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21/07/2004 | LUXEMBOURG | N°17727

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 juillet 2004, 17727


Numéro 17727 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 mars 2004 Audience publique du 21 juillet 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17727 du rôle, déposée le 10 mars 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Or

dre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Fédération de Russie), de na...

Numéro 17727 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 mars 2004 Audience publique du 21 juillet 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17727 du rôle, déposée le 10 mars 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Fédération de Russie), de nationalité et de citoyenneté russes, demeurant actuellement à L-… , tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 1er décembre 2003 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 2 février 2004 prise sur recours gracieux;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 mai 2004;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Edmond DAUPHIN et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 12 juillet 2004.

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Le 31 décembre 2002, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut entendu en date du 4 juin 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice l’informa par décision du 1er décembre 2003, notifiée par courrier recommandé du 5 décembre suivant, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« En mains le rapport du service de police judiciaire du même jour et le rapport d’audition d’un agent du ministère de la Justice du 4 juin 2003.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté Moscou le 27 décembre 2002 pour venir en minibus à Luxembourg. Vous ne pouvez donner aucune précision quant à votre trajet.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 31 décembre 2002.

Monsieur, vous exposez que vous auriez suivi une formation militaire auprès du département militaire de l’Institut de Métallurgie de Sibérie où vous auriez fait vos études.

Vous auriez été co-président, avec un certain… , de la section régionale du parti RPZ, parti des Verts de Russie.

Vous exposez que votre parti aurait participé à la campagne électorale présidentielle depuis le 16 mars 2001. Dans le cadre de cette campagne, vous auriez manifesté votre opposition à Viatcheslav CHTYROV, président en exercice de la République de Sakka-

Iakoutie et candidat à sa propre succession.

Le 8 octobre 2001, … et vous-même auriez été agressés par une patrouille alors que vous circuliez en voiture. La patrouille aurait mis le feu à votre véhicule.

Vous auriez été arrêté une autre fois à l’occasion d’une réunion électorale et condamné à quinze jours de rétention administrative.

Après les élections du 13 janvier 2002 qui ont consacré la victoire de CHTYROV, vous auriez contesté ce résultat. Lors d’une réunion de parti, six à sept personnes en tenue de camouflage auraient interrompu la réunion parce que votre parti n’aurait pas, à ce moment-là, été enregistré officiellement. Les agents en tenues de camouflage vous auraient emmené, avec les participants à la réunion, au département des affaires intérieures et vous auraient conseillé de cesser cette contestation. Finalement, le ton serait monté et vous auriez été arrêté et placé en détention pendant cinq jours.

Le 26 février 2002, une fois encore, des agents de milice auraient fait irruption au siège de votre parti, auraient mis les locaux à sac et vous auraient placé trois jours en détention.

Le 27 juillet 2002, vous auriez entamé une grève de la faim, vous auriez à nouveau été arrêté et condamné cette fois à quinze jours d’incarcération administrative. Vous précisez qu’à chaque arrestation, vous auriez subi des mauvais traitements.

Vous vous seriez réfugié à Moscou, mais vous auriez quitté cette ville par crainte des contrôles d’identité. Vous pensez que vous êtes inculpé dans une affaire pénale mais vous dites en ignorer le chef d’accusation.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je constate d’abord que vous aviez dit aux autorités luxembourgeoises n’avoir qu’un passeport international expiré, alors qu’il résulte des renseignements en notre possession que vous avez présenté au Danemark un passeport délivré le 1er décembre 1998 et valable jusqu’au 1er décembre 2003. Ce passeport n’était donc nullement périmé au moment du dépôt de votre demande d’asile au Luxembourg. Ce passeport est d’ailleurs muni de visas pour la France et pour la Bulgarie.

Ceci jette évidemment le discrédit sur toutes vos déclarations.

En ce qui concerne celles-ci, je remarque qu’il est peu crédible qu’un parti, que vous dites non encore enregistré après les élections présidentielles de 2002, ait pu participer à la campagne électorale préalable à ces élections.

Pour le surplus, vous vous prétendez mis en examen, mais vous ignorez le motif de cette inculpation. Vous dites avoir porté plainte au Parquet au mois de décembre 2002, mais vous ajoutez que cela n’a aucun sens de faire appel à la justice russe. Vous précisez aussi qu’un avocat ne vous aurait été d’aucune utilité dans ces démarches. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il y a pas mal de contradictions dans votre récit. Celui-ci est surtout basé sur des suppositions et on ne peut en déduire un quelconque risque de persécution au sens de la Convention de Genève. Tout au plus peut-on assimiler vos dires à un sentiment d’insécurité, lequel ne fonde pas non plus une persécution au sens de la Convention précitée.

Il ne résulte pas de votre dossier qu’il vous aurait été impossible de vous installer dans une autre partie de la Fédération de Russie et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 8 janvier 2004 ayant été rencontré par une décision confirmative du ministre du 2 février 2004, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions ministérielles initiale du 1er décembre 2003 et confirmative du 2 février 2004 par requête déposée le 10 mars 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur renvoie aux moyens par lui soumis au ministre à travers son recours gracieux et il fait valoir qu’il ressortirait du rapport de son audition qu’il aurait fait l’objet d’arrestations arbitraires et de violences de la part des autorités étatiques basées à Prokopievsk en raison de l’exercice de ses droits politiques. Il ajoute qu’il risquerait d’être « à brève échéance broyé par le système » composé par de nombreux hauts fonctionnaires qui étaient sous l’ancien régime membres de la police politique et qu’une fuite interne ne serait pas possible au vu du risque constant de se faire repérer.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2003, v° Recours en réformation, n° 11).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 4 juin 2003, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, le ministre a relevé dans la décision entreprise du 1er décembre 2003 que, contrairement à ses déclarations lors de son audition, le demandeur avait déjà présenté au Danemark un passeport délivré le 1er décembre 1998 et valable jusqu’au 1er décembre 2003 et muni de visas pour la France et la Bulgarie et le demandeur n’a pas utilement contesté cet élément, de manière que la crédibilité de son récit s’en trouve affectée. S’y ajoute que le délégué du gouvernement a encore souligné que le demandeur a déclaré avoir adhéré au parti RPZ en 2000 et avoir participé à la campagne électorale pour l’élection présidentielle de début 2002 même avant l’immatriculation du dit parti au cours de la même année.

En outre, même en admettant la réalité des persécutions alléguées par le demandeur, les risques par lui avancés se limitent à sa république d’origine. S’il fait valoir une crainte vague d’être renvoyé dans sa république d’origine s’il s’installait dans une autre république de la Fédération de Russie, il n’empêche que le demandeur n’a pas concrètement établi qu’il lui serait impossible de s’établir dans une autre partie de ladite Fédération sans être exposé à un risque réel de persécution. Or, la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité d’un demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit pouvoir être pris en compte dans le cadre de l’examen d’une demande d’asile (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240, Pas. adm. 2003, v° Etrangers, n° 45 et autres références y citées).

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, Mme GILLARDIN, juge, et lu à l’audience publique du 21 juillet 2004 par le vice-président en présence de M.

Schmit, greffier.

SCHMIT CAMPILL 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17727
Date de la décision : 21/07/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-07-21;17727 ?

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