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08/07/2004 | LUXEMBOURG | N°17785

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 juillet 2004, 17785


Tribunal administratif N° 17785 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 mars 2004 Audience publique du 8 juillet 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17785 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 mars 2004 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, n

é le … à Gjakove (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant act...

Tribunal administratif N° 17785 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 mars 2004 Audience publique du 8 juillet 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17785 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 mars 2004 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Gjakove (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 9 décembre 2003, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, telle que cette décision a été confirmée par ledit ministre le 16 février 2004, suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 mai 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Frank WIES, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 13 novembre 2003, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, M. DEVA fut entendu par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Il fut encore entendu le 26 novembre 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 9 décembre 2003, notifiée par lettre recommandée le 16 décembre 2003, le ministre de la Justice l’informa que sa demande d’asile avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 13 novembre 2003 que vous auriez quitté votre domicile au Kosovo le 10 novembre 2003 en direction de l’Albanie où vous auriez fait connaissance d’un passeur qui vous aurait emmené au Luxembourg, où vous seriez arrivé le 12 novembre 2003, date du dépôt de votre demande d’asile. Vous pouvez seulement préciser être passé par l’Italie.

Vous admettez avoir séjourné en tant que demandeur d’asile en Suisse de 1995 à 2000.

Vous déclarez avoir été poursuivi le 20 août 2003 par un groupe de personnes qui vous aurait menacé avec un revolver vous reprochant d’avoir voté pour le LDK et d’être un activiste de ce parti. En effet, vous précisez être membre de l’LDK et avoir participé à des réunions du LDK lors de la campagne électorale il y a deux ans. Vous auriez effectivement voté LDK. Vous ajoutez également avoir eu des menaces par téléphone. Vous ne savez pas qui sont ces personnes. Vous n’auriez pas porté plainte auprès de la police.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Or, il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécuté dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève.

Ainsi, les motifs que vous invoquez ne sont pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution selon la Convention de Genève. En effet, des personnes privées ne sauraient être considérées comme agents de persécutions au sens de la Convention de Genève et leurs menaces ne sauraient constituer des motifs visés par la Convention de Genève. A cela s’ajoute qu’il est peu concevable qu’on vous aurait menacé en 2003 pour des faits qui se seraient déroulés en 2001. Enfin, précisons également que le LDK est actuellement parti politique au pouvoir au Kosovo [sic] et qu’une crainte liée à l’appartenance à ce parti n’est pas lieu à être. Votre peur traduit plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève. Par ailleurs, il n’est pas établi que les forces onusiennes seraient dans l’incapacité de vous fournir une protection quelconque.

Vous n’avez également à aucun moment apporté un élément de preuve permettant d’établir des raisons pour lesquelles vous ne seriez pas en mesure de vous installer dans une autre partie du Kosovo ou au Monténégro pour ainsi profiter d’une possibilité de fuite interne.

Il faut également souligner qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, est installée au Kosovo pour assurer la coexistence pacifique entre les différentes communautés et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place. Les élections municipales du 28 octobre 2000 se sont conclues avec la victoire des partis modérés et une défaite des partis extrémistes. Le Kosovo doit également être considéré comme territoire où il n’existe pas en règle générale des risques de persécutions pour les albanais.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux introduit par lettre de son mandataire le 9 janvier 2004 et à une décision confirmative de son refus initial prise par le ministre de la Justice le 16 février 2004, notifiée par lettre recommandée le 17 février 2004, M. …, par requête déposée le 18 mars 2004, a fait introduire un recours tendant à la réformation des deux décisions prévisées du ministre de la Justice des 9 décembre 2003 et 16 février 2004.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises. Le recours ayant également été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur d’appréciation en rejetant sa demande d’asile. Dans ce contexte, il soutient qu’il remplirait les conditions pour être admis au statut de réfugié, au motif qu’il aurait été contraint de quitter son pays d’origine pour éviter des persécutions en raison de son appartenance et de son activisme pour le parti politique LDK, étant donné qu’en date du 20 août 2003, il aurait été abordé par trois inconnus qui lui auraient reproché son activisme pour le LDK et qui auraient essayé de le tuer et que les jours d’après, il aurait reçu des menaces téléphoniques. Il expose encore ne pas avoir déposé de plainte en raison de sa crainte de représailles pour sa famille et parce que l’UNMIK ne serait pas en mesure de le protéger efficacement.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions et force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal. En effet, le demandeur fait essentiellement état de sa crainte de subir des persécutions de la part d’inconnus qu’il considère être membres de la population albanaise du Kosovo, hostiles au parti politique du LDK, et qui lui reprocheraient son appartenance audit parti. Or, cette crainte s’analyse en substance en un sentiment général de peur, en soi insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève. En effet, les menaces proférées par des inconnus à l’encontre du demandeur, à les supposer établies, constituent certainement des pratiques condamnables, mais en l’espèce, ne dénotent non seulement pas une gravité telle qu’ils établissent à l’heure actuelle un risque de persécution dans le chef du demandeur au point que la vie lui serait intolérable dans son pays d’origine, mais encore et surtout, il convient de constater que ces actes s’analysent en une persécution émanant non pas de l’Etat, mais d’un groupe de la population et ne sauraient dès lors être reconnus comme motif d’octroi du statut de réfugié que si les personnes en cause ne bénéficient pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève.

Or, en l’espèce, le demandeur n’établit pas à suffisance de droit qu’il aurait été dans l’impossibilité de solliciter la protection des autorités chargées d’assurer la sécurité publique ou que celles-ci refusent ou ne soient pas capables de lui assurer un niveau de protection suffisant, étant relevé que la notion de protection des habitants d’un pays contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission matérielle d’un acte criminel et qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers uniquement en cas de défaut de protection dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Pour le surplus, les risques allégués par le demandeur se limitent essentiellement à son village d’origine au Kosovo et il reste en défaut d’établir qu’il ne peut pas trouver refuge à l’heure actuelle dans une autre partie du Kosovo, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 45 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, juge et lu à l’audience publique du 8 juillet 2004, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17785
Date de la décision : 08/07/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-07-08;17785 ?

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