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06/07/2004 | LUXEMBOURG | N°18289

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 juillet 2004, 18289


Tribunal administratif N° 18289 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 juin 2004 Audience publique extraordinaire du 6 juillet 2004

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Recours formé par Monsieur …, alias Z.S.

contre un arrêté du ministre de la Justice en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18289 du rôle et déposée le 28 juin 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Sandra VION, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des av

ocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité lettonne, alias Z.S., actuellement plac...

Tribunal administratif N° 18289 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 juin 2004 Audience publique extraordinaire du 6 juillet 2004

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Recours formé par Monsieur …, alias Z.S.

contre un arrêté du ministre de la Justice en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18289 du rôle et déposée le 28 juin 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Sandra VION, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité lettonne, alias Z.S., actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière de Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 7 juin 2004, lui notifiée le même jour, ordonnant son placement audit Centre de séjour provisoire pour la durée maximum d’un mois à partir de la notification ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 juin 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté entrepris ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Sandra VION et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 5 juillet 2004 à 15.00 heures.

Le 7 juin 2004, M. …, alias Z.S., fut intercepté au Grand-Duché de Luxembourg par la police grand-ducale, sans être en possession de pièces d’identité et de voyage valables et sans moyens d’existence personnels.

Par arrêté du 7 juin 2004, le ministre de la Justice refusa l’entrée et le séjour à M. ….

Suivant arrêté du même jour, le ministre de la Justice ordonna à l’encontre de M. … une mesure de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, ci-après dénommé « Centre de séjour provisoire », pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de la décision en question dans l’attente de son éloignement du territoire luxembourgeois.

La décision de placement est fondée sur les considérations et motifs suivants :

« Vu les rapports de police n°65241/2004 et n° 60500/2004 ;

Vu mon arrêté de refus d’entrée et de séjour du 7 juin 2004 ;

Considérant que l’intéressé est dépourvu d’un titre de voyage valable respectivement d’un document d’identité valable ;

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels ;

- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

- qu’il constitue un danger pour l’ordre et la sécurité publics ;

Considérant qu’un éloignement immédiat n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement dans l’attente de la délivrance d’un laissez-passer par les autorités lettonnes ».

Par requête déposée le 28 juin 2004, M. … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision ministérielle de placement précitée du 7 juin 2004.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une mesure de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision litigieuse.

Le recours est également recevable pour avoir été déposé dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre de la Justice de ne pas avoir respecté les conditions légales pour prononcer une mesure de rétention à son encontre en faisant valoir qu’il aurait omis d’indiquer dans sa décision les éventuelles circonstances de fait l’ayant conduit à la conclusion qu’une expulsion ou un refoulement serait impossible.

Il conclut à l’absence d’un quelconque danger dans son chef de se soustraire à un rapatriement et il reproche finalement au ministre de ne pas avoir entrepris des démarches suffisantes en vue de procéder à son éloignement du territoire dans les plus brefs délais. En effet, il ressortirait du dossier administratif que dans le cadre des mesures de placement dont le demandeur aurait fait l’objet précédemment que le ministre de la Justice aurait demandé en date du 9 avril 2004 un laissez-passer auprès des autorités lettonnes et que ce ne serait qu’en date du 8 juin 2004 qu’il aurait adressé une lettre de rappel à ces autorités.

Enfin, il estime que la mesure de placement au Centre Pénitentiaire de Schrassig constituerait une mesure disproportionnée, tant au regard de la loi du 28 mars 1972, précitée, qu’au regard de sa situation personnelle en soutenant que le Centre pénitentiaire de Schrassig ne serait pas à considérer comme un établissement approprié pour le placement d’un étranger faisant l’objet d’une mesure de rétention administrative, et en faisant valoir qu’il serait « gravement perturbé par le fait d’être traité de la même manière que des délinquants au sens pénal ».

Sur ce, il sollicite la réformation de la décision déférée et sa remise en liberté immédiate, sinon subsidiairement que le tribunal ordonne son placement dans un établissement plus approprié à sa situation personnelle.

Le délégué du gouvernement rétorque que les conditions légales justifiant la mesure de placement seraient remplies en l’espèce, au vu du séjour illégal du demandeur au pays et du fait qu’il subirait une mesure de rétention administrative sur base de l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972, précitée, en vue de son éloignement du territoire luxembourgeois, de sorte qu’il rentrerait directement dans les prévisions de la définition des « retenus » telle que consacrée à l’article 2 du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière. Ainsi toute discussion sur l’existence d’un risque de porter atteinte à l’ordre public et d’un risque de fuite dans le chef du demandeur s’avérerait non pertinente en la matière, étant donné que la mise en place d’un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière reposerait précisément sur la prémisse qu’au-delà de toute considération tenant à une dangerosité éventuelle des personnes concernées, celles-ci, eu égard au seul fait de l’irrégularité de leur séjour et de l’imminence de l’exécution d’une mesure d’éloignement dans leur chef, présenteraient par essence un risque de fuite, fût-il minime, justifiant leur rétention dans un centre de séjour spécial afin d’éviter que l’exécution de la mesure prévue ne soit compromise. Pour le surplus, il soutient que le demandeur présenterait un danger pour l’ordre public, au motif qu’il se serait présenté sous une fausse identité et nationalité, qu’il aurait commis un vol à l’étalage, et qu’il serait recherché par la police allemande et par les autorités lettonnes pour diverses infractions pénales.

Enfin, il soutient que les autorités luxembourgeoises auraient entrepris toutes les diligences utiles en vue d’un éloignement rapide de M. …. Ainsi, elles auraient dès le mois d’avril 2004 sollicité un laissez-passer aux autorités lettonnes, laquelle demande aurait encore été rappelée par courrier du 8 juin 2004.

Par ailleurs, concernant le prétendu caractère disproportionné du placement de Monsieur …, le délégué souligne que ce dernier se trouverait placé dans un établissement approprié, à savoir le Centre de séjour provisoire et non pas au Centre Pénitentiaire de Luxembourg proprement dit.

Le tribunal n’étant saisi que dans la limite des moyens soulevés, il n’y a lieu d’examiner que les moyens sus-énoncés.

En ce qui concerne le reproche tiré du défaut de motivation de la décision déférée en ce qu’elle n’indiquerait pas les circonstances de fait ayant empêché l’éloignement immédiat du demandeur, ledit moyen est à rejeter, étant donné qu’indépendamment du fait que l’arrêté de placement litigieux du 7 juin 2004 est motivé à suffisance en relation avec le séjour irrégulier de M. …, la sanction de l’obligation de motiver une décision administrative consiste dans la suspension des délais de recours. La décision reste valable et l’administration peut produire ou compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois devant le juge administratif (cf. Cour adm. 8 juillet 1997, n° 9918 C du rôle, Pas. adm. 2003, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 44).

En vertu de l’article 15, paragraphe (1) de la loi modifiée du 28 mars 1972, précitée, lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 ou 12 de la même loi est impossible en raison des circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre de la Justice, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée maximum d’un mois.

Il en découle qu’une décision de placement au sens de la disposition précitée présuppose une mesure d’expulsion ou de refoulement légalement prise, ainsi que l’impossibilité d’exécuter cette mesure.

Il se dégage du dossier que le ministre de la Justice a pris le 7 juin 2004 un arrêté de refus d’entrée et de séjour contre le demandeur, décision non critiquée et par ailleurs légalement justifiée en présence d’un étranger dépourvu du visa requis et ne disposant pas de moyens d’existence personnels. Dans la mesure où ces faits ne sont pas contestés en cause, M. … remplissait dès lors en date du 7 juin 2004 les conditions légales telles que fixées par la loi sur base desquelles une mesure de refoulement a valablement pu être prise à son encontre.

La mesure de placement entreprise n’est cependant légalement admissible que si l’éloignement ne peut être immédiatement mis à exécution en raison d’une circonstance de fait et si depuis lors des diligences suffisantes ont été entreprises en vue d’assurer une prompte exécution de l’éloignement de l’intéressé, afin d’écourter au maximum la mesure restrictive de ses libertés.

Cette exigence légale appelle le tribunal à vérifier si le ministre de la Justice a pu se baser sur des circonstances de fait permettant de justifier en l’espèce une impossibilité de procéder à un éloignement immédiat de l’intéressé.

Or, en l’espèce, force est de constater qu’il appert des éléments d’appréciation soumis au tribunal que l’impossibilité d’un éloignement immédiat de l’intéressé était patente au jour de la prise de la décision litigieuse. En effet, face à un étranger sans papiers de légitimation et, ayant fait usage d’une fausse identité et d’une fausse nationalité, des mesures de vérification de son identité et de concertation avec les autorités étrangères étaient indispensables, avant que l’éloignement n’ait pu être exécuté. Dans ce contexte, il convient de constater que s’il est vrai que le demandeur a déjà précédemment fait l’objet d’une mesure de rétention, laquelle a été renouvelée à deux reprises, force est de constater que la procédure précédente n’a pas pu être menée à son terme, étant donné que le demandeur avait indiqué s’appeler Z.S. et être de nationalité biélorusse, de sorte qu’un laissez-passer a été demandé dans un premier temps aux autorités biélorusses. Or, lorsqu’il s’est avéré que le demandeur avait indiqué une fausse identité et une fausse nationalité et qu’en réalité il serait de nationalité lettonne, c’est seulement dans un second temps que les autorités lettonnes ont été contactées en vue de l’obtention d’un laissez-passer. Force est encore de constater que dans le cadre de la nouvelle mesure de placement, la demande en obtention d’un laissez-passer a été rappelée aux autorités lettonnes dès le lendemain de la prise de la mesure de placement sous analyse, soit le 8 juin 2004. Il résulte encore du dossier administratif que par téléfax du 2 juillet 2004, les autorités lettonnes ont répondu positivement à la prédite demande en obtention d’un laissez-passer, et que même si la date prévue pour le transfert n’a pas encore été fixée, les démarches nécessaires et utiles afin d’assurer un éloignement de la personne intéressée ont été entamées dès le 8 juin 2004, de sorte qu’à l’heure actuelle, on ne saurait reprocher un défaut de diligences aux autorités luxembourgeoises.

Si c’est encore à bon droit que le demandeur fait relever qu’une mesure de placement ne se justifie qu’au cas où il existerait dans le chef de la personne qui se trouve sous le coup d’une décision de refoulement, un danger réel qu’elle essaie de se soustraire à la mesure de rapatriement ultérieure, c’est cependant à tort que le demandeur conteste l’existence d’un tel danger dans son chef.

En effet, il échet de relever qu’il résulte du procès-verbal de la police grand-

ducale n° 60500/2004, Service de recherche et d’enquête criminelle - service vol organisé - du 27 avril 2004 que le demandeur est recherché par les autorités lettonnes et par les autorités allemandes pour des infractions pénales, de sorte qu’il existe dans son chef un risque qu’il essaie de se soustraire à la mesure d’éloignement.

Dans la mesure où c’est dès lors précisément dans l’attente de la mise en œuvre des formalités préalables à son éloignement que le demandeur est maintenu en placement, la décision déférée ne saurait encourir le reproche de ne pas s’inscrire dans le cadre des prévisions légales en la matière.

Enfin, il convient encore d’analyser si la mesure de placement constitue une mesure disproportionnée. Il est constant, d’après les affirmations non contestées en cause, que par application de la décision litigieuse, le demandeur a été placé, non pas dans un établissement pénitentiaire, mais au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière créé par le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 précité. Or, force est de constater que le Centre de séjour provisoire est à considérer comme un établissement approprié au sens de la loi précitée de 1972, étant donné que le demandeur est en séjour irrégulier au pays, qu’il n’existe aucun élément qui permette de garantir au ministre de la Justice sa présence au moment où il pourra être procédé à son éloignement et qu’il n’a fait état à suffisance de droit d’aucun autre élément ou circonstance particuliers justifiant à son égard un caractère inapproprié du Centre de séjour provisoire.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours laisse d’être fondé et que le demandeur est à en débouter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique en séance extraordinaire du 6 juillet 2004 à 12.00 heures par le premier juge, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schroeder 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18289
Date de la décision : 06/07/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-07-06;18289 ?

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