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04/08/2004 | LUXEMBOURG | N°18381

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 août 2004, 18381


Numéro 18381 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 juillet 2004 Audience publique du 4 août 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18381 du rôle, déposée le 12 juillet 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau

de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le 5 février 1975 à Bagda...

Numéro 18381 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 juillet 2004 Audience publique du 4 août 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18381 du rôle, déposée le 12 juillet 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le 5 février 1975 à Bagdad (Irak), de nationalité irakienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 9 avril 2004 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme étant manifestement infondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 10 juin 2004 prise sur recours gracieux;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 juillet 2004;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 4 août 2004.

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Ayant été appréhendé le 25 février 2004 par des agents de la police grand-ducale, Monsieur Mehamed …, préqualifié, fit l’objet d’une mesure de rétention administrative au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à partir du 26 février 2004.

Au cours de cette rétention, il introduisit oralement une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu en date du 6 avril 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice l’informa par décision du 9 avril 2004, notifiée le 16 avril suivant, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« Il résulte de vos déclarations à la police des Etrangers que vous auriez quitté l’Iraq pour la Turquie et l’Italie. Vous auriez vécu et travaillé un an et demi en Italie. Vous seriez venu au Luxembourg d’Italie, via la Suisse et la France.

Il résulte de vos déclarations à l’agent du Ministère de la Justice que vous auriez quitté l’Iraq il y a un an et deux mois. Vous auriez vécu et travaillé par la suite en Italie pendant un an.

Votre avocat a fait parvenir votre demande en obtention du statut de réfugié par courrier envoyé le 30 mars 2004.

Vous exposez que vous n’auriez pas fait votre service militaire et que ceci serait la cause de votre départ d’Iraq. Vous dites que les Américains vous auraient demandé de rejoindre leurs rangs. Vous dites aussi que le nouveau gouvernement iraquien risque de vous obliger à accomplir votre service militaire et à combattre les Américains.

Vous auriez également quitté l’Iraq pour avoir une vie meilleure, travailler et fonder une famille. Vous dites aussi que tout est détruit à Bagdad et que vous ne reconnaîtriez sûrement plus votre maison.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi. Et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par contre, selon l’article 9, alinéa 1 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile. » Je constate d’abord que vous dites avoir détruit tous les documents d’identité que vous possédiez et qui prouvaient que vous étiez iraquien. Vous prétendez une totale méconnaissance de la langue française, alors que, lors de l’audition avec l’agent du Ministère de la Justice, vous avez à plusieurs reprises répondu directement à une question posée en français et sans attendre la traduction. Ceci laisse présager un doute quant à votre véritable origine.

En ce qui concerne vos craintes de devoir effectuer votre service militaire, elles sont dénuées de fondement étant donné la situation actuelle en Iraq. Il est exclu que les forces américaines vous recrutent de force et un gouvernement purement iraquien, pour lequel vous devriez effectuer votre service militaire régulier, n’a pas encore été mis en place.

Il résulte de plus de votre audition que vous souhaitez une vie meilleure, un travail et la possibilité de fonder une famille. Il est donc clair que des motifs économiques sous-

tendent votre demande d’asile. Ces motifs n’entrent pas dans le cadre de la Convention de Genève.

Votre demande ne correspond donc à aucun des critères de la Convention de Genève.

Finalement, je note que vous avez déposé votre demande d’asile alors que vous faisiez l’objet d’une mise à la disposition du Gouvernement et d’une expulsion imminente. Si vous aviez réellement été persécuté en Iraq, vous auriez pu déposer une demande d’asile en Italie où vous avez séjourné et travaillé pendant un an ou un an et demi, selon les versions que vous avez données.

Or, selon l’article 6. 2) e) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, « Une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ; tel est le cas lorsque le demandeur a, ayant eu largement au préalable l’occasion de présenter une demande d’asile, présenté la demande en vue de prévenir une mesure d’expulsion imminente.

Votre demande est donc à considérer comme abusive et elle est donc refusée comme manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 14 mai 2004, parvenu au ministère de la Justice le 18 mai suivant, ayant été rencontré par une décision confirmative du ministre du 10 juin 2004, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation à l’encontre de la décision ministérielle initiale du 9 avril 2004 et de celle confirmative du 10 juin 2004 par requête déposée le 12 juillet 2004.

L’article 10 (3) de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours en annulation en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées, le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose qu’il aurait été appréhendé par la police luxembourgeoise alors qu’il aurait eu l’intention de rejoindre l’Allemagne pour y déposer une demande d’asile. Il fait valoir que sa demande d’asile serait motivée par son refus d’accomplir son service militaire pour des raisons de conscience, que les autorités nationales et internationales en place en Irak seraient impuissantes d’assurer un minimum de sécurité aux habitants, que la situation serait plutôt « chaotique et violente » et qu’il ne souhaiterait pas effectuer son service militaire « tant pour sa sécurité que pour des raisons de conscience sous commandement des autorités américaines ». Il reproche au ministre une erreur dans l’appréciation des faits et soutient que sa demande d’asile ne reposerait pas sur des faits manifestement incrédibles ou sur une crainte manifestement dénuée de fondement, mais que tant la situation générale en Irak que sa situation personnelle démontreraient que sa demande rentrerait dans les prévisions de la Convention de Genève.

Le demandeur de critiquer encore le motif de rejet tiré du dépôt de sa demande d’asile après avoir fait l’objet d’une mesure de rétention administrative et face à l’imminence d’une expulsion dans son pays d’origine. Il renvoie à cet égard à ses déclarations faites au moment de son appréhension par les agents de la police concernant son intention d’aller solliciter l’asile en Allemagne et il admet qu’il « n’avait pas le choix de déterminer l’Etat compétent de sa demande d’asile à savoir l’Allemagne, au sens de la Convention, alors qu’il n’avait déposé aucune demande d’asile dans un autre pays membre », entraînant que le Luxembourg serait compétent pour analyser le bien-fondé sa demande d’asile.

Le délégué du gouvernement rétorque que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New-York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».

En vertu de l’article 3 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de craintes de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motifs de sa demande.

Lorsque le demandeur invoque la crainte d’être persécuté dans son propre pays, mais qu’il résulte des éléments et des renseignements fournis que le demandeur n’a aucune raison objective de craindre des persécutions, sa demande peut être considérée comme manifestement infondée ».

Une demande d’asile basée exclusivement sur des motifs d’ordre personnel et familial ou sur un sentiment général d’insécurité sans faire état d’un quelconque fait pouvant être considéré comme constituant une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève est à considérer comme manifestement infondée (trib. adm. 19 juin 1997, n° 10008 du rôle, Pas. adm. 2002, v° Etrangers, n° 93 et autres références y citées ;

trib. adm. 22 septembre 1999, n° 11508 du rôle, Pas. adm. 2002, v° Etrangers, n° 91 et autres références y citées).

En l’espèce, la décision ministérielle est légalement justifiée par le fait que l’insoumission du demandeur, par ailleurs simplement alléguée, n’est manifestement pas, en elle-même, un motif suffisant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A,2. de la Convention de Genève. En outre, il n’est pas établi qu’actuellement le demandeur risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, d’autant plus qu’un gouvernement intérimaire vient d’être mis en place en Irak.

En l’espèce, le demandeur se réfère d’une manière générale à l’insécurité caractérisée régnant en Irak. Or, une situation de conflit interne violent ou généralisé ne peut en effet, à elle seule, justifier la reconnaissance du statut de réfugié étant donné que la crainte de persécution, outre de devoir toujours être fondée sur l’un des motifs de l’article 1er, section A de la Convention de Genève, doit également avoir un caractère personnalisé. Pourtant, le demandeur reste manifestement en défaut d’établir qu’il risque individuellement de faire l’objet de discriminations ou de maltraitances, voire qu’il a concrètement recherché la protection de la part des autorités publiques, ainsi que, le cas échéant, un refus éventuel d’une telle protection pour l’un des motifs visés par la Convention de Genève.

Il s’ensuit que le demandeur n’a pas fait état d’un quelconque fait pouvant être considéré comme constituant une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, de manière que le ministre a valablement pu retenir que sa demande d’asile ne répond à aucun critère de fond définis par la Convention de Genève. Etant donné que les décisions litigieuses se justifient par ce seul motif, l’examen de l’autre motif et du moyen afférent est devenu superfétatoire et le recours sous analyse est dès lors à rejeter comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, Mme THOMÉ, juge, et lu à l’audience publique du 4 août 2004 par le vice-président en présence de M.

LEGILLE, greffier.

LEGILLE CAMPILL 5


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 18381
Date de la décision : 04/08/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-08-04;18381 ?

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