La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/07/2004 | LUXEMBOURG | N°18234

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 juillet 2004, 18234


Tribunal administratif Numéro 18234 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 juin 2004 Audience publique du 14 juillet 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18234 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 juin 2004 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo/Serbie-

Monténégro), de nationalité serbo

-monténégrine, demeurant à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ...

Tribunal administratif Numéro 18234 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 juin 2004 Audience publique du 14 juillet 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18234 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 juin 2004 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo/Serbie-

Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 18 mai 2004 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme étant manifestement infondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 juin 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Joëlle NEIS, en remplacement de Maître François MOYSE, et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 5 juillet 2004.

Le 3 mai 2004, Monsieur … introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 13 mai 2004, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 18 mai 2004, notifiée par lettre recommandée expédiée le 25 mai 2004, le ministre de la Justice informa Monsieur … de ce que sa demande avait été refusée comme étant manifestement infondée au motif qu’il n’invoquerait aucune crainte justifiée de persécution en raison de son opinion politique, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un certain groupe social.

Le 15 juin 2004, Monsieur … a fait déposer au greffe du tribunal administratif un recours en réformation sinon en annulation contre la décision ministérielle de refus du 18 mai 2004.

Le délégué du Gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours subsidiaire en réformation au motif qu’aucune disposition légale ne prévoirait un recours au fond en la matière.

Il ressort des éléments du dossier que le ministre de la Justice s’est basé notamment sur l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire et sur l’article 3 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des article 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996.

L’article 10 (3) de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée prévoit expressément qu’en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives, de sorte que le tribunal est incompétent pour connaître de la demande en réformation de la décision attaquée.

Le recours en annulation, prévu explicitement par le prédit article 10 (3) de la loi modifiée du 3 avril 1996, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait plaider qu’il aurait déposé une demande d’ « asile humanitaire », et non une demande d’asile basée sur la Convention de Genève, étant donné qu’il aurait été contraint d’accompagner son frère, Monsieur …, au Luxembourg en raison de l’état de santé de celui-ci. Il expose à ce sujet que son frère souffrirait de fortes douleurs de la tête et de pertes de mémoire, séquelles des persécutions subies au Kosovo.

Il soutient que la décision litigieuse serait entachée d’illégalité pour absence de motivation, dans la mesure où le ministre de la Justice aurait omis de répondre à la demande d’asile humanitaire introduite par lui et il se prévaut à cet égard de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure administrative non contentieuse et de l’article 12 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile.

Il fait valoir qu’il n’aurait à aucun moment de la procédure émis le désir de demander l’asile politique, mais aurait, lors des déclarations auprès de la police judiciaire et lors de son audition, affirmé son désir d’introduire une demande d’asile humanitaire pour des raisons médicales, découlant de la nécessité d’accompagner son frère malade.

Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours.

Le délégué du Gouvernement relève en particulier que le demandeur n’aurait à aucun moment fait état de craintes pour sa vie le contraignant à quitter son pays d’origine, mais aurait au contraire uniquement prétendu être venu au Luxembourg pour y accompagner son frère malade.

A titre subsidiaire, il fait valoir que le demandeur ne remplirait de toute façon pas les conditions formelles exigées par la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main-d’œuvre étrangère.

En ce qui concerne le premier moyen selon lequel le ministre ne satisferait pas à l’exigence de motivation inscrite à l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure administrative non contentieuse et à l’article 12 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, il convient de rappeler que les motifs sur lesquels repose l'acte, si l’acte lui-même ne les précise pas, peuvent être communiqués au plus tard au cours de la procédure contentieuse pour permettre à la juridiction administrative d'exercer son contrôle de légalité, étant donné qu’il est loisible à l'administration de présenter ses motifs en cours d'instance, à condition que la juridiction administrative puisse en contrôler la légalité au moment où elle est appelée à statuer (trib.

adm. 4 juillet 2001, Pas. adm. 2003, v° procédure administrative non contentieuse, n° 44, p.478).

A cela s’ajoute que l’article 12 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ne prescrit aucune obligation de motivation, mais n’a que pour seul objet les voies de recours ouvertes à l’encontre d’une décision rejetant une demande en obtention du statut de réfugié comme non étant non fondée.

Force est de constater que le moyen fondé sur le défaut de motivation ministérielle n’est pas justifié en fait, étant donné que d’une part la décision ministérielle déférée est suffisamment motivée en ce que les faits tels que résumés dans la décision litigieuse correspondent aux faits sous-jacents à la demande d’asile du demandeur et les motifs de refus y sont énumérés et que d’autre part le ministre a précisé en cours d’instance ses motifs relatifs au refus de la demande d’asile humanitaire.

Le ministre a partant indiqué de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait sur lesquels il s’est fondé pour justifier son refus et les motifs ont ainsi été portés à suffisance de droit à la connaissance du demandeur.

Le premier moyen fondé sur le défaut de motivation de la décision ministérielle soumise au tribunal est partant à rejeter.

Le tribunal est encore amené à vérifier si le ministre a valablement pu conclure au dépôt d’une demande d’asile basée sur la Convention de Genève, ou, au contraire, à celui d’une demande tendant à l’obtention de l’ « asile humanitaire ».

Le tribunal tient de prime abord à souligner à ce sujet que le terme d’ « asile humanitaire » est inconnu en droit luxembourgeois, le droit luxembourgeois ne connaissant que des demandes tendant à l’obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève ainsi que des demandes tendant à l’obtention d’une autorisation de séjour de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main-d’œuvre étrangère.

Il ressort du rapport établi par la police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, que le demandeur s’est contenté en date du 3 mai 2004 de solliciter sans autre précisions l’asile.

En date du 4 mai 2004, le demandeur s’est vu adresser une lettre de convocation, indiquant clairement qu’au cas où il ne se présenterait pas sans excuse à ladite convocation, sa demande d’asile « pourra être considérée comme manifestement infondée au sens de l’article 62 f) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ».

Si Monsieur … comme indiqué par son mandataire lors de l’audience publique du 5 juillet 2004, ne comprend pas la langue française, il n’en demeure pas moins qu’il s’est manifestement fait traduire la lettre de convocation, de sorte que la référence à la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile n’a pas pu lui échapper. S’il est vrai que l’on ne saurait exiger d’un demandeur d’asile une connaissance approfondie de la législation luxembourgeoise, l’indication précise d’une loi déterminée dans un courrier officiel lui adressé aurait cependant dû l’amener à s’informer, ou du moins à s’intéresser à la signification de la référence à la loi y indiquée, ce qui lui aurait permis de se rendre compte de l’objet et des conséquences éventuelles de la procédure d’asile à laquelle il a été admis.

Monsieur …. a par la suite été auditionné en date du 13 mai 2004 dans le cadre de sa demande en obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, audition aux termes de laquelle il a signé sans émettre la moindre réserve le procès-verbal d’audition intitulé « Rapport sur la demande en obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 de Monsieur … », de sorte qu’il y a lieu d’admettre qu’il n’a pas pu se méprendre sur l’objet de sa demande introduite, d’autant plus qu’il ressort du rapport de police cité ci-avant que le demandeur doit être considéré comme familier de ce genre de procédure, étant donné qu’il a résidé comme demandeur d’asile au sens de la Convention de Genève en Allemagne de 1993 à 2000.

En effet il aurait appartenu au demandeur d’avertir les services compétents au plus tard au moment de l’audition dans le cadre de sa demande d’asile introduite, qu’il se serait mépris sur l’objet de sa demande laquelle serait à considérer comme une demande d’asile humanitaire, qualifiée comme telle. Le demandeur est dès lors malvenu d’invoquer, après coup, qu’il n’aurait jamais fait une demande d’asile sur base de la Convention de Genève, mais qu’il aurait depuis le début de la procédure, affirmé sa volonté de faire une demande d’asile humanitaire.

Dès lors le simple fait d’avoir invoqué lors de son audition des raisons relatives à la santé de son frère comme unique motif à la base de sa demande d’asile ne saurait suffire pour faire admettre que le demandeur a posé une demande d’asile humanitaire, qualifiée comme telle.

En effet, s’il est certes exact qu’en vertu de l’obligation de collaboration de l’administration, toute autorité administrative est tenue d’appliquer d’office le droit applicable à l’affaire dont elle est saisie et qu’il appartient à celle-ci de dégager les règles applicables et de faire bénéficier l’administré de la règle la plus favorable, il n’en reste pas moins qu’il appartient également à l’administré de collaborer avec l’administration et de mettre celle-ci en mesure de lui appliquer la règle la plus favorable, notamment en précisant en temps utile la portée exacte de sa demande (trib. adm. 28 juin 2004, n° 17522 du rôle, pas encore publié).

Force est de constater que cela n’a manifestement pas été le cas en l’espèce.

Au vu de ce qui précède, il résulte que c’est à bon droit que le ministre a analysé la demande posée par le demandeur comme une demande d’asile posée au sens de la Convention de Genève et qu’on ne saurait lui reprocher de ne n’avoir pas pris position quant à une prétendue demande d’ « asile humanitaire ».

En ce qui concerne la question de l’admission du demandeur au statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 précise qu’« une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement ».

En vertu de l’article 3, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ».

En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande d’asile dans le cadre de son audition, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure qu’il n’a manifestement pas établi, ni même allégué, des raisons personnelles suffisamment précises de nature à établir dans son chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de sorte que c’est à juste titre que le ministre de la Justice a déclaré la demande d’asile sous analyse comme étant manifestement infondée.

Il s’y ajoute que même à supposer, pour les besoins de la discussion, que le tribunal soit amené à analyser la légalité du refus de la prétendue demande en obtention de l’ « asile humanitaire », le demandeur ne remplit pas les conditions formelles exigées par la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée.

En effet, conformément aux dispositions de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main d’œuvre étrangère « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourrant être refusées à l’étranger :

- qui est dépourvu de papiers de légitimation prescrits, et de visa si celui-ci est requis, - qui est susceptible compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics, - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour. » Or en l’espèce, il est constant que le demandeur ne dispose ni de papiers de légitimation ou de visa, ni de moyens personnels suffisants, de sorte que c’est à juste titre que le ministre de la Justice a opposé dans son mémoire en réponse un refus à la demande en obtention d’une autorisation de séjour présentée le cas échéant par le demandeur.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours formé par le demandeur est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 juillet 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18234
Date de la décision : 14/07/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-07-14;18234 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award