’une certaine complicité de leur part, elle reste en défaut d’établir que les faits par elle avancés ne constituent pas des actes isolés mais traduisent une attitude générale de refus de protection des autorités compétentes, de manière qu’elle se verrait empêchée de solliciter une protection adéquate auprès d’agents revêtant une position hiérarchique supérieure au sein des forces publiques.

S’y ajoute que, s’il est vrai que la demanderesse déclare avoir déjà quitté l’Arménie en raison des difficultés de cohabitation y rencontrées, elle a vécu au sein de la Fédération de Russie exclusivement dans la région de Krasnodar, d’après ses propres déclarations « notoirement connue pour être théâtre d’agression raciste touchant particulièrement les arméniens et les turques meskètes », et les persécutions qu’elle allègue se limitent essentiellement à cette même région. La demanderesse reste en défaut d’établir qu’elle ne peut pas trouver refuge à l’heure actuelle dans une autre partie de la Fédération de Russie, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2003, v° Etrangers, n° 45 et autres références y citées) Il suit de ce qui précède que la demanderesse n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. SCHROEDER, premier juge, M. SPIELMANN, juge, Mme GILLARDIN, juge, et lu à l’audience publique du 25 août 2004 par le premier juge en présence de M.

MAY, greffier en chef de la Cour administrative, greffier assumé.

s. MAY s. SCHROEDER 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17673
Date de la décision : 25/08/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-08-25;17673 ?

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