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04/08/2004 | LUXEMBOURG | N°18457

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 août 2004, 18457


Numéro 18457 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 juillet 2004 Audience publique du 4 août 2004 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre un arrêté du ministre de la Justice en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18457 du rôle, déposée le 26 juillet 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au

tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nation...

Numéro 18457 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 juillet 2004 Audience publique du 4 août 2004 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre un arrêté du ministre de la Justice en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18457 du rôle, déposée le 26 juillet 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité guinéenne, actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, tendant à la réformation d’un arrêté du ministre de la Justice du 8 juillet 2004 prononçant à son encontre une mesure de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 juillet 2004;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 2 août 2004 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH pour compte de Monsieur …;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 août 2004;

Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté entrepris;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 4 août 2004.

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Le 8 juillet 2004, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il ressort de la fiche de renseignement afférente du 9 juillet 2004 qu’une recherche dans la banque de données EURODAC révéla que Monsieur … avait déjà introduit des demandes en obtention du statut de réfugié à Bruxelles en date du 1er octobre 2003 et à Dortmund en date du 18 février 2004.

Le 8 juillet 2004, le ministre de la Justice, ci-après désigné par le « ministre », ordonna à l’encontre de Monsieur … une mesure de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois. La décision de placement est fondée sur les considérations et motifs suivants :

« Vu le rapport n° 15/1932/04/ARGU du 8 juillet 2004 établi par le Service de Police Judiciaire, section Police des Etrangers et des Jeux ;

Considérant que l’intéressé n’est pas en possession d’un document de voyage valable ;

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels suffisants ;

- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

Considérant que l’intéressé a déposé une demande d’asile au Luxembourg en date du 8 juillet 2004 ;

- qu’il est signalé au système EURODAC comme ayant déposé des demandes d’asile en Belgique en date du 1er octobre 2003, ainsi qu’en Allemagne en date du 19 février 2004 ;

- qu’une demande de reprise en charge en vertu du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 sera adressée aux autorités belges respectivement allemandes dans les meilleurs délais ;

- qu’en attendant l’accord de reprise un éloignement immédiat n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ».

En date du 12 juillet 2004, le ministre de la Justice soumit à l’autorité belge compétente une demande de reprise en charge de Monsieur … en se prévalant de la prédite demande d’asile présentée par celui-ci le 1er octobre 2003 à Bruxelles. A défaut de réponse de la part des autorités belges, le ministre leur communiqua, par courrier du 27 juillet 2004 qu’il considérerait que la Belgique avait accepté tacitement la reprise en charge de Monsieur … par l’expiration du délai de réponse et qu’une date allait leur être communiquée dans les plus brefs délais concernant les modalités du transfert. En date du même jour, le ministre de la Justice saisit le service de police judiciaire de la demande d’organiser le transfert de Monsieur … vers la Belgique.

Par requête déposée le 26 juillet 2004, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de l’arrêté ministériel de placement du 8 juillet 2004.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.

l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre un arrêté ordonnant une rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre l’arrêté ministériel du 8 juillet 2004.

S’il est vrai que c’est à juste titre que le délégué du gouvernement relève que le demandeur a été remis aux autorités belges en date du 30 juillet 2004 et que le recours est ainsi devenu sans objet dans la mesure où il tend à la libération du demandeur ou subsidiairement à son placement dans un autre établissement plus approprié, c’est également à juste titre que le demandeur soutient qu’il garde néanmoins un intérêt à obtenir une décision relativement à la légalité de la mesure de placement de la part de la juridiction administrative, puisqu’en vertu d’une jurisprudence constante des tribunaux judiciaires, respectivement la réformation ou l’annulation des décisions administratives individuelles constitue une condition nécessaire pour la mise en œuvre de la responsabilité des pouvoirs publics du chef du préjudice causé au particulier par les décisions en question (cf. trib. adm.

24 janvier 1997, n° 9774 du rôle, Pas. adm. 2003, v° Procédure contentieuse, n° 11 et autres références y citées). Il s’ensuit que le recours est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi dans la mesure des moyens de légalité soulevés.

Le demandeur reproche d’abord au ministre une insuffisance des démarches accomplies en vue de son éloignement, vu que sa reprise n’aurait été sollicitée auprès des autorités belges que six jours après le dépôt de sa demande d’asile le 8 juillet 2004. Il soutient qu’en application des articles 16, 1. c) et 20, 1. b) et c) du règlement CE n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des États membres par un ressortissant d'un pays tiers, ci-après désigné par le « règlement CE 343/2003 », il aurait pu être éloigné vers la Belgique et que l’arrêté entrepris du 8 juillet 2004 « n’indique pas la date réalisable du transfert du requérant en Belgique » et ne comporte aucun motif justifiant l’impossibilité de procéder à l’exécution de la mesure de refoulement. Il allègue encore qu’il aurait pu être refoulé vers la Belgique conformément aux dispositions des accords de réadmission du Benelux et de l’article 12 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1° l’entrée et le séjour des étrangers ; 2° le contrôle médical des étrangers ; 3° l’emploi de la main-d’œuvre étrangère.

Il n’est pas contesté en cause que le demandeur avait déposé une demande d’asile en Belgique le 1er octobre 2003. Il s’ensuit que le demandeur tombe directement dans les prévisions de l’article 16, 1. c) du règlement CE 343/2003 en tant que ressortissant d'un pays tiers dont la demande d’asile est en cours d'examen en Belgique et qui se trouve, sans en avoir reçu la permission, sur le territoire d'un autre État membre, à savoir le Grand-Duché de Luxembourg.

Dans la mesure où le prédit règlement CE 343/2003 est un texte de droit communautaire régissant spécifiquement les droits et obligations des Etats membres de l’Union européenne face aux ressortissants d’Etats tiers ayant déposé une demande d’asile sur le territoire de l’Union européenne, il doit trouver application en l’espèce en tant que loi spéciale par dérogation à toute disposition de droit international ou interne régissant d’une manière plus générale le statut des ressortissants d’Etats tiers (trib. adm. 13 juin 2003, n° 16508, non encore publié).

Il s’ensuit que c’est à juste titre que le ministre a eu recours en l’espèce à la procédure spécifique instaurée par l’article 20 dudit règlement CE 343/2003 en soumettant aux autorités belges une demande de reprise en charge préliminairement à l’exécution de toute mesure d’éloignement. Etant donné encore que le même article 20 impose à l’Etat membre sollicitant une reprise en charge de soumettre d’abord, avant tout transfert effectif de la personne concernée, une requête afférente à l’autorité compétente de l’Etat membre requis et que celui-ci dispose d’un certain délai pour procéder aux vérifications nécessaires et répondre à cette requête, il en découle nécessairement une impossibilité pour l’Etat membre demandeur de procéder à l’éloignement immédiat de la personne visée durant le dit délai à disposition de l’Etat requis. Le moyen du demandeur relatif à une possibilité d’éloignement immédiat sur base du règlement CE 343/2003 laisse partant d’être fondé.

Concernant le délai entre le dépôt de la demande d’asile du demandeur et l’envoi de la demande de reprise en charge à l’autorité compétente belge, force est de constater que le dépôt de la demande d’asile a eu lieu le jeudi 8 juillet 2004, que le résultat de la recherche dans la banque de données a été confirmé le lendemain, vendredi 9 juillet 2004, et que la demande de reprise a été envoyée le prochain jour ouvrable, à savoir le lundi 12 juillet 2004.

Dans ces circonstances, le délai de cinq jours entre le dépôt de la demande d’asile et l’émission de la demande de reprise ne témoigne nullement d’une insuffisance des démarches entreprises, de manière que le moyen afférent du demandeur est également à écarter.

Le demandeur critique ensuite le fait qu’il aurait été placé au début de sa rétention dans une cellule du pavillon P1 prévu pour les détenus et estime que son placement ainsi opéré au Centre pénitentiaire de Schrassig serait disproportionné au regard de l’article 15 de la loi prévisée du 28 mars 1972 alors qu’il ne s’agirait pas d’un établissement approprié.

Le délégué du gouvernement précise que le demandeur, placé le 8 juillet 2004, aurait été transféré dès le 9 juillet 2004 en cours de matinée au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière et il soutient que le placement temporaire au Centre pénitentiaire ne constituerait pas une cause d’annulation d’une mesure de placement.

Il se dégage du libellé de la décision de placement litigieuse que le ministre de la Justice a expressément ordonné le placement de l’intéressé au « Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière » et non pas au Centre pénitentiaire de Luxembourg.

Il y a dès lors lieu de conclure que le fait non contesté d’une détention pendant un jour audit Centre pénitentiaire constitue non pas une cause d’annulation de ladite décision, mais tout au plus un problème lié à l’exécution temporaire de ladite décision, le cas échéant susceptible de justifier une action en dédommagement du préjudice que le demandeur a pu subir, l’action afférente relevant non pas de la sphère de compétence des juridictions de l’ordre administratif, mais de la compétence exclusive des juridictions de l’ordre judiciaire (trib.

adm. 29 juillet 2004, n° 18448, non encore publié).

Enfin, le demandeur estime que la mesure de placement constituerait une mesure disproportionnée, l’esprit de la loi prévisée du 28 mars 1972, ainsi que les travaux parlementaires étant à interpréter dans le sens que le pouvoir exécutif devrait mettre en place une structure spécifique et appropriée pour accueillir les personnes retenues dans l’attente de leur éloignement du pays. Il ajoute à cet égard qu’il « partage en fait la partie commune de Schrassig avec les détenus de droit commun ».

Il est constant que le demandeur a été transféré en date du 9 juillet 2004 au Centre de séjour provisoire dans la partie destinée exclusivement aux étrangers en situation irrégulière.

Force est de constater que le Centre de séjour provisoire est à considérer comme constituant un établissement approprié au sens de la loi précitée de 1972, étant donné qu’il n’existait aucun élément qui permette de garantir au ministre de la Justice sa présence au moment de son éloignement et qu’il n’a fait état d’aucun autre élément ou circonstance particuliers justifiant à son égard le caractère inapproprié du Centre de séjour provisoire, de sorte que le moyen afférent est également à rejeter.

Il découle des développements qui précèdent que le recours n’est fondé en aucun de ses moyens de légalité et est partant à rejeter comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties, déclare le recours en réformation sans objet dans la mesure où il tend à la libération du demandeur ou subsidiairement à son placement dans un autre établissement plus approprié, le reçoit en la forme dans la mesure des moyens de légalité soulevés, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, Mme THOMÉ, juge, et lu à l’audience publique du 4 août 2004 par le vice-président en présence de M.

LEGILLE, greffier.

LEGILLE CAMPILL 5


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 18457
Date de la décision : 04/08/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-08-04;18457 ?

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