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07/07/2004 | LUXEMBOURG | N°17695

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 juillet 2004, 17695


Tribunal administratif N° 17695 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 mars 2004 Audience publique du 7 juillet 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17695 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 mars 2004 par Maître Patrick WEINACHT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de

Monsieur …, né le … (Iran), de nationalité iranienne, demeurant actuellement à L-… , tend...

Tribunal administratif N° 17695 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 mars 2004 Audience publique du 7 juillet 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17695 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 mars 2004 par Maître Patrick WEINACHT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Iran), de nationalité iranienne, demeurant actuellement à L-… , tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 16 février 2004, confirmant après recours gracieux une décision du 7 avril 2003, ayant rejeté sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 mai 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé le 4 juin 2004 au greffe du tribunal administratif en nom et pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en sa plaidoirie à l’audience publique du 5 juillet 2004.

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Le 18 novembre 2002, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Il fut encore entendu le 4 janvier 2003 par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 7 avril 2003, expédiée par courrier recommandé le 8 avril 2003, le ministre de la Justice informa Monsieur … de ce que sa demande avait été rejetée au motif qu’il n’alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raisons d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans son chef.

Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 6 mai 2003 à l’encontre de cette décision ministérielle, Monsieur … fit l’objet de deux auditions complémentaires en date des 18 juin et 17 septembre 2003.

Après réexamen du dossier, le ministre de la Justice prit une décision confirmative le 16 février 2004, expédiée par lettre recommandée le 17 février 2004.

Le 5 mars 2004, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation contre la décision ministérielle du 16 février 2004 précitée.

La procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite, le fait que l’avocat constitué pour un demandeur n’est ni présent, ni représenté à l’audience de plaidoiries, est indifférent. Comme le demandeur a pris position par écrit par le fait de déposer sa requête introductive d’instance ainsi qu’un mémoire en réplique, le jugement est réputé contradictoire entre parties.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Quant au fond, le demandeur fait plaider qu’en tant que musulman converti au christianisme en Iran, il aurait été exposé aux persécutions de la part des autorités iraniennes. Il expose qu’étant donné que la conversion d’un musulman serait punie de mort en Iran, il aurait dû se cacher pour pratiquer sa religion, et aurait même dû renoncer à se faire baptiser, tant les églises que les pratiquants étant surveillés par la police secrète.

Il explique qu’ayant été convoqué à la gendarmerie, il aurait décidé de fuir afin d’échapper à son arrestation qui en Iran signifierait déjà sa condamnation à mort et son exécution.

Il expose finalement d’une manière générale la situation difficile des religions minoritaires en Iran, et en particulier celle des chrétiens, victimes de persécutions systématiques.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la réalité et la gravité des motifs de crainte de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours.

Il relève en particulier que le demandeur appartiendrait à une secte, de sorte que l’on ne saurait parler d’une véritable conversion, et qu’il se serait adonné en Iran au prosélytisme, ce qui expliquerait ses problèmes avec les autorités. Il soulève encore que la convocation à la gendarmerie en Iran versée aux débats par le demandeur serait un faux grossier.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demande d'asile, doit partant procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d'asile, tout en prenant en considération la situation générale existant dans son pays d’origine. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur (trib. adm. 13 novembre 1997, n° 9407 et 9806, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, C. Convention de Genève, n° 40, p.185, et les autres références y citées).

Or l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, si le demandeur doit, à défaut de pièces, du moins présenter un récit crédible et cohérent, le tribunal est contraint de constater que si le demandeur fait en substance état, en tant que motif devant justifier l’obtention du statut de réfugié, de sa conversion au christianisme et des menaces pour sa personne en résultant, il fournit cependant à l’occasion de ses diverses auditions des versions fort différentes.

Ainsi, à l’occasion de son audition par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux en date du 18 novembre 2002, le demandeur expose s’être converti au christianisme il y aurait environ 3 mois, et avoir été contraint de fuir du fait de la confiscation de son passeport par les autorités iraniennes, confiscation qui annoncerait son arrestation imminente : « Vor ca 3 Monaten fasste ich den Entschluss zum Christentum überzuwechseln. (…) Kurze Zeit später wurde mein Reisepass von den iranischen Behöden konfisziert. Indem meine Verhaftung kurz bevorstand, entschloss ich mich dazu zu fliehen ».

Dans le cadre de son audition du 4 janvier 2003, le demandeur prétend s’être converti au christianisme un an auparavant, après avoir fait la connaissance sur son lieu de travail d’un chrétien d’origine arménienne. Le demandeur, s’intéressant selon ses propres dires aux différentes religions, se serait davantage intéressé au christianisme, et se serait par la suite converti sans cérémonie : « En Iran cela suffit d’aller trouver un prêtre et de demander sa conversion. Il n’y a pas lieu à un baptême : c’est un simple changement fait oralement ». Il relate au cours de cette audition avoir fait de la propagande pour sa foi, de sorte que certains de ses collègues musulmans auraient commencé à douter de leur propre foi, et qu’il se serait fait tatouer une « croix chrétienne » sur le bras. Des collègues musulmans, ayant remarqué à l’occasion d’une visite à la piscine la croix tatouée sur son bras, l’auraient dénoncé aux autorités religieuses.

Apprenant ceci, le demandeur aurait aussitôt abandonné son travail, et après avoir vécu pendant deux semaines dans la clandestinité, il aurait quitté l’Iran.

Dans le cadre de son recours gracieux daté du 6 mai 2003 dirigé contre la décision initiale du ministre, le demandeur, après avoir prétendu que l’interprète l’ayant assisté lors de son audition n’aurait pas donné une traduction fidèle de ses déclarations, affirme s’être converti au christianisme en 2002, mais ne pas avoir été en mesure d’obtenir son baptême, et communique au ministre une convocation à la gendarmerie censée étayer les persécutions auxquelles il aurait été exposé en Iran, fait qu’il n’a jamais mentionné auparavant.

Enfin, dans le cadre de ses auditions complémentaires des 18 juin et 17 septembre 2003, le demandeur explique s’être détourné de l’islam très jeune, suite à la mort de ses parents durant la guerre opposant l’Iran à l’Irak, et avoir commencé, alors qu’il fréquentait encore le lycée, à suivre des cours de religion dans une église arménienne. Il affirme encore que le processus de sa conversion aurait été long. Il décrit par ailleurs les circonstances et la cérémonie de son baptême dans une église de Téhéran en 2002, baptême précédé de cours ainsi que d’examens écrits et oraux. Il soutient ne pas s’être livré à la propagande, son groupe étant resté dans la clandestinité.

Il prétend encore avoir fui l’Iran après avoir été convoqué par la police.

S’il est vrai que le demandeur conteste intégralement le contenu du premier rapport d’audition, en accusant l’interprète commis de pas être neutre du fait de son adhésion à l’islam, le tribunal ne saurait cependant accepter de mettre en doute ce qui a été acté à l’occasion de la première audition, et admettre que l’interprète se serait rendu coupable de l’infraction de faux, alors qu’il appartient à la partie qui allègue le caractère faux d’un document d’en établir ledit caractère faux ou falsifié à l’exclusion de tout doute.

Or en l’espèce, les allégations du demandeur ne reposent que sur de vagues suppositions, dépourvues du moindre indice permettant d’accorder une quelconque crédibilité aux accusations portées contre l’interprète : « Cette personne devait être d’origine kurde et je pense qu’il ne comprend pas très bien le farsi. J’ai entendu dire par la suite q’il avait fait construire une mosquée ici et je pense que, rien que pour cela, qu’il n’est pas neutre ; je ne dis pas qu’il fanatique, mais je crois qu’il doit avoir un fort penchant pour l’Islam ».

Le tribunal tient par ailleurs à relever que les incohérences ne se limitent pas au seul récit fait par le demandeur à l’occasion de ses auditions par les services du ministère, mais que, comme relevé ci-avant, les explications offertes à la police grand-ducale par le demandeur à l’occasion de l’introduction de sa demande d’asile ne sont pas conformes à la version produite par après dans le cadre de ses auditions. Le tribunal relève tout particulièrement à ce sujet que le demandeur n’avait pas mentionné à l’époque avoir été convoqué par la police de Téhéran, mais avait prétendu s’être vu confisquer son passeport ; ce n’est que par la suite, soit près de 7 mois après avoir déposé sa demande d’asile, qu’il a produit le document établissant prétendument son arrestation imminente, sans fournir la moindre explication quant à la provenance de ce document.

Enfin, force est encore de constater que ce document, émis prétendument par le quartier général de la police de Téhéran, n’indique, du moins dans sa traduction versée au tribunal, pas l’identité du destinataire de cette convocation, ni ne mentionne l’infraction mise à charge de son destinataire, de sorte que ce document est dépourvu de toute pertinence.

Il s’avère dès lors que le demandeur reste en défaut d’établir qu’il a fait l’objet, sinon risquait de faire l’objet de persécutions spécifiques laissant supposer un danger sérieux pour sa personne, mais qu’il ne fait état que d’une crainte généralisée du fait de sa religion.

En ce qui concerne la crainte générale exprimée par le demandeur d’actes de persécution des autorités iraniennes à son encontre en raison de sa conversion au christianisme, force est de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités religieuses en Iran, et plus particulièrement celle des musulmans convertis à l’un des cultes minoritaires, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une confession minoritaire serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur risque de subir des persécutions, éléments qui en l’espèce ne sont cependant pas établis par le demandeur.

Il suit de ce qui précède que le ministre a valablement pu retenir que le demandeur n’a pas fait état, de façon crédible, de persécutions vécues ou de craintes au sens de la Convention de Genève susceptibles de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef.

Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en la forme, au fond, déclare le recours non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 7 juillet 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17695
Date de la décision : 07/07/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-07-07;17695 ?

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