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05/07/2004 | LUXEMBOURG | N°17620

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 juillet 2004, 17620


Tribunal administratif N° 17620 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 février 2004 Audience publique du 5 juillet 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17620 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 février 2004 par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Pristina (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), d

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monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation si...

Tribunal administratif N° 17620 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 février 2004 Audience publique du 5 juillet 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17620 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 février 2004 par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Pristina (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-

monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation sinon à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 15 décembre 2003, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 avril 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 24 mai 2004 par Maître NGONO YAH pour le compte du demandeur ;

Vu la lettre télécopiée de Maître NGONO YAH du 28 juin 2004, informant le tribunal qu’elle ne pourrait pas se présenter à l’audience du même jour fixée pour les plaidoiries ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en ses plaidoiries.

Le 12 septembre 2003, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 6 novembre 2003, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 15 décembre 2003, envoyée par courrier recommandé du 18 décembre 2003, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée.

Cette décision est libellée comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 24 septembre 2003 et le rapport d’audition de l’agent du Ministère de la Justice du 6 novembre 2003.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté le Kosovo le 5 septembre 2003 pour aller en Albanie, puis en Italie. Ensuite, vous auriez poursuivi votre voyage en camionnette jusqu’au Luxembourg.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 12 septembre 2003.

Vous exposez que vous n’auriez pas fait votre service militaire.

Vous n’auriez pas été membre d’un parti politique.

Vous auriez été soldat à l’UCPMB et l’AKSH (Armata Kombëtare Shqiptare) vous aurait demandé de servir maintenant dans leurs rangs. Or, vous auriez eu envie de quitter ce groupe car il ne serait plus aidé ni par le Kosovo ni par l’UNMIK. Vous pensez qu’on vous forcera à rejoindre l’AKSH. Vous n’auriez encore subi aucune contrainte ni persécution mais vous en auriez peur.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Je constate d’abord qu’il ne vous est rien arrivé de fâcheux dans votre pays et que vos craintes restent à l’état de pure[s] suppositions.

De plus, l’AKSH n’est pas une armée régulière de laquelle une désertion serait à craindre. Le conflit au Kosovo est terminé depuis qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’y est installée et qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place. Le Kosovo, pour des Albanais, ne saurait être considéré comme un territoire dans lequel des risques de persécutions sont à craindre.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 12 janvier 2004, Monsieur … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 15 décembre 2003.

Par décision du 6 février 2004, envoyée par lettre recommandée du 9 février 2004, le ministre de la Justice confirma sa décision négative du 15 décembre 2003, « à défaut d’éléments pertinents nouveaux ».

Le 19 février 2004, Monsieur … a introduit un recours tendant à l’annulation sinon à la réformation de la décision ministérielle de refus initiale précitée du 15 décembre 2003.

Encore que le demandeur entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée. Le recours subsidiaire en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il s’ensuit que le recours principal en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Quant au fond, le demandeur fait exposer qu’il aurait été soldat du mouvement « UCPMB », dépendant de l’« UCK », et qu’à la fin de la guerre de Macédoine en 2002, l’organisation « AKSH » aurait exigé de lui de rejoindre leurs rangs, malgré le fait que la guerre de Macédoine était terminée. Comme il aurait refusé de rejoindre les rangs de l’« AKSH », il serait à l’heure actuelle considéré comme déserteur, de sorte qu’il risquerait d’être persécuté en cas de retour dans son pays d’origine.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur soutient que ce serait à tort que le délégué du gouvernement estime qu’il n’existerait pas en règle générale au Kosovo des risques de persécution pour des Albanais, mais que la situation serait toute autre, au motif que les partis politiques extrémistes continueraient à exercer une pression considérable sur la population du Kosovo, que la protection des minorités au Kosovo ne serait pas garantie, ce qui serait illustré par les récents incidents et que les forces onusiennes ne seraient pas capables de garantir une coexistence pacifique entre les différentes communautés et de fournir une protection adéquate, de sorte qu’un retour au Kosovo ne serait pas envisageable à l’heure actuelle.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner » .

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition le 6 novembre 2003, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions.

Or, force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal. En effet, le demandeur fait essentiellement état de sa crainte de faire l’objet de représailles de la part des membres du mouvement « AKSH » pour avoir déserté leurs rangs alors que, lors de son audition il a expressément déclaré ne pas avoir rencontré de problèmes en raison de sa « désertion » dudit mouvement. Partant, cette crainte s’analyse en substance en un sentiment général de peur, en soi insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève. En effet, pareilles représailles, à les supposer établies, constituent certainement des pratiques condamnables, mais en l’espèce, ne dénotent non seulement pas une gravité telle qu’elles établissent à l’heure actuelle un risque de persécution dans le chef du demandeur au point que sa vie lui serait intolérable dans son pays d’origine, mais encore et surtout, il convient de constater que ces actes ne s’analysent pas en une persécution émanant de l’Etat, mais d’un groupe de la population et ne sauraient dès lors être reconnus comme motif d’octroi du statut de réfugié que si les personnes en cause ne bénéficient pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève.

A cela s’ajoute que ces persécutions n’émanent pas de l’Etat, mais de groupes de la population, en l’espèce surtout de membres de l’« ASKH », lesquels ne sauraient en tant que tels être considérés comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Si le demandeur tend en l’espèce certes à décrire une situation d’insécurité et de conflit généralisé dans son pays d’origine, il n’a soumis aucun indice concret relativement à l’incapacité actuelle des autorités compétentes de lui fournir une protection adéquate. En effet, le simple fait de prétendre que les autorités actuellement en place au Kosovo, en l’occurrence la KFOR, ne seraient pas en mesure de lui assurer une protection efficace, sans apporter d’autres précisions à ce sujet, n’est pas de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part desdites autorités.

Il résulte de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 5 juillet 2004 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17620
Date de la décision : 05/07/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-07-05;17620 ?

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