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07/07/2004 | LUXEMBOURG | N°17647

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 juillet 2004, 17647


Tribunal administratif N° 17647 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 février 2004 Audience publique du 7 juillet 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17647 du rôle, déposée le 23 février 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M.

…, déclarant être né le … à Jaffna (Sri Lanka), de nationalité sri lankaise, demeurant actuellement à L-...

Tribunal administratif N° 17647 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 février 2004 Audience publique du 7 juillet 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17647 du rôle, déposée le 23 février 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, déclarant être né le … à Jaffna (Sri Lanka), de nationalité sri lankaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 17 novembre 2003, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, telle que cette décision a été confirmée par le même ministre en date du 20 janvier 2004, suite au recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 avril 2004 ;

Vu la lettre télécopiée du 11 juin 2004 de Maître Frank WIES informant le tribunal qu’il a déposé son mandat et qu’il n’occupe plus pour le demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en sa plaidoirie.

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En date du 11 juillet 2003, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Le même jour, M. … fut entendu par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Il fut entendu le 4 septembre 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 17 novembre 2003, notifiée par lettre recommandée du 5 décembre 2003, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Cette décision est libellée comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du même jour et le rapport d’audition de l’agent du Ministère de la Justice du 4 septembre 2003.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté le Sri Lanka le 12 décembre 2001 pour prendre un vol Colombo / Saint Petersbourg. Vous auriez vécu en Russie et en Europe de l’Est pendant environ un an et demi. Finalement, de Moldavie, vous auriez pris un bus, puis une voiture pour venir au Luxembourg.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 11 juillet 2003.

Vous exposez que vous n’auriez pas fait de service militaire régulier mais que vous auriez, de temps en temps, pris les armes pour les TIGERS. Ceux-ci vous auraient chargé de conduire leurs embarcations, par exemple pour aller chercher des armes cachées en mer.

Vous dites avoir été mis ainsi dans une situation exposée car des escarmouches avec l’armée régulière auraient été fréquentes. Ainsi, lors d’une sortie avec les TIGERS, six d’entre eux auraient été tués. Votre sœur, qui aurait aussi rejoint cette guérilla, aurait été tuée en 1996 par une bombe. D’après vous, les TIGERS venaient réquisitionner régulièrement un membre de votre famille, d’abord vos frères, ensuite votre sœur et finalement, vous-même.

Vous précisez que le dépôt d’une plainte se serait avéré inutile car la région serait entièrement sous contrôle des TIGERS et que les autorités officielles seraient sans pouvoir.

Maintenant, plus aucun membre de votre famille ne se trouverait parmi les TIGERS.

En effet, un cessez-le-feu avec les autorités du Sri Lanka serait intervenu et les TIGERS auraient cessé leur recrutement.

Vous remettez aussi, à titre de pièce au dossier, une cassette vidéo en précisant que « la même chose pourrait vous arriver ».

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

En ce qui concerne la cassette vidéo que vous avez remise à titre de pièce à votre dossier, elle n’est ni pertinente ni concluante. Il s’agit d’un film amateur dans lequel on voit 2 une famille pleurer un mort, le défunt présente certes une blessure à la figure mais la provenance de celle-ci n’est pas prouvée.

Je constate surtout que vous reconnaissez que les problèmes avec la guérilla TIGERS ont cessé. Votre famille n’aurait plus aucun problème à l’heure actuelle.

Il est d’ailleurs exact qu’un cessez-le-feu avec le gouvernement du Sri Lanka est intervenu en décembre 2001, préludes aux négociations de paix de 2002.

Tout au plus peut-on considérer que vous éprouvez un sentiment d’insécurité qui ne saurait fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

De plus, les TIGERS ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je dois donc constater qu’aucune de vos assertions ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, c’est-à-

dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux introduit par lettre de son mandataire en date du 7 janvier 2004 et une décision confirmative de son refus initial prise par le ministre de la Justice le 20 janvier 2004, M. …, par requête déposée le 23 février 2004, a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions prévisées du ministre de la Justice du 17 novembre 2003 et 20 janvier 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, qui a par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Quant au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire de Jaffna au Sri Lanka dans une région qui se trouverait depuis une décennie sous l’emprise des « TIGERS », mouvement indépendantiste armé qui combattrait pour l’indépendance d’une partie de l’île. Il fait valoir que les « TIGERS » recruteraient leurs membres par la force dans la population locale et que sa famille aurait dû à tour de rôle aller rejoindre les rebelles et notamment ses deux frères qui auraient après leur mariage été remplacés par leur sœur. Il précise qu’en 1996, à la mort de sa sœur dans l’explosion d’une bombe sur un bateau en mer lors d’une opération des « TIGERS », il aurait été à son tour contraint d’aller combattre avec les rebelles. Il ajoute qu’il ne serait pas possible de se dérober à l’appel des « TIGERS », au motif qu’ils 3 menaceraient de s’en prendre aux membres de la famille. Il relève que ce serait à tort que le ministre de la Justice se prévalait de la mise en place en 2002 d’un cessez-le-feu, alors que sur le terrain la situation en serait une autre, en se référant à des rapports à ce sujet de Human Rights Watch et Amnesty International, pour soutenir que les « TIGERS » continueraient à commettre des assassinats politiques en toute impunité et que le gouvernement de Colombo ne serait pas capable d’assurer un minimum de protection contre les persécutions perpétrées par les « TIGERS ».

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laisse supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que la crédibilité et la véracité du récit du demandeur sont sérieusement ébranlées par le fait apparu au cours de l’instruction de la demande d’asile de M. …, que le 29 janvier 2002, il avait introduit une demande d’asile aux Pays-Bas sous le nom de « Periyathambi DINES », né le 12 janvier 1982, laquelle demande fut rejetée le 18 juillet 2002, état des choses que le demandeur n’a pas mentionné lors de son audition et qu’il n’a pas tenté d’expliquer par la suite. S’y ajoute que ces faits se situent à une époque où M. … a déclaré devant les instances luxembourgeoises qu’il se trouvait en Russie et puis en Biélorussie. En outre, les explications en relation avec le nom « Periyathambi DINES » sur la 4 cassette vidéo, contenant prétendument les images de l’enterrement de la sœur de M. …, et que ce dernier a remise à l’agent du ministère de la Justice lors de son audition, ne sont nullement convaincantes.

Or, à la lumière de cette constatation et compte tenu du défaut d’un quelconque élément de preuve tangible relativement à des persécutions concrètes que le demandeur a subies ou des risques réels afférents, le récit du demandeur, n’est pas de nature à dégager l’existence d’un risque réel de persécution au sens de la Convention de Genève dans son chef.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

donne acte au demandeur de ce qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 7 juillet 2004, par le premier juge, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schroeder 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17647
Date de la décision : 07/07/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-07-07;17647 ?

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