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14/07/2004 | LUXEMBOURG | N°18354

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 juillet 2004, 18354


Tribunal administratif Numéro 18354 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 juillet 2004 Audience publique du 14 juillet 2004 Recours formé par Monsieur …, alias …, Schrassig contre une décision du ministre de la Justice en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18354 du rôle et déposée le 8 juillet 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Mathias PONCIN, avocat à la Cour, assisté de Maître Karima HAMMOUCHE, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsi

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Tribunal administratif Numéro 18354 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 juillet 2004 Audience publique du 14 juillet 2004 Recours formé par Monsieur …, alias …, Schrassig contre une décision du ministre de la Justice en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18354 du rôle et déposée le 8 juillet 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Mathias PONCIN, avocat à la Cour, assisté de Maître Karima HAMMOUCHE, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, alias …, né le 4… à Ain Taya (Algérie), de nationalité algérienne, actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 11 juin 2004 ordonnant son placement audit Centre de séjour pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de la décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 juillet 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé le 13 juillet 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Mathias PONCIN au nom du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Karima HAMMOUCHE et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 14 juillet 2004.

Suite à l’interception de Monsieur …, alias …, en date du 21 novembre 2003, le juge d’instruction auprès du tribunal d’arrondissement de Luxembourg décerna à la même date un mandat de dépôt à son encontre du chef d’infractions aux articles 196, 197, 322, 461, 464, 505, et 496 du Code pénal.

En date du 11 juin 2004, la Chambre du Conseil du tribunal d’arrondissement de Luxembourg ordonna la mise en liberté provisoire de Monsieur ….

Le même jour, le ministre de la Justice ordonna le placement de Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximum d’un 1mois à partir de la notification dudit arrêté dans l’attente de son éloignement du territoire luxembourgeois. Cet arrêté est basé sur les motifs suivants :

Considérant que l’intéressé se trouve en détention préventive jusqu’à ce jour ;

Considérant que l’intéressé est démuni de toute pièce d’identité et de voyage valable ;

Considérant qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels ;

- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

Considérant qu’en attendant le résultat des recherches quant à l’identité et à la nationalité de l’intéressé, l’éloignement immédiat n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ».

Suite à une demande de renseignements adressée en date du 11 juin 2004 par le ministère de la Justice au bureau commun de coopération policière, centre de coopération policière et douanière, de Luxembourg, pour savoir si le demandeur était déclaré et connu en France et s’il était en possession d’un titre ou d’une autorisation de séjour, celui-ci fit savoir que Monsieur … n’était pas connu des services français.

Le 25 juin 2004, les autorités luxembourgeoises présentèrent au Consulat Général d’Algérie à Bruxelles une demande en vue de délivrer un titre d’identité ou un laissez passer à Monsieur …, en vue de permettre son rapatriement vers l’Algérie.

Par requête déposée le 8 juillet 2004, Monsieur … a fait introduire le recours lui ouvert par la loi à l’encontre de l’arrêté ministériel précité du 11 juin 2004.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.

l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre l’arrêté ministériel du 11 juin 2004.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement relève à titre préliminaire que l’arrêté ministériel déféré aurait perdu ses effets en date du 10 juillet 2004, de sorte que dans ces conditions le recours serait actuellement sans objet dans la mesure où il tend à la réformation de la décision ministérielle et où il demande la libération immédiate du demandeur.

S’il est établi qu’en l’espèce ni la réformation, ni l’annulation de la décision litigieuse ne saurait avoir un effet concret, le demandeur garde néanmoins un intérêt à obtenir une décision relativement à la légalité de la mesure de placement de la part de la juridiction administrative, puisqu’en vertu d’une jurisprudence constante des tribunaux judiciaires, respectivement la réformation ou l’annulation des décisions administratives individuelles constitue une condition nécessaire pour la mise en œuvre de la responsabilité des pouvoirs publics du chef du préjudice causé au particulier par les décisions en question (cf. trib. adm.

24 janvier 1997, n° 9774 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Procédure contentieuse, n° 11 et autres références y citées).

Le recours est également recevable pour avoir été déposé dans les formes et délai prévus par la loi.

2 A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir qu’avant de venir au Luxembourg, il aurait déposé une demande d’asile à Lille en France et qu’il s’y trouverait actuellement en instance de régularisation. Il expose qu’il aurait obtenu en France un titre de séjour valable pour trois mois, renouvelable, mais qui ne lui aurait pas permis de travailler. Ainsi, il admet qu’il aurait acquis une fausse carte d’identité dans le but de trouver un emploi et il serait venu au Luxembourg où il aurait travaillé dans la restauration jusqu’à son arrestation.

En droit, il conclut en premier lieu à une absence des conditions pour prononcer une mesure de placement, au motif que l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972, précitée, viserait uniquement un étranger en situation irrégulière et non un demandeur d’asile. Il estime également que la décision déférée le priverait de sa liberté en violation de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Il soutient que la condition prévue par l’article 15, paragraphe 1, alinéa 1er de la loi modifiée du 28 mars 1972 ne serait pas remplie en l’espèce, au motif que l’impossibilité de refoulement n’aurait pas existé dans son chef, alors qu’il aurait pu être refoulé vers la France où il serait en instance de régularisation.

Enfin, le demandeur est d’avis que la mesure de placement constituerait une mesure disproportionnée, au motif que d’après la loi précitée du 28 mars 1972 la rétention devrait s’effectuer dans un établissement « proportionné ». Dans ce contexte, il fait valoir que son frère, qui résiderait à Roubaix en France, serait prêt à le prendre en charge jusqu’au procès et jusqu’à ce que sa situation soit régularisée.

Sur ce, il sollicite la réformation de la décision déférée et sa remise en liberté immédiate, sinon subsidiairement que le tribunal ordonne son placement dans un établissement plus approprié à sa situation personnelle.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement fait valoir à titre subsidiaire et en fait, que le demandeur aurait deux identités différentes, à savoir … et …, qu’il ne serait pas en possession d’une pièce d’identité et de moyens d’existence, de sorte qu’il se serait trouvé en séjour irrégulier au Luxembourg.

En droit, il expose que l’allégation du demandeur relative au dépôt d’une demande d’asile en France où il serait en instance de régularisation serait contredite par les informations fournies par le bureau commun de coopération policière, étant précisé qu’il résulterait des renseignements fournis par ledit centre qu’un dénommé … Reda Malek aurait séjourné en France et que son titre de séjour aurait expiré le 12 juin 2003, de sorte que les autorités françaises n’auraient aucune obligation de reprendre le demandeur. Comme les autorités françaises n’accepteraient pas la reprise du demandeur, la mesure de placement aurait été justifiée, au motif qu’un éloignement vers la France n’aurait pas été possible, et que le rapatriement vers l’Algérie aurait été subordonné à la délivrance d’un laissez passer par les autorités algériennes, une demande afférente ayant été faite en date du 25 juin 2004.

Il précise que le demandeur serait placé dans un établissement approprié pour les étrangers se trouvant en situation irrégulière dans l’attente de leur rapatriement ou transfert vers un autre pays.

3Dans son mémoire en réplique, le mandataire du demandeur rétorque que celui-ci se trouverait toujours détenu à la date du 12 juillet 2004 à la prison de Schrassig, de sorte que le recours garderait tout son objet.

Le demandeur fait encore valoir que les documents en relation avec sa régularisation en France auraient été saisis lors de la perquisition à son domicile. Il estime que l’impossibilité du rapatriement en Algérie ne justifierait pas la mesure de rétention alors que celle-ci devrait rester exceptionnelle. Il estime que le placement au Centre pénitentiaire à Schrassig ne devrait se faire qu’en l’absence d’autres solutions. Enfin, il fait valoir qu’il n’existerait aucune raison de le garder à Schrassig.

Concernant la justification au fond de la mesure de rétention, l’article 15, paragraphe 1, alinéa 1er de la loi modifiée du 28 mars 1972 dispose que : « lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 ou 12 [de la loi du 28 mars 1972] est impossible en raison des circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre de la Justice, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée d’un mois ».

Il en découle qu’une décision de placement au sens de la disposition précitée présuppose une mesure d’expulsion ou de refoulement légalement prise ainsi que l’impossibilité d’exécuter cette mesure en raison de circonstances de fait.

Il est constant qu’en l’espèce, la décision litigieuse n’est pas basée sur une décision d’expulsion et que le dossier tel que soumis en cause ne renseigne pas non plus l’existence d’une décision explicite de refoulement.

Il n’en demeure cependant pas moins qu’aucune disposition législative ou réglementaire ne détermine la forme d’une décision de refoulement, de sorte que celle-ci est censée avoir été prise par le ministre de la Justice à partir du moment où les conditions de forme et de fond justifiant un refoulement, telles que déterminées par l’article 12 de la loi du 28 mars 1972 précitée sont remplies et où, par la suite, une décision de rétention administrative a été prise à l’encontre de l’intéressé. En effet, une telle décision de refoulement est nécessairement sous-jacente à la décision de rétention à partir du moment où il n’existe pas d’arrêté d’expulsion.

Il y a dès lors lieu d’examiner si la décision de refoulement sous-jacente à la décision litigieuse rentre dans les prévisions légales de l’article 12 de la loi modifiée du 28 mars 1972 auquel renvoie l’article 15 de la même loi.

Ledit article 12 dispose que peuvent être éloignés du territoire luxembourgeois sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal, les étrangers non autorisés à résidence :

«1.

qui sont trouvés en état de vagabondage ou de mendicité ou en contravention à la loi sur le colportage ;

2.

qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ;

3.

auxquels l’entrée dans le pays a été refusée en conformité de l’article 2 de [la loi précitée du 28 mars 1972] ;

44.

qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis ;

5.

qui, dans les hypothèses prévues à l’article 2, paragraphe 2 de la Convention d’application de l’accord de Schengen, sont trouvés en contravention à la loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions ou sont susceptibles de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre public ».

En l’espèce, parmi les motifs invoqués au moment de la prise de la décision litigieuse le 11 juin 2004, le ministre de la Justice a fait état du fait que le demandeur n’est pas en possession de moyens d’existence personnels suffisants et qu’il est dépourvu de papiers de légitimation prescrits.

Il convient en premier lieu de constater que le demandeur, contrairement à ses allégations lesquelles ne sont étayées par un quelconque élément de preuve, n’était pas en possession de documents d’identité et de voyage valables, ni encore de moyens d’existence personnels suffisants, de sorte qu’il remplissait dès lors en date du 11 juin 2004 les conditions légales telles que fixées par la loi sur base desquelles une mesure de refoulement a valablement pu être prise à son encontre.

Cette conclusion ne saurait été utilement énervée par l’allégation du demandeur relative à une demande d’asile déposée antérieurement en France, alors que celui-ci reste en défaut de prouver l’existence d’une telle demande, et que son affirmation est en contradiction avec la réponse donnée par le bureau commun de coopération policière renseignant que le demandeur n’est pas connu des services français, de sorte que l’argument consistant à affirmer l’existence d’une possibilité de refoulement du demandeur vers la France ne saurait valoir en l’espèce.

La mesure de placement entreprise n’est cependant légalement admissible que si l’éloignement ne peut être immédiatement mis à exécution en raison d’une circonstance de fait.

Cette exigence légale appelle le tribunal à vérifier si le ministre de la Justice a pu se baser sur des circonstances de fait permettant de justifier en l’espèce une impossibilité de procéder à un éloignement immédiat de l’intéressé.

En l’espèce, à défaut de documents de voyage valables, le rapatriement immédiat du demandeur vers l’Algérie était impossible. Dans la mesure où l’obtention d’un laissez-passer de la part des autorités algériennes, lequel a été sollicité en date du 25 juin 2004 ainsi qu’il ressort du dossier administratif, et l’organisation du voyage vers Alger comportent nécessairement un minimum de démarches tenant notamment à la délivrance du prédit laissez-passer, l’introduction d’une demande auprès du corps de la police grand-ducale en vue d’obtenir une escorte, l’organisation du vol avec le cas échéant la nécessité de solliciter une permission de transit, le ministre a valablement pu estimer que l’exécution immédiate de la mesure d’éloignement à la base de la décision sous analyse était impossible à la date de la mesure de rétention déférée.

Dans la mesure où c’est dès lors précisément dans l’attente de la mise en œuvre des formalités préalables à son éloignement que le demandeur a été retenu, la décision déférée ne saurait encourir le reproche de ne pas s’inscrire dans le cadre des prévisions légales en la matière.

5 Pour le surplus, concernant le moyen tiré de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme, proscrivant les détentions arbitraires, il ne saurait être retenu alors que l’article 5 § 1 point f de ladite Convention prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours, le terme d’expulsion devant être entendu dans son acceptation la plus large comme visant toutes les mesures respectivement d’éloignement et de refoulement de personnes qui se trouvent en séjour irrégulier dans un pays (cf. trib. adm. 22 mars 1999, Pas. adm. 2003, V° Droits de l’homme, n° 4, et les autres références y citées).

Dans ce contexte, il convient d’ajouter qu’il est constant d’après les affirmations non contestées en cause que par application de la décision litigieuse, le demandeur a été placé, non pas dans un établissement pénitentiaire, mais au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière créé par le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002. Or, force est de constater que le Centre de séjour provisoire est à considérer comme un établissement approprié au sens de la loi précitée du 28 mars 1972, étant donné que le demandeur est en séjour irrégulier au pays, qu’il n’existe aucun élément qui permette de garantir au ministre de la Justice sa présence au moment où il pourra être procédé à son éloignement et qu’il n’a fait état d’aucun autre élément ou circonstance particuliers justifiant à son égard un caractère inapproprié du Centre de séjour provisoire.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours laisse d’être fondé et que le demandeur est à en débouter.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 14 juillet 2004 à 16.30 heures par le vice-

président en présence de M. Legille, greffier.

s. LEGILLE S. CAMPILL 6 7


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18354
Date de la décision : 14/07/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-07-14;18354 ?

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