La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/07/2004 | LUXEMBOURG | N°18333

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 juillet 2004, 18333


Tribunal administratif N° 18333 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 juillet 2004 Audience publique du 14 juillet 2004 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18333 du rôle et déposée le 5 juillet 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, de nationalité béninoise, actuellement placé au Centre de

séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la ré...

Tribunal administratif N° 18333 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 juillet 2004 Audience publique du 14 juillet 2004 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18333 du rôle et déposée le 5 juillet 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, de nationalité béninoise, actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 24 juin 2004 instituant à son égard une mesure de placement pour la durée maximum d’un mois audit Centre de séjour provisoire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 juillet 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 8 juillet 2004 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH pour compte de … ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 12 juillet 2004.

Il ressort d’un procès-verbal de la police grand-ducale, service de police judiciaire, police des étrangers et des jeux, du 24 juin 2004, que Monsieur …, lors d’un contrôle dans le quartier de la gare, n’était pas en possession de papiers d’identité valables et qu’à cette occasion il a fait les déclarations actées comme suit :

„ Der Mann gab an, vor einem Monat Benin verlassen zu haben. Versteckt in einem Boot sei er nach Europa gereist. Gestern sei er in Europa angekommen, in welchem Land konnte er nicht sagen. Mit dem Bus sei er dann anschliessend hierhin gekommen. Er wüsste nicht, dass er sich in Luxemburg befinden würde. Einen Reisepass oder eine Identitätskarte hätte er nie besessen … Im SIS ist er unter denen von ihm angegebenen Daten nicht ausgeschrieben.“ Le même jour, le ministre de la Justice ordonna à l’encontre de Monsieur … une mesure de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois.

La décision de placement est fondée sur les considérations et motifs suivants :

« Vu l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ;

Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;

Vu le rapport no 6/1779/04/BIR du 24 juin 2004 établi par la Police grand-

ducale, Service de Police Judiciaire ;

Considérant que l’intéressé est démuni de toute pièce d’identité et de voyage valable ;

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels légalement acquis ;

- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

- que l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;

Considérant qu’en attendant le résultat des recherches quant à l’identité et à la situation de l’intéressé l’éloignement immédiat n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ».

Par lettre datée du 1er juillet 2004, Monsieur … s’adressa au ministre de la Justice pour l’informer de son intention de formuler une demande d’asile, tout en précisant qu’en raison de son arrestation devant le bureau d’accueil pour demandeurs d’asile en date du 24 juin 2004, il ne lui aurait pas été possible d’introduire cette demande déjà en date du 24 juin 2004.

Par requête déposée le 5 juillet 2004 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision du Ministre de la Justice du 24 juin 2004.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.

l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision litigieuse. Ledit recours est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose être entré sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, sans préjudice quant à la date exacte, le 23 juin 2004, avec l’intention d’y présenter une demande d’asile et qu’à cet effet il se serait présenté au bureau d’accueil des réfugiés du ministère de la Justice sis à la galerie Kons. Il relève que c’est à cette occasion qu’il aurait été appréhendé par la police grand-ducale au motif qu’il se trouvait en situation irrégulière au pays et ne disposait pas de moyens d’existence suffisants. Il estime que dans ces circonstances les conditions d’application prévues par l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée ne seraient pas remplies, étant donné que face à son intention de s’adresser spontanément et sans délai aux autorités compétentes pour formuler une demande d’asile, le ministre ne saurait utilement lui opposer l’illégalité de son séjour au pays sous peine de violer l’esprit de la Convention de Genève.

Le demandeur reproche ainsi au ministre de la Justice d’avoir violé l’article 33 de la Convention de Genève, en soutenant que dans la mesure où il avait l’intention de présenter une demande d’asile, la décision de placement se heurterait au principe de non refoulement tel que prévu par l’article en question.

Le délégué du Gouvernement conteste formellement que des personnes interceptées dans la galerie Kons et qui informent la police grand-ducale de leur désir de déposer une demande d’asile seraient mises à la disposition du gouvernement, alors que bien au contraire ces personnes auraient la possibilité de se rendre au bureau d’accueil et d’y déposer leur demande d’asile. Il relève que les affirmations du demandeur seraient d’autant plus invraisemblables qu’il ressort du rapport de service police judiciaire que Monsieur … a été intercepté à sept heures du matin. Il estime pour le surplus que les insinuations comme quoi des personnes seraient empêchées de déposer une demande d’asile porteraient atteinte à l’honneur de la police grand-ducale.

Il fait valoir pour le surplus qu’il résulterait du dossier déposé par le demandeur qu’il n’a introduit une demande d’asile qu’après son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, pour soutenir que dans ces conditions, la remise en liberté de l’intéressé n’a pas pu avoir lieu avant l’audition de Monsieur … sur les motifs à la base de sa demande d’asile et que par ailleurs, à partir du moment où cette demande a été déposée, le maintien de l’intéressé en rétention se justifierait en attendant la clarification de son identité.

Il relève à cet égard que l’enquête de la police judiciaire est toujours en cours et que l’audition par le ministre de la Justice a eu lieu le 9 juillet 2004, de sorte qu’il serait tout à fait possible que le ministre de la Justice prenne une décision d’incompétence et que Monsieur … serait transféré dans un des pays voisins.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur insiste sur le fait que ses déclarations ne seraient pas contradictoires. Il relève à cet égard que sa présence devant l’ascenseur de la galerie Kons, conduisant au bureau d’asile, n’aurait eu d’autre finalité que le dépôt d’une demande d’asile, qu’il se serait dirigé volontairement à l’intérieur de cette galerie pour atteindre le bureau d’asile en vue d’y déposer une demande d’asile, tout en relevant que le fait d’avoir été appréhendé dans l’enceinte de cette galerie ne serait même pas contesté en cause.

En termes de plaidoiries, le mandataire du demandeur a précisé, relativement à l’heure de son interception, que les portes de la galerie Kons seraient ouvertes dès six heures du matin, et qu’il aurait en effet cherché à s’adresser au bureau d’accueil pour demandeurs d’asile aussi tôt que possible après son arrivée au pays, de manière à s’être effectivement retrouvé devant l’ascenseur à l’heure indiquée dans le rapport de la police judiciaire invoqué à l’appui de la décision litigieuse.

Il se dégage des pièces versées au dossier que le rapport établi en date du 24 juin 2004 et référencé sous le numéro 6/1779/04/BIR établi par la police grand-ducale, service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, invoqué à la base de l’arrêté ministériel litigieux, ne renseigne pas de déclarations du demandeur exprimant expressément l’intention de ce dernier de demander l’asile au Grand-Duché de Luxembourg et que pareille déclaration expresse ne fut portée à la connaissance du ministre de la Justice qu’à travers le courrier manuscrit du demandeur daté du 1er juillet juin 2004 et rédigé à Schrassig.

Il n’en demeure cependant pas moins que le rapport invoqué à la base de la décision litigieuse reste vague quant à l’endroit précis d’interception du demandeur par une simple référence au quartier de la gare, sans indication de l’endroit exact, et que, en dépit d’une question expresse afférente adressée au délégué du Gouvernement lors de l’audience de plaidoiries, cette information relative à l’endroit d’interception n’a pas pu être utilement précisée ou complétée dans le sens de contredire l’affirmation du demandeur comme quoi il aurait été appréhendé à l’intérieur de la galerie Kons, étant entendu que celle-ci se situe notoirement dans le quartier de la gare.

Force est de constater pour le surplus que les déclarations du demandeur renseignées dans ledit procès-verbal en rapport avec les circonstances de son itinéraire suivi pour arriver au Luxembourg portent à admettre l’existence d’un contexte de fuite, Monsieur … ayant en effet déclaré avoir quitté le Bénin de manière clandestine (« Versteckt in einem Boot sei er nach Europa gereist »).

Dans la mesure où les éléments relatés dans le procès-verbal du 24 juin 2004, non autrement complétés ou précisés en cours d’instance contentieuse ne se trouvent en tant que tels pas en contradiction avec le récit du demandeur tel que relaté dans sa requête introductive d’instance et précisé en termes de plaidoiries, le tribunal ne saurait utilement prendre en considération les contestations générales afférentes du délégué du Gouvernement faute d’élément tangible, voire de précisions apportées, ne serait-ce qu’oralement au cours des plaidoiries, par rapport au contenu concret dudit rapport du 24 juin 2004.

Dans ces circonstances il n’appartient pas au tribunal de mettre en doute la véracité des déclarations du demandeur, de sorte qu’appelé à statuer sur base des seuls éléments fournis en cause et tenu de faire abstraction de toutes considérations liées aux abus auxquels peut le cas échéant conduire le recours aux procédures en matière d’asile, voire de contrevérités au niveau de déclarations d’autres demandeurs d’asile mises à jour dans d’autres dossiers, le tribunal est amené à admettre en l’espèce que Monsieur …, au moment où il fut intercepté par la police, avait déjà concrétisé son intention de se rendre volontairement auprès des autorités luxembourgeoises afin de rechercher leur protection, avec la conséquence qu’à défaut d’autres circonstances justifiant le cas échéant sa rétention administrative par application de l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972, la décision litigieuse n’a pas légalement pu être prise.

Cette conclusion ne saurait être énervée par le fait que le demandeur n’a pas expressément déclaré solliciter l’asile au Luxembourg, étant donné que cette intention était dégageable à partir du contexte général de son interception, sinon, en cas de doute, pour le moins présumable et vérifiable sur simple question relative aux raisons de sa présence alléguée dans la galerie Kons.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que d’après les éléments fournis en cause l’arrêté ministériel litigieux, à la date du 24 juin 2004, relevait d’une erreur manifeste d’appréciation de la situation de fait retenue à sa base en ce sens que la volonté pourtant dégageable de Monsieur … de s’adresser spontanément aux autorités luxembourgeoises pour présenter une demande d’asile fut ignorée.

Force est encore de constater que suite à son placement au Centre de séjour provisoire, le demandeur a formellement introduit une demande d’asile par courrier du 1er juillet 2004, son audition relativement aux faits à la base de cette demande ayant été fixée, aux termes du mémoire en réponse du délégué du Gouvernement, au 9 juillet 2004, mais qu’il ne se dégage d’aucun élément d’information concret soumis au tribunal pour quelle raison, au jour dès présentes, le demandeur se trouve toujours en rétention.

Or, même si le fait d’un défaut de documents de voyage valables trouvé en possession de l’intéressé peut justifier la nécessité de mesures de vérification afférentes, même au sujet d’un demandeur d’asile, et que la nécessité de l’organisation pratique d’un éloignement éventuel vers un autre pays compétent pour l’examen de cette demande d’asile peut le cas échéant justifier la rétention administrative de la personne concernée, il n’en demeure cependant pas moins qu’il incombe à la partie défenderesse de faire état et de documenter les démarches qu’elle estime requise à cette fin et qu’elle est en train d’entreprendre, afin de mettre le tribunal en mesure d’apprécier, d’une part, si un éloignement est impossible dans l’immédiat, mais en voie d’organisation, ainsi que, d’autre part, si les autorités luxembourgeoises entreprennent des démarches suffisantes en vue d’un éloignement rapide du demandeur, de façon à écourter au maximum la privation de liberté.

Faute de renseignements concrets afférents fournis en cause, le tribunal est amené à retenir qu’au jour où il est appelé à statuer, le bien-fondé de la mesure de rétention laisse encore d’être établi, de sorte que le recours en réformation est fondé sans qu’il n’y ait lieu d’analyser les autres moyens invoqués par le demandeur.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond le déclare également justifié ;

partant, par réformation, met fin à la décision du ministre de la Justice du 24 juin 2004 et ordonne la mise en liberté immédiate de Monsieur … ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 juillet 2004 par:

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18333
Date de la décision : 14/07/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-07-14;18333 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award