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05/07/2004 | LUXEMBOURG | N°17722

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 juillet 2004, 17722


Tribunal administratif N° 17722 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 mars 2004 Audience publique du 5 juillet 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17722 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 mars 2004 par Maître Nicolas DECKER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de

Monsieur …, né le …(Libéria), de nationalité libérienne, demeurant actuellement à L-…, te...

Tribunal administratif N° 17722 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 mars 2004 Audience publique du 5 juillet 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17722 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 mars 2004 par Maître Nicolas DECKER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …(Libéria), de nationalité libérienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 11 février 2004 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 mai 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé le 28 mai 2004 au greffe du tribunal administratif en nom et pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Olivier POOS, en remplacement de Maître Nicolas DECKER, ainsi que Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRÜCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 28 juin 2004.

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Le 23 septembre 2003, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Le 11 novembre 2003, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 11 février 2004, expédiée par lettre recommandée le 18 février 2004, le ministre de la Justice l’informa de ce que sa demande avait été rejetée au motif que non seulement il n’alléguerait aucune crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social, mais encore qu’il aurait fait usage de papiers d’identité falsifiés, de sorte que sa demande serait manifestement infondée, et, a fortiori, non fondée pour les mêmes motifs.

Le 10 mars 2004, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation contre la prédite décision ministérielle de refus.

Il conteste les motifs invoqués pour lui refuser le statut de réfugié et en particulier l’affirmation que sa carte d’identité serait fausse. Il fait exposer qu’il aurait fait, à cause de son appartenance au parti politique « National Democratic Party of Liberia » l’objet de persécutions dans son pays par les partisans de l’ancien président Charles Taylor, et qu’il aurait été contraint de quitter son pays d’origine pour échapper à celles-ci.

Enfin, il fait plaider que la situation au Libéria, en dépit de la présence de casques bleus, ne serait toujours pas sécurisée.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la réalité et la gravité des motifs de crainte de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours.

Il expose que le récit du demandeur ne serait guère crédible ; il relève en particulier que le demandeur aurait utilisé une carte d’identité « totalement fausse ».

Il soutient encore qu’il ne ressortirait pas du récit du demandeur que celui-ci risquerait actuellement, individuellement et concrètement des persécutions du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques Il estime encore que la situation au Libéria serait sécurisée, comme en attesteraient des retours spontanés de réfugiés.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître en tant que juge du fond de la demande introduite contre la décision ministérielle entreprise. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».

En vertu de l’article 6, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle repose clairement sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ». Le même article précise dans son alinéa 2, a) que tel est notamment le cas lorsque le demandeur a « fondé sa demande sur une fausse identité ou sur des documents faux ou falsifiés dont il a affirmé l’authenticité lorsqu’il a été interrogé à leur sujet ».

Les cas énumérés à l’article 6, alinéa 2, sub a) à g) constituent non pas des conditions supplémentaires à remplir dans le chef d’un demandeur d’asile pour voir sa demande d’asile considérée comme manifestement infondée au sens de l’alinéa 1er du même article, mais traduisent des illustrations de ce que le législateur a envisagé d’une manière plus générale à l’alinéa 1er de l’article 6 prévisé, de sorte que le demandeur d’asile qui range dans une des hypothèses plus particulièrement envisagées à l’alinéa 2 de l’article 6 peut en principe automatiquement être considéré comme ayant présenté une demande d’asile manifestement infondée au sens de l’alinéa 1er de l’article 6, sans que le ministre n’ait besoin d’établir au-delà des éléments caractérisant le cas pertinent énuméré à l’alinéa 2 de l’article 6, également le caractère frauduleux de l’objectif de la demande lui adressée, celui-ci se dégageant précisément des éléments constitutifs des différents cas plus particulièrement envisagés (trib. adm. 5 février 2001, n° 12469a, Pas. adm. 2003, v° Etrangers, n° 93, p.198).

Or il ressort en l’espèce d’une pièce intitulée « Dokumentenüberprüfung », établie le 15 décembre 2003 par la police grand-ducale, service contrôle à l’aéroport, service documents de voyage, qu’en conclusion d’une analyse méthodique et approfondie effectuée au moyen de quatre méthodes différentes (« UV-Fluoreszenz », « Vergleich Computersystem », « Durchlicht » et « Mikroskop »), il s’est avéré que la carte d’identité présentée par le demandeur est fausse (« fälschlich ausgestellt »), et plus précisément que les données personnelles y figurant y ont été ajoutées à la main, le document vierge de base ayant vraisemblablement été volé (« Es dürfte sich um ein blanko gestohlenes Dokument handeln »).

A partir du moment où il est établi que le cas d’un demandeur d’asile correspond à l’un des cas plus particulièrement envisagés à l’alinéa 2 de l’article 6, le demandeur ne peut éviter que sa demande ne soit automatiquement rejetée qu’en donnant, en application des dispositions de l’alinéa 3 de l’article 6, une explication satisfaisante relative à la fraude lui reprochée.

Force est cependant de constater que le demandeur ne fournit aucune explication, mais se contente de contester le caractère faux sinon falsifié de sa carte d’identité. De telles contestations ne sauraient cependant énerver les conclusions non ambiguës de l’analyse effectuée par la police grand-ducale qui a établi ledit caractère faux ou falsifié à l’exclusion de tout doute.

Il en est de même des moyens du demandeur relatifs à son certificat de naissance, dont son identité résulterait selon lui à suffisance de droit. Le tribunal tient à rappeler à ce sujet que les dispositions de l’article 6, alinéa 1er du prédit règlement grand-ducal du 22 avril 1996 ne tendent pas à sanctionner le fait qu’un demandeur d’asile ne puisse pas être valablement identifié, mais le recours par le demandeur d’asile à une fraude délibérée. Le fait que le demandeur ait produit, en sus des documents falsifiés, un certificat de naissance, dont l’authenticité et la véracité restent d’ailleurs également sujets à caution au vu du fait qu’il indique un lieu de naissance différent de celui indiqué par le demandeur à l’occasion de son audition, n’est par conséquent pas relevant.

C’est partant à juste titre que le ministre de la Justice a considérée la demande d’asile sous analyse comme étant manifestement infondée pour reposer sur une fraude délibérée.

Toute demande d’asile remplissant les conditions fixées par l’article 9 de la loi du 3 avril 1996, de sorte à pouvoir être rejetée comme étant manifestement infondée, peut également, et a fortiori, être considérée comme simplement non fondée au sens de l’article 11 de la même loi, la seule différence entre les deux dispositions légales consistant dans le fait que les procédures administrative et contentieuse à respecter en application de l’article 9 en question sont réglementées de manière plus stricte par rapport à celles applicables en application de l’article 11 précité, dans la mesure où non seulement seuls les recours en annulation sont susceptibles d’être introduits à l’encontre des décisions déclarant une demande d’asile manifestement infondée mais qu’en outre les délais d’instruction sont beaucoup plus courts par rapport à ceux applicables pour les décisions prises au sujet des demandes d’asile déclarées simplement non fondées.

Or, le fait de faire application des dispositions des articles 11 et 12 de la loi précitée du 3 avril 1996 au lieu de celles contenues aux articles 9 et 10 de la même loi ne saurait en aucune manière préjudicier au demandeur d’asile qui, au contraire, bénéficie ainsi de garanties de procédure plus étendues, dans la mesure où il pourra introduire un recours en réformation devant les juridictions administratives et où les délais d’instruction au niveau administratif et au niveau juridictionnel ne comportent pas la même limitation dans le temps que ceux prévus au sujet des demandes d’asile déclarées manifestement infondées (Cour adm. 19 février 2004, n° 17263C ;

Cour adm. 19 février 2004, n° 17264C, non encore publiés).

A partir de ces considérations, le tribunal est amené à constater que la décision litigieuse est a fortiori justifiée dans son résultat en ce qu’elle a rejeté comme non fondée sur base de l’article 11 de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée la demande du demandeur en obtention du statut de réfugié.

Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, déclare le recours non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 5 juillet 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17722
Date de la décision : 05/07/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-07-05;17722 ?

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