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14/07/2004 | LUXEMBOURG | N°18339

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 juillet 2004, 18339


Tribunal administratif Numéro 18339 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 juillet 2004 Audience publique du 14 juillet 2004 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18339 du rôle, déposée le 6 juillet 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembou

rg, au nom de Monsieur …, né le … (Guinée–Conakry), de nationalité guinéenne, retenu ac...

Tribunal administratif Numéro 18339 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 juillet 2004 Audience publique du 14 juillet 2004 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18339 du rôle, déposée le 6 juillet 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Guinée–Conakry), de nationalité guinéenne, retenu actuellement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 1er juillet 2004 instituant à son égard une mesure de placement pour la durée maximum d’un mois audit Centre de séjour provisoire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 juillet 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 8 juillet 2004 en nom et pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 12 juillet 2004.

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Le 1er juillet 2004, le ministre de la Justice ordonna à l’encontre de Monsieur … une mesure de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois. La décision de placement est fondée sur les considérations et motifs suivants :

« Vu le rapport no SP15-1856/2004 du 1er juillet 2004 établi par la Police grand-

ducale, Service de Police Judiciaire ;

Considérant que l’intéressé est démuni de toute pièce d’identité et de voyage valable ;

1 Considérant qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels ;

- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

Considérant qu’un éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 juillet 2004, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 21 juin 2004.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.

l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision litigieuse.

Le recours est également recevable pour avoir été déposé dans les formes et délai prévus par la loi.

Le demandeur fait exposer qu’il serait entré sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg en date du 30 juin 2004 « avec l’intention de présenter une demande d’asile au sens de la Convention de Genève ».

Il ajoute s’être présenté le lendemain, 1er juillet 2004, au bureau d’accueil des réfugiés sis à Luxembourg-Gare dans l’immeuble « Galerie Kons » pour y déposer sa demande d’asile, mais qu’avant d’atteindre ledit bureau il aurait été appréhendé par la police grand-ducale aux motifs qu’il serait en situation irrégulière et ne disposerait pas de moyens d’existence personnels, et ce malgré ses explications comme quoi il souhaiterait déposer une demande d’asile.

Il précise avoir saisi de nouveau via télécopie, par le biais d’une assistante sociale du Centre Pénitentiaire de Luxembourg, l’autorité ministérielle en date du 5 juillet 2004 d’une demande expresse d’asile.

En droit, il soulève de prime abord le fait qu’il serait mineur d’âge, pour reprocher au ministre de la Justice une violation de la loi du 10 août 1992 relative à la protection de la jeunesse, loi qui prohiberait son placement avec des majeurs au Centre de séjour provisoire.

Il soutient encore que la mesure de rétention serait viciée à sa base, le ministre de la Justice l’ayant, à tort, considéré comme un étranger en séjour irrégulier et ordonné son placement en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois, alors qu’il aurait dû être considéré comme demandeur d’asile qui s’est présenté sans délai au ministère de la Justice en vue de l’enregistrement de sa demande d’asile et qu’ainsi, il aurait été irrégulièrement et en violation de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme, privé de sa liberté.

2Il ajoute encore qu’en tant que demandeur d’asile et en vertu du principe de non-

refoulement, il ne saurait faire l’objet d’un éloignement du territoire luxembourgeois aussi longtemps qu’il n’a pas été définitivement statué sur sa demande d’asile.

Enfin, il invoque le caractère disproportionné de la mesure de placement au « Centre pénitentiaire de Schrassig » au regard des dispositions légales et de sa situation personnelle.

Dans ce contexte, il fait valoir que le prédit Centre ne constituerait pas un établissement approprié pour l’exécution d’une mesure de placement.

Dans le cadre de son mémoire en réplique, il affirme ne pas être retenu au Centre de séjour provisoire, mais au Centre pénitentiaire ; son mandataire, en termes de plaidoiries, insiste sur une visite des lieux.

Sur ce, il sollicite la réformation de la décision déférée et sa remise en liberté immédiate, sinon que le tribunal ordonne son placement dans un endroit plus approprié à sa situation individuelle.

Le délégué du Gouvernement se réfère à un rapport du service de police judiciaire dressé en date du 1er juillet 2004 qui renseignerait que contrairement aux déclarations du demandeur, celui-ci aurait fait l’objet d’un contrôle d’identité devant l’entrée principale du bâtiment de la Gare à sept heures quarante-cinq du matin, et souligne expressément que le demandeur, au moment de son contrôle, ne se dirigeait pas, contrairement à ses dires, vers la galerie Kons, mais vers le bâtiment de la Gare.

Le délégué du Gouvernement soutient que le demandeur aurait valablement pu être considéré comme se trouvant en séjour irrégulier, au motif que lors de son contrôle, il n’aurait pas pu présenter de pièce d’identité et qu’il ne disposait d’aucun moyen d’existence personnel.

Il conteste encore la minorité du demandeur et estime qu’il lui appartiendrait d’en rapporter la preuve ; il relève que de toute façon le demandeur ne serait pas retenu au Centre pénitentiaire, mais au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, de sorte que les dispositions de la loi du 10 août 1992 relative à la protection de la jeunesse invoquées par le demandeur ne seraient pas applicables.

Il estime à ce sujet qu’en l’espèce, le Centre de séjour provisoire constituerait un endroit approprié pour le placement de l’intéressé.

Il soutient encore qu’il n’y aurait pas eu violation de la Convention européenne des droits de l’homme, au motif d’une part que le demandeur n’aurait formulé une demande d’asile que postérieurement à la mesure de rétention querellée et d’autre part que la rétention d’une personne en voie d’être expulsée ne contreviendrait pas à ladite charte et qu’il n’y aurait pas d’entrave au principe du non-refoulement soulevé par le demandeur, étant donné que le demandeur n’aurait pas été placé en vue de son rapatriement vers son pays d’origine mais en vue de contrôler son identité pour voir notamment « si l’intéressé n’est pas recherché ou s’il ne se trouve pas inscrit au système Eurodac ».

3Le tribunal, avant d’analyser les différents moyens échangés relatifs à l’exécution de la mesure de rétention, est appelé à vérifier si, au moment de la prise de la décision entreprise, le demandeur pouvait ou non être considéré, ainsi qu’il le soutient, comme demandeur d’asile.

Il convient de relever à ce sujet que le rapport dressé le 1er juillet 2004 par la police grand-ducale, service de police judiciaire retient ce qui suit :

« Um 07.45 Uhr trafen wir vor dem Haupteingang zum Bahnhofsgebäude auf die oben angeführte Person afrikanischer Herkunft, welche uns Nachstehendes zu ihrer Person beziehungsweise zu ihrer Herkunft und Aufenthalt berichteten. Es sei diesbezüglich wichtig darauf hinzuweisen, dass … die Absicht hatte das Bahnhofsgebäude zu betreten und keinesfalls beabsichtigte sich in die Galerie Kons zu begeben.

„Ich stamme aus Guinea-Conakry. Ich bin nicht im Besitz irgendwelcher Ausweispapiere. Ich war nie zuvor im Besitz eines Passes.“ ».

Il ne résulte par ailleurs pas de ce rapport, qui reprend les déclarations du demandeur, que celui-ci ait à un quelconque moment informé les policiers de son intention de déposer une demande d’asile.

Au regard de la force probante légalement conférée au contenu du susdit rapport, qui a été établi par un officier de police judiciaire ayant reçu de la loi le pouvoir de constater les infractions jusqu’à inscription de faux, pareille inscription de faux, en bonne et due forme, n’ayant pas été formulée en cause, il y a lieu de retenir que ni les déclarations et allégations faites par le demandeur ne sauraient être admis pour prouver contre le contenu dudit rapport (voir trib. adm. 9 juillet 2004, n° 18322 du rôle, non encore publié).

Il s’ensuit que le demandeur ne saurait être suivi en ses moyen et argumentation fondés sur sa prétendue qualité de demandeur d’asile au moment de la prise de la décision querellée.

Ceci étant, force est cependant de constater que suite à son placement au Centre de séjour provisoire, le demandeur a formulé une demande d’asile par lettre du 5 juillet 2004, sans qu’il ne se dégage cependant d’un quelconque élément d’information soumis au tribunal pour quelle raison, au jour des présentes, le demandeur se trouve toujours en rétention.

Or, étant relevé qu’une mesure de rétention est indissociable de l’attente de l’exécution d’un éloignement d’un étranger non autorisé à séjourner légalement sur le territoire luxembourgeois et sans vouloir dénier le fait qu’un défaut de documents de voyage valables trouvés en possession de l’intéressé pourrait impliquer la nécessité de mesures de vérification afférentes, telles qu’en l’occurrence par consultation du système EURODAC, ou que, même en présence d’un demandeur d’asile, la nécessité de l’organisation des modalités pratiques d’un éloignement, moyennant transfert dans un autre pays sûr, le cas échéant compétent pour connaître de sa demande d’asile, pourrait justifier le maintien de la mesure de rétention, il aurait incombé à la partie défenderesse de faire état et de documenter les démarches qu’elle estime requises et qu’elle est en train d’exécuter, afin de mettre le tribunal en mesure d’apprécier si un éloignement valable est possible et en voie d’organisation, d’une part, et que les autorités luxembourgeoises entreprennent des démarches suffisantes en vue d’un éloignement ou transfert rapide du demandeur, c’est-à-dire de façon à écourter au maximum sa privation de liberté, d’autre part.

4 Faute de ce faire, le tribunal est amené à retenir qu’au jour où il est appelé à statuer, le bien-fondé du maintien de la mesure de rétention laisse d’être établi et le recours est partant fondé sans qu’il n’y ait lieu d’analyser les autres moyens invoqués par le demandeur.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare également justifié ;

partant, par réformation, met fin à la décision du ministre de la Justice du 1er juillet 2004 et ordonne la mise en liberté immédiate de Monsieur … ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 juillet 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18339
Date de la décision : 14/07/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-07-14;18339 ?

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