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14/07/2004 | LUXEMBOURG | N°18356

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 juillet 2004, 18356


Numéro 18356 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 juillet 2004 Audience publique du 14 juillet 2004 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre un arrêté du ministre de la Justice en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18356 du rôle, déposée le 8 juillet 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tabl

eau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, originaire de Gambie, a...

Numéro 18356 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 juillet 2004 Audience publique du 14 juillet 2004 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre un arrêté du ministre de la Justice en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18356 du rôle, déposée le 8 juillet 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, originaire de Gambie, actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’un arrêté du ministre de la Justice du 28 juin 2004 prononçant à son encontre une mesure de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 juillet 2004;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 12 juillet 2004 par Maître François MOYSE pour compte de Monsieur …;

Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté critiqué;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en sa plaidoirie à l’audience publique du 14 juillet 2004.

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Le 28 juin 2004, le ministre de la Justice ordonna à l’encontre de Monsieur …, préqualifié, une mesure de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois. La décision de placement est fondée sur les considérations et motifs suivants :

« Vu le rapport no SP15-1811-2004-JOA du 28 juin 2004 établi par le Service de Police Judiciaire – section des étrangers ;

Considérant qu’en date du 28 juin 2004, l’intéressé a été intercepté par le Service de Police Judiciaire – section des étrangers ;

Considérant que l’intéressé est démuni de toute pièce d’identité et de voyage valable ;

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels légalement acquis ;

- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

Considérant qu’en attendant le résultat des recherches quant à l’identité et à la situation de l’intéressé, l’éloignement immédiat n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 juillet 2004, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre de l’arrêté ministériel précité du 28 juin 2004.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.

l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit contre la décision litigieuse, lequel est également recevable pour avoir été déposé dans les formes et délai prévus par la loi. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.

Le demandeur soutient d’abord qu’il ne ressortirait pas du dossier qu’il aurait reçu par écrit notification de ses droits dans une langue par lui comprise, de manière que toute la procédure devrait encourir la nullité.

Force est cependant de constater qu’il résulte du procès-verbal de notification de l’arrêté critiqué du 28 juin 2004 (n° 15-1811-04), signé par le demandeur lui-même et produit en cause sur demande du tribunal, qu’il a été informé de son droit de prévenir une personne de son choix, de se faire examiner par un médecin et de se faire assister par un avocat. Il s’ensuit que le moyen laisse d’être fondé en fait.

Le demandeur fait exposer qu’il serait entré sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg le dimanche 27 juin 2004 avec l’intention de déposer une demande d’asile, mais que le bureau d’accueil des demandeurs d’asile situé dans la « Galerie Kons » aurait été fermé, qu’il se serait rendu le lendemain au dit bureau d’accueil lorsqu’il aurait été contrôlé par des agents de la police au bureau d’accueil même et qu’il aurait été arrêté par les dits agents faute de pouvoir exhiber des documents d’identité, alors même qu’il leur aurait indiqué son intention d’introduire une demande d’asile. Il estime que le motif de l’arrêté critiqué du 28 juin 2004 fondé sur la situation irrégulière au pays manquerait en fait au vu de la circonstance qu’il aurait été mis dans l’impossibilité de mettre en exécution son intention de soumettre une demande d’asile en considération du temps d’ouverture réduit du bureau d’accueil. Le demandeur affirme qu’aucune mesure de refoulement ne lui aurait été remise et que les conditions afférentes ne seraient pas remplies en l’espèce au vu de sa situation de demandeur d’asile. Il conteste également l’existence d’un risque de fuite dans son chef en renvoyant à son intention de solliciter l’asile et rechercher ainsi la protection des autorités luxembourgeoises face aux persécutions par lui subies dans son pays d’origine.

Il fait encore valoir qu’en tant que demandeur d’asile et en vertu du principe de non-

refoulement, il ne saurait faire l’objet d’un éloignement du territoire luxembourgeois aussi longtemps qu’il n’aurait pas été définitivement statué sur sa demande d’asile. Il fait finalement valoir que l’incarcération dans un centre pénitentiaire devrait constituer une mesure d’exception et qu’aucune circonstance ne justifierait en l’espèce la nécessité de son placement au centre pénitentiaire de Schrassig.

Le délégué du gouvernement rétorque que le demandeur n’aurait pas demandé le statut de réfugié même après son placement au Centre de séjour provisoire, entraînant que le principe de non-refoulement ne s’opposerait point au placement du demandeur, et que l’ambassade de la République de Gambie aurait été sollicitée sur base des empreintes digitales et d’une fiche signalétique en vue de la délivrance d’un titre d’identité ou d’un laissez-passer permettant son rapatriement, une réponse n’étant cependant pas encore intervenue. Il estime encore qu’une décision de refoulement ne devrait pas être formellement prise, mais qu’elle serait nécessairement sous-jacente à la mesure de placement. Le représentant étatique relève encore que le demandeur se fonderait sur une jurisprudence ancienne pour contester le caractère approprié de son lieu de placement et l’existence d’un risque de fuite dans son chef.

Le demandeur fait répliquer qu’il contesterait la légalité de son interpellation au vu du doute subsistant quant au lieu et aux circonstances de son arrestation. Dans la mesure où il ressortirait du procès-verbal des agents de la police judiciaire qu’il aurait demandé de l’aide aux policiers au vu de sa situation difficile, le demandeur estime que ces derniers auraient mal compris son intention de demander de l’aide pour introduire sa demande d’asile. Le demandeur affirme qu’il ressortirait du même procès-verbal de la police judiciaire que les agents auraient été à la recherche d’étrangers en situation illégale, mais que l’article 45 du Code d’instruction criminelle n’autoriserait les contrôles d’identité qu’en présence d’indices que la personne visée commette, ait commis ou commettrait une infraction, indices qui ne se dégageraient pas des éléments en cause, pour conclure que la vérification d’identité à la base de son arrestation aurait été illégale et qu’en réalité il aurait été illégalement empêché de déposer sa demande d’asile.

Il convient de prime abord de relever que le rapport n° SP15-1811-2004-JOA dressé le 28 juin 2004 par le commissaire de police J. est de la teneur suivante :

« Betrifft :

aufgreifen von …, geboren in Gambia Unterzeichneter J., commissaire des Service de Police Judiciaire, Section Police des Etrangers et des Jeux, beehrt sich nachstehendes zu berichten.

Am heutigen Tag kontrollierte Unterzeichneter zusammen mit den Kollegen B., T.

und M. das Bahnhofsviertel in Bezug auf illegale Personen.

Vor dem Bahnhofsgebäude trafen wir auf die oben angeführte Person afrikanischer Herkunft, welche uns Nachstehendes zu seiner Person beziehungsweise zu seiner Herkunft und Aufenthalt berichtete.

„Ich stamme aus Gambia. Ich bin nicht im Besitz irgendwelcher Ausweispapiere. Ich war nie im Besitz eines Passes. Ich verstehe Englisch, vermag jedoch nicht zu schreiben und zu lesen. Ich verliess zunächst Gambia in Richtung Senegal. Dort verblieb ich einige Zeit.

Anschliessend verliess ich Senegal mit dem Schiff in Richtung Europa.

Wo und wann ich in Europa angelangte, vermag ich nicht anzugeben. Jedenfalls kam ich am gestrigen Tage in Luxemburg an. Ich möchte dass sie mir in meiner schwierigen Situation helfen. Mit weiteren Angaben kann ich ihnen beim besten Willen nicht dienen“.

In Bezug auf … sei gesagt, dass derselbe wie bereits zuvor KEITER ständig eine andere Story hinsichtlich seiner Herkunft bez. betreffend seines bisherigen Aufenthaltes in Europa erzählte.

Indem sich derselbe hierlands illegal aufhält, wären seitens dortiger Stelle geeignete Massnahmen zu treffen ».

Au regard de la force probante légalement conférée au contenu du susdit rapport, qui a été établi par un officier de police judiciaire ayant reçu de la loi le pouvoir de constater les infractions jusqu’à inscription de faux, pareille inscription de faux, en bonne et due forme, n’ayant pas été formulée en cause, il y a lieu de retenir que les déclarations et allégations faites par le demandeur ne sauraient être admises pour prouver contre le contenu dudit rapport.

Il s’ensuit que le demandeur ne saurait être suivi en ses moyen et argumentation fondés sur sa prétendue qualité de demandeur d’asile au moment de la prise de la décision querellée. S’y ajoute que le demandeur n’a pas soumis au tribunal un élément de preuve de nature à établir l’introduction d’une demande d’asile suite à son placement au Centre de séjour provisoire, la prétention de vouloir formuler une telle demande à travers un mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif ne pouvant pas être prise en compte, et que le délégué du gouvernement conteste la soumission d’une demande d’asile auprès des services compétents du ministère de la Justice. Par voie de conséquence, le demandeur ne peut pas utilement se prévaloir de sa qualité de demandeur d’asile et du principe de non-

refoulement pour énerver la validité de la mesure de placement prise à son encontre et que les moyens afférents sont à rejeter.

Quant au moyen du demandeur tendant à voir dire que le contrôle d’identité par lui subi ne respecterait pas l’article 45 du Code d’instruction criminelle, force est de constater que le régime de contrôle dudit article 45 a été établi par le législateur « sans préjudice des dispositions légales et réglementaires concernant les pièces d’identité, l’entrée et le séjour des étrangers et les contrôles aux frontières du territoire national », de manière que les agents de la police ont valablement pu vérifier si le demandeur ne rentrait pas dans l’une des hypothèses visées par l’article 12 de la loi prévisée du 28 mars 1972 justifiant la prise d’une mesure de refoulement à son égard.

Concernant la contestation du demandeur relative à la prise et à la validité d’une mesure de refoulement à son égard, il se dégage de l’article 15, paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972, que lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 et 12 de la même loi est impossible en raison de circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre de la Justice, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée d’un mois.

Il en découle qu’une décision de placement au sens de la disposition précitée présuppose une mesure d’expulsion ou de refoulement légalement prise, ainsi que l’impossibilité d’exécuter cette mesure.

Il est constant en cause qu’en l’espèce la mesure de placement n’est pas basée sur une décision d’expulsion. Il convient partant d’examiner si la mesure en question est basée sur une mesure de refoulement qui, en vertu de l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972, peut être prise, « sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal », à l’égard d’étrangers non autorisés à résidence :

« 1) qui sont trouvés en état de vagabondage ou de mendicité ou en contravention à la loi sur le colportage ;

2) qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ;

3) auxquels l’entrée dans le pays a été refusée en conformité de l’article 2 de [la loi précitée du 28 mars 1972] ;

4) qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis ;

5) qui, dans les hypothèses prévues à l’article 2 paragraphe 2 de la Convention d’application de l’accord de Schengen, sont trouvés en contravention à la loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions ou sont susceptibles de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics ».

Aucune disposition législative ou réglementaire ne déterminant la forme d’une décision de refoulement, celle-ci est censée avoir été prise par le ministre de la Justice à partir du moment où les conditions de forme et de fond justifiant un refoulement, telles que déterminées par l’article 12 de la loi du 28 mars 1972 sont remplies, et où, par la suite, une mesure de placement a été décidée à l’encontre de l’intéressé. En effet, une telle décision de refoulement est nécessairement sous-jacente à la décision de mise à la disposition du gouvernement, à partir du moment où il n’existe pas d’arrêté d’expulsion (trib. adm. 27 juin 2001, n° 13611, confirmé par Cour adm. 10 juillet 2001, n° 13684C, Pas. adm. 2003, v° Etrangers, n° 232).

Encore faut-il que la mesure afférente soit prise légalement, c'est-à-dire pour un des motifs prévus par l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972 auquel renvoie l’article 15.

En l’espèce, parmi les motifs invoqués au moment de la prise de la décision de placement du 28 juin 2004, le ministre a fait état du fait que le demandeur se trouve en séjour irrégulier au pays, qu’il aurait été démuni de tout titre de voyage et de document d’identité valables et qu’il n’aurait pas été en possession de moyens d’existence personnels légalement acquis.

Il est patent en cause que le demandeur ne dispose ni des papiers de légitimation prescrits, ni de moyens d’existence personnels suffisants, de manière à remplir les conditions légales telles que fixées par la loi luxembourgeoise sur base desquelles une mesure de refoulement a valablement pu être prise à son encontre, tout comme il n’a pas pu établir, ainsi que le tribunal a retenu supra, la qualité de demandeur d’asile dans son chef. Il s’ensuit que les conditions justifiant un refoulement sont remplies en l’espèce.

Concernant finalement le moyen du demandeur quant au caractère proportionné de son placement, il est constant, d’après les affirmations non contestées en cause, que par application de la décision litigieuse, le demandeur a été placé, non pas dans un établissement pénitentiaire, mais au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière créé par le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 précité. Or, force est de constater que le Centre de séjour provisoire est à considérer comme un établissement approprié au sens de la loi précitée de 1972, étant donné que le demandeur est en séjour irrégulier au pays, qu’il n’existe aucun élément qui permette de garantir au ministre de la Justice sa présence au moment où il pourra être procédé à son éloignement et qu’il n’a fait état à suffisance de droit d’aucun autre élément ou circonstance particuliers justifiant à son égard un caractère inapproprié du Centre de séjour provisoire.

Il découle de l’ensemble des développements qui précèdent que le recours sous analyse n’est fondé en aucun de ses moyens et doit partant être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, Mme GILLARDIN, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 14 juillet 2004 à 16:30 par le vice-

président en présence de M. LEGILLE, greffier.

LEGILLE CAMPILL 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18356
Date de la décision : 14/07/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-07-14;18356 ?

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