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08/07/2004 | LUXEMBOURG | N°18296

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 juillet 2004, 18296


Tribunal administratif Numéro 18296 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 juin 2004 Audience publique extraordinaire du 8 juillet 2004

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Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18296 du rôle, déposée le 28 juin 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … , de na

tionalité nigérienne, actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en si...

Tribunal administratif Numéro 18296 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 juin 2004 Audience publique extraordinaire du 8 juillet 2004

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Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18296 du rôle, déposée le 28 juin 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … , de nationalité nigérienne, actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 21 juin 2004 instituant à son égard une mesure de placement pour la durée maximum d’un mois audit Centre de séjour provisoire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 juin 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 1er juillet 2004 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH pour compte de Monsieur …;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 2 juillet 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 5 juillet 2004.

Il ressort d’un procès-verbal de la police grand-ducale, service de police judiciaire, police des étrangers et des jeux, du 21 juin 2004, que Monsieur… , lors d’un contrôle dans le quartier de la gare, n’était pas en possession de papiers d’identité valables et qu’à cette occasion il a fait les déclarations suivantes :

« Ich verliess mein Land am 25. Mai 2004 Richtung Benin, nachdem Unruhen in meinem Land stattgefunden hatten. Dort hielt ich mich während 3-4 Wochen auf. Durch die « Christian Association » wurde mir ein Mann vermittelt, welcher mich per Luftweg von 1Kotonu/Benin nach Amsterdam brachte, dies mit der Fluggesellschaft KLM. Ich bin am Samstag, den 19, Juni 2004 in den Niederlanden, Amsterdam, angekommen. Ich kam gegen Abend an, eine Zeit kann ich nicht angeben. Mein Begleiter nahm mir nach Ankunft Pass und Flugticket ab.

Ich besass zu diesem Zeitpunkt einen Pass der Republik Benin. Es war nicht mein eigener Pass, denn ich besass noch nie einen Pass. Die Personalien die im Pass eingetragen waren, kann ich nicht angeben. Ich stieg in den Zug und fuhr nach hierher, wo ich gestern Abend den 20. Juni 2004 ankam. Ich hielt mich bis 01.00 Uhr im Bahnhof auf. Als dieser geschlossen wurde, begab ich mich nach draussen und verbrachte den Rest der Nacht im Freien. Am heutigen Morgen fragte ich eine Frau nach der Polizei. Sie schickte mich zu einem Gebäude gegenüber des Bahnhofs. Ich weiss zur Zeit nicht wo ich mich befinde. Wenn Sie mir sagen ich befinde mich zur Zeit in Luxemburg, so kann ich nur sagen, dass ich dieses Land noch nie vorher gehört habe. Ich kam allein von Holland nach Luxemburg. » Le même jour, le ministre de la Justice ordonna à l’encontre de Monsieur …une mesure de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois.

La décision de placement est fondée sur les considérations et motifs suivants :

« Vu l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ;

Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;

Vu le rapport no 15/1747/2004/KL du 21 juin 2004 établi par la Police grand-ducale, Service de Police Judiciaire ;

Considérant que l’intéressé est démuni de toute pièce d’identité et de voyage valable ;

Considérant qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels ;

- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

Considérant qu’en attendant le résultat des recherches quant à l’identité et à la situation de l’intéressé l’éloignement immédiat n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ».

Par lettre datée du 24 juin 2004, Monsieur …s’adressa au ministre de la Justice pour l’informer de son intention de formuler une demande d’asile, tout en précisant qu’en raison de son arrestation devant le bureau d’accueil pour demandeurs d’asile en date du 21 juin 2004, il ne lui aurait pas été possible d’introduire cette demande déjà en date du 21 juin 2004.

Par requête déposée le 28 juin 2004 au greffe du tribunal administratif, Monsieur …a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision préindiquée du 21 juin 2004.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.

l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une 2décision de placement, le tribunal est en principe compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision litigieuse.

Dans la mesure où il est néanmoins constant que Monsieur…, après avoir été auditionné par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile, fut entre-temps libéré, le tribunal ne saurait plus utilement faire droit à la demande en réformation formulée en ordonnant le cas échéant la mise en liberté de l’intéressé, de sorte que le recours est recevable uniquement dans la limite des moyens de légalité invoqués, pour avoir été par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose être de nationalité nigérienne et être entré sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, sans préjudice quant à la date exacte, le 21 juin 2004, avec l’intention d’y présenter une demande d’asile et qu’à cet effet il se serait présenté au bureau d’accueil des réfugiés du ministère de la Justice sis à la galerie Kontz. Il relève que c’est à cette occasion qu’il aurait été appréhendé par la police grand-ducale au motif qu’il se trouvait en situation irrégulière au pays et ne disposait pas de moyens d’existence suffisants. Il estime que dans ces circonstances les conditions d’application prévues par l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée ne seraient pas remplies, étant donné que face à son intention de s’adresser spontanément et sans délai aux autorités compétentes pour formuler une demande d’asile, le ministre ne saurait utilement lui opposer l’illégalité de son séjour au pays sous peine de violer l’esprit de la Convention de Genève.

Le demandeur reproche ainsi encore au ministre de la Justice d’avoir violé l’article 33 de la Convention de Genève, en soutenant que dans la mesure où il avait l’intention de présenter une demande d’asile, la décision de placement se heurterait au principe de non refoulement tel que prévu par l’article en question.

Le délégué du Gouvernement rétorque qu’il résulterait du dossier déposé par le demandeur qu’il n’a introduit une demande d’asile qu’après son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière en date du 24 juin 2004, pour soutenir que dans ces conditions, la remise en liberté de l’intéressé n’a pu avoir lieu avant l’audition de Monsieur …sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Il signale en outre qu’en l’absence d’indices ayant permis de constater qu’un autre pays est responsable pour l’examen de la demande d’asile, l’intéressé fut effectivement libéré après son audition.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur réaffirme que c’est en voulant s’adresser au bureau d’accueil pour demandeurs d’asile qu’il aurait été intercepté par la police et conduit au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière.

Dans son mémoire en duplique le délégué du Gouvernement conteste formellement cette affirmation du demandeur en faisant valoir qu’il ne ressortirait pas du rapport de la police judiciaire qu’au moment du contrôle l’intéressé aurait fait part de son intention de demander l’asile au Grand-Duché de Luxembourg. Dans l’hypothèse où le tribunal devait mettre en doute les constatations faites par la police judiciaire dans son rapport du 24 juin 2004, le délégué du Gouvernement demande en outre que l’auteur de ce rapport soit entendu comme témoin et qu’on lui pose la question si au moment du contrôle du requérant celui-ci a déclaré qu’il avait l’intention de demander l’asile, tout en relevant que le Gouvernement ne 3pourrait accepter le reproche que des demandeurs d’asile, c’est-à-dire des personnes qui se disent persécutées dans leur pays d’origine et qui viennent d’arriver au Grand-Duché de Luxembourg, soient empêchées par les membres de la police grand-ducale de demander la reconnaissance du statut de réfugié, ce reproche étant tellement grave que le Gouvernement demande l’audition des agents du service de police judiciaire, ainsi que celle du requérant pour qu’ils se prononcent contradictoirement sur cette question fondamentale.

A titre subsidiaire, le délégué du Gouvernement ajoute qu’il n’y aurait pas violation de la Convention de Genève, étant donné qu’aucune sanction pénale n’a été appliquée au demandeur et qu’il n’a été ni renvoyé, ni envisagé de le renvoyer dans le pays dans lequel il se disait persécuté. Il insiste en outre sur le fait qu’au moment où la mesure litigieuse a été prise, le ministre de la Justice n’aurait pas été saisi d’une demande d’asile, cette demande ne lui ayant été adressée que trois jours après le placement de Monsieur …au Centre de séjour provisoire.

Le tribunal peut en l’espèce s’accorder avec le délégué du Gouvernement pour constater que le rapport n° 15/1747/2004/KL du 21 juin 2004 établi par la police grand-

ducale, service de police judiciaire, invoqué à la base de l’arrêté ministériel litigieux, ne renseigne pas de déclaration du demandeur exprimant expressément l’intention de ce dernier de demander l’asile au Grand-Duché de Luxembourg et que pareille déclaration expresse ne fut portée à la connaissance du ministre de la Justice qu’à travers le courrier manuscrit du demandeur daté du 24 juin 2004 et rédigé à Schrassig.

Il n’en demeure cependant pas moins que le rapport invoqué à la base de la décision litigieuse reste vague quant à l’endroit précis d’interception du demandeur par une simple référence au quartier de la gare, sans indication de l’endroit et de l’heure exacts, il comporte cependant au niveau des déclarations du demandeur y renseignées, des indices susceptibles de corroborer les précisions apportées par le demandeur relativement au fait que le contrôle relaté dans ledit procès-verbal a eu lieu en début de matinée et qu’il fut intercepté à proximité de l’immeuble abritant notoirement le bureau d’accueil pour demandeurs d’asile, sur le chemin de se rendre à l’endroit lui indiqué lorsqu’il a demandé à se voir diriger vers la police.

Au-delà de cette volonté déclarée de s’adresser spontanément aux autorités luxembourgeoises, force est encore de constater que les déclarations du demandeur en rapport avec les circonstances de son itinéraire suivi pour arriver au Luxembourg portent à admettre l’existence d’un contexte de fuite organisée.

A cet égard il y a lieu de relever que Monsieur …a déclaré avoir quitté le Bénin en raison d’émeutes (« Nachdem Unruhen in meinem Land stattgefunden haben »), que la personne l’ayant aidé à se rendre aux Pays Bas lui a enlevé son passeport et son ticket, après l’arrivée, tout en précisant que le passeport utilisé aux fins de se rendre aux Pays Bas n’était pas le sien, et que dès le lendemain de son arrivée il s’est adressé à une femme pour obtenir l’adresse de la police, laquelle l’a dirigé vers un immeuble situé en face de la gare.

Dans la mesure où les éléments relatés dans le procès-verbal du 21 juin 2004 ne se trouvent en tant que tels pas en contradiction avec le récit du demandeur tel que relaté en cours d’instance contentieuse, le tribunal ne saurait utilement prendre en considération les contestations afférentes du délégué du Gouvernement faute d’élément tangible, voire de précisions apportées en cours d’instance contentieuse, ne serait-ce qu’oralement au cours des 4plaidoiries, par rapport au contenu dudit rapport du 21 juin 2004, de sorte qu’il il n’appartient pas au tribunal de mettre en doute la véracité des déclarations du demandeur sur base de seules contestations globales.

Il s’ensuit que le tribunal, appelé à statuer sur base des seuls éléments fournis en cause et devant faire abstraction de toute considération liée aux abus auxquels peut le cas échéant conduire le recours aux procédures en matière d’asile, est en l’espèce amené à admettre que le demandeur, au moment où il fut intercepté par la police, avait déjà concrétisé son intention de se rendre volontairement auprès des autorités luxembourgeoises afin de rechercher leur protection, avec la conséquence qu’à défaut d’autres circonstances révélées lors d’une audition appropriée du demandeur, justifiant le cas échéant sa rétention administrative par application de l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972, la décision litigieuse n’a pas légalement pu être prise.

Cette conclusion ne saurait être énervée par le fait que le demandeur n’a pas expressément déclaré solliciter l’asile au Luxembourg, étant donné que cette intention était dégageable à partir du contexte général de ses déclarations, ainsi que de sa démarche volontaire et avouée vers les autorités policières luxembourgeoises, sinon, en cas de doute, pour le moins présumable et vérifiable sur simple question relative aux raisons l’ayant poussé à vouloir s’adresser à la police.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’arrêté ministériel litigieux encourt l’annulation pour erreur manifeste d’appréciation de la situation de fait retenue à sa base en ce sens que la volonté pourtant dégageable de Monsieur …de s’adresser spontanément aux autorités luxembourgeoises pour présenter une demande d’asile fut ignorée.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation dans la mesure des moyens de légalité invoqués ;

le déclare fondé dans cette mesure ;

le déclare irrecevable pour le surplus ;

partant, dans le cadre du recours en réformation, prononce l’annulation de l’arrêté ministériel litigieux du 21 juin 2004 ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 8 juillet 2004 par:

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, 5 en présence de M. Schmit, greffier en chef Schmit Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18296
Date de la décision : 08/07/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-07-08;18296 ?

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