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15/07/2004 | LUXEMBOURG | N°18357

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 juillet 2004, 18357


Tribunal administratif Numéro 18357 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 juillet 2004 Audience publique extraordinaire du 15 juillet 2004 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18357 du rôle, déposée le 8 juillet 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit

au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Nigér...

Tribunal administratif Numéro 18357 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 juillet 2004 Audience publique extraordinaire du 15 juillet 2004 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18357 du rôle, déposée le 8 juillet 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Nigéria), de nationalité nigériane, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 28 juin 2004 instituant à son égard une mesure de placement pour la durée maximum d’un mois audit Centre de séjour provisoire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 juillet 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 12 juillet 2004 au nom et du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître François MOYSE et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 14 juillet 2004.

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Le 28 juin 2004, le ministre de la Justice ordonna à l’encontre de Monsieur … une mesure de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois. La décision de placement est fondée sur les considérations et motifs suivants :

« Vu le rapport no SP15-1812-2004-JOA du 28 juin 2004 établi par la Police Judiciaire – section des étrangers ;

1Considérant qu’en date du 28 juin 2004, l’intéressé a été intercepté par le Service de la Police Judiciaire – section des étrangers ;

Considérant que l’intéressé est démuni de toute pièce d’identité et de voyage valable ;

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels légalement acquis ;

- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

Considérant qu’en attendant le résultat des recherches quant à l’identité et à la situation de l’intéressé, l’éloignement immédiat n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 juillet 2004, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 28 juin 2004.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.

l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision litigieuse. Le recours est également recevable pour avoir été déposé dans les formes et délai prévus par la loi.

Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.

A l’appui de son recours le demandeur fait exposer être arrivé au Grand-Duché de Luxembourg le 26 juin 2004 en provenance de son pays d’origine, le Nigeria, et qu’il aurait quitté celui-ci en raison du fait qu’il y aurait subi des persécutions. Il indique s’être dirigé vers le Luxembourg avec l’intention d’y déposer une demande d’asile, mais qu’à son arrivée, le bureau d’accueil pour demandeurs d’asile situé à Luxembourg-Gare, dans la galerie Kons aurait été fermé puisqu’il serait arrivé un samedi. Il aurait ainsi été contraint d’attendre l’ouverture du bureau d’accueil, le lundi 28 juin 2004, pour déposer sa demande. Monsieur … fait relever plus particulièrement qu’il se serait rendu au bureau d’accueil situé au 3ième étage de la galerie Kons lorsqu’il aurait été contrôlé par des agents de la police et que, ayant été dans l’impossibilité de s’identifier, il aurait indiqué aux policiers qu’il était demandeur d’asile et qu’il souhaitait déposer une demande d’asile audit bureau d’accueil. Cependant, en l’absence de document permettant de l’identifier, la police l’aurait arrêté et ignoré sa demande d’asile.

Il estime que dans ces circonstances les conditions de l’article 12 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée n’auraient pas été remplies, de sorte qu’il n’y aurait pas eu de décision de refoulement implicite pourtant requise à la base de la décision litigieuse. Il fait valoir en outre qu’il serait à qualifier de demandeur d’asile au sens de la Convention de Genève, de sorte qu’en vertu de l’article 13 (2) de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, un éloignement ne pourrait pas avoir lieu dans son chef au cours de la procédure d’examen de sa demande. Il relève d’autre part qu’il ne résulterait pas du dossier que les dispositions de l’article 15, alinéas 5 et 6 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée auraient été respectées, ce qui devrait entraîner la nullité de toute la procédure.

2Quant à la motivation de la décision litigieuse, il estime que le fait d’une insuffisance de moyens personnels d’existence serait insuffisant pour justifier une mesure de rétention administrative à son encontre, ceci compte tenu de sa qualité de demandeur d’asile, de même qu’un éventuel danger de fuite, voire une susceptibilité de se soustraire à une mesure d’éloignement, laisseraient également d’être établis, vu qu’il serait entré sur le territoire luxembourgeois avec l’intention d’y déposer une demande d’asile et de rester au pays. Il conclut finalement qu’en l’absence de danger établi pour la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics, son placement dans un Centre pénitentiaire serait disproportionné et que le ministre resterait en défaut de justifier d’une absolue nécessité commandant son incarcération.

Le délégué du Gouvernement rétorque qu’il se dégage du rapport dressé par la police grand-ducale en date du 28 juin 2004 que Monsieur … a fait l’objet d’un contrôle d’identité devant l’enceinte même de la gare et qu’il n’a à aucun moment précisé vouloir déposer une demande d’asile au Luxembourg. Dans la mesure où il se trouvait en situation irrégulière, démuni de pièce d’identité et de moyens d’existence suffisants, les conditions pour un placement telles que prévues à l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée auraient dès lors été remplies. Il relève en outre que si par la suite, c’est-à-dire postérieurement à son placement, Monsieur … a introduit une demande d’asile, cette circonstance ne serait pas de nature à affecter ex post la validité de la mesure de placement. Il conclut pour le surplus au caractère approprié du Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, lequel ne serait pas à considérer comme un établissement pénitentiaire, mais aurait été créé précisément pour placer des étrangers en situation irrégulière dans l’attente de leur éloignement. Il soutient en outre qu’il n’y aurait pas en l’espèce violation de l’article 33 de la Convention de Genève, alors que la mesure litigieuse n’a pas pour objet un éloignement de l’intéressé pendant l’examen d’une demande d’asile, étant donné que celui-ci n’avait pas présenté de demande d’asile au moment où il a été placé.

Dans son mémoire en réplique le demandeur insiste sur une différence fondamentale entre sa propre version de son interception et celle relatée dans le rapport de la police invoqué par le délégué du Gouvernement pour soutenir qu’un doute afférent subsisterait sur la réalité des circonstances de cette interpellation. Il fait relever en outre que d’après les indications dudit rapport les agents étaient à la recherche d’étrangers en situation illégale mais qu’en vertu de l’article 45 du code d’instruction criminelle, les contrôles d’identité ne pourraient se faire que s’il y a un indice que la personne commette, ait commis ou va commettre une infraction ou si elle peut fournir des renseignements relatifs à une enquête ou bien si elle est recherchée, mais qu’en l’espèce il ne ressortirait pourtant pas dudit rapport que lui-même aurait pu être suspecté d’être un délinquant. Il conclut partant au caractère illégal de cette vérification d’identité. Le demandeur fait relever d’autre part qu’il est clair qu’à 7.30 heures du matin le bureau d’accueil pour demandeurs d’asile n’était pas encore ouvert, de sorte qu’il lui avait été matériellement impossible de déposer sa demande au moment du contrôle par la police et que cette dernière l’aurait donc réellement empêché de déposer sa demande d’asile, ce qui serait constitutif d’une violation de la Convention de Genève.

Le rapport de la police dressé le 28 juin 2004 et invoqué à l’appui de la décision litigieuse est de la teneur suivante :

« Am heutigen Morgen kontrolliierte Unterzeichneter zusammen mit den Kollegen… , … das Bahnhofsviertel in Bezug auf illegale Personen.

3Um 07.30 Uhr trafen wir vor dem Haupteingang zum Bahnhofsgebäude auf die oben angeführte Person afrikanischer Herkunft, welche uns Nachstehendes zu ihrer Person beziehungsweise zu ihrer Herkunft und Aufenthalt berichtete. Es sei diesbezüglich wichtig darauf hinzuweisen, dass … die Absicht hatte das Bahnhofsgebäude zu betreten und keinesfalls beabsichtigte sich in die Galerie Kons zu begeben.

„Ich stamme aus Nigeria. Ich bin nicht im Besitz irgendwelcher Ausweispapiere. Mein Pass befindet sich in Nigeria.

Vor kurzer Zeit verliess ich Nigeria mit dem Flugzeug.

Über den Reiseweg vermag ich nichts auszusagen.

Am gestrigen Tage kam ich in Luxemburg an. Ich kann Ihnen beim besten Willen nichts sagen wie ich nach Luxemburg gelangte. Ich beabsichtige hier zu bleiben.

Demzufolge erwarte ich mir von Ihnen, dass Sie mir helfen. » In Bezug au … sei gesagt, dass derselbe wie bereits zuvor … und … ständig eine andere Story hinsichtlich seiner Herkunft bzw. seines bisherigen Aufenthaltes in Europa erzählte.

Indem sich derselbe hierlands illegal aufhielt, wären seitens dortiger Stelle einige Massnahmen zu treffen.“ Au regard de la force probante légalement conférée au contenu du susdit rapport, qui a été établi par un officier de police judiciaire ayant reçu de la loi le pouvoir de constater les infractions jusqu’à inscription de faux, pareille inscription de faux, en bonne et due forme, n’ayant pas été formulée en cause, il y a lieu de retenir que ni les déclarations et allégations faites par le demandeur – pour le surplus partiellement incohérentes et invraisemblables en ce qu’il n’est guère crédible que Monsieur … n’a pu faire aucune déclaration relativement à l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg –, ne sauraient être admis pour prouver contre le contenu dudit rapport (cf. TA 9 juillet 2004, no. 18322 du rôle).

Il s’ensuit que le demandeur ne saurait être suivi en ses moyen et argumentation fondés sur sa prétendue qualité de demandeur d’asile au moment de la prise de la décision querellée.

Ceci étant, force est de constater que suite à son placement au Centre de séjour provisoire, le demandeur a formulé par lettre du 1er juillet 2004 une demande d’asile, sans qu’il ne se dégage cependant d’un quelconque élément d’information soumis au tribunal pour quelle raison, au jour des présentes, le demandeur se trouve toujours en rétention.

Or, étant relevé qu’une mesure de rétention est indissociable de l’attente de l’exécution d’un éloignement d’un étranger non autorisé à séjourner légalement sur le territoire luxembourgeois et sans vouloir dénier le fait qu’un défaut de documents de voyage valables trouvés en possession de l’intéressé pourrait impliquer la nécessité de mesures de vérification afférentes, telles qu’en l’occurrence par consultation du système EURODAC, ou que, même en présence d’un demandeur d’asile, la nécessité de l’organisation des modalités pratiques d’un éloignement, moyennant transfert dans un autre pays sûr, le cas échéant compétent pour 4connaître de sa demande d’asile, pourrait justifier le maintien de la mesure de rétention, il aurait incombé à la partie défenderesse de faire état et de documenter les démarches qu’elle estime requises et qu’elle est en train d’exécuter, afin de mettre le tribunal en mesure d’apprécier si un éloignement valable est possible et en voie d’organisation, d’une part, et que les autorités luxembourgeoises entreprennent des démarches suffisantes en vue d’un éloignement ou transfert rapide du demandeur, c’est-à-dire de façon à écourter au maximum sa privation de liberté, d’autre part.

Faute d’informations relatives à la tenue d’une éventuelle audition sur les motifs à la base de la demande d’asile, voire sur d’autres démarches effectuées ou vérifications en cours depuis le dépôt de la demande d’asile le 1er juillet 2004, le tribunal est amené à retenir qu’au jour où il est appelé à statuer, le bien-fondé du maintien de la mesure de rétention pendant deux semaines laisse d’être établi et le recours est partant fondé sans qu’il n’y ait lieu d’analyser les autres moyens invoqués par le demandeur.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare également justifié ;

partant, par réformation, met fin à la décision du ministre de la Justice du 28 juin 2004 et ordonne la mise en liberté immédiate de Monsieur … ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 15 juillet 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18357
Date de la décision : 15/07/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-07-15;18357 ?

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