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05/07/2004 | LUXEMBOURG | N°17612

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 juillet 2004, 17612


Tribunal administratif N° 17612 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 février 2004 Audience publique du 5 juillet 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17612 du rôle, déposée le 19 février 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de

M. …, né le … à Nyakagiga (Burundi), de nationalité burundaise, demeurant à L-…, tendant principalement à...

Tribunal administratif N° 17612 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 février 2004 Audience publique du 5 juillet 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17612 du rôle, déposée le 19 février 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Nyakagiga (Burundi), de nationalité burundaise, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 21 janvier 2004 par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 avril 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 18 mai 2004 par Maître François MOYSE pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Joëlle NEIS, en remplacement de Maître François MOYSE, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 27 octobre 2003, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 M. … fut entendu en date des 10, 17 novembre et 3 décembre 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 21 janvier 2004, notifiée par lettre recommandée du 23 janvier 2004, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vos parents auraient été tués le 10 octobre 2003 par des bandits burundais armés qui vous auraient attaqués pour voler l’argent de votre père.

Vous précisez que votre père aurait été un riche commerçant et que vous auriez déjà été attaqués en février 2003 par ces mêmes personnes. Vous ajoutez que les commerçants seraient souvent attaqués par des bandits au Burundi. Vous auriez réussi à vous enfuir lors de l’attaque d’octobre 2003 et vous seriez allé chez un ami de votre père qui vous aurait emmené le lendemain en Ouganda. Un jour on aurait pris une photo de vous et le 22 octobre 2003 vous auriez pris un avion. On ne vous aurait pas mis au courant de ce voyage. Par la suite vous auriez encore pris un autre avion et un train qui vous aurait emmené au Luxembourg, où vous seriez arrivé le 23 octobre 2003. Vous ne pouvez pas donner plus de précisions quant à votre voyage en Europe qui aurait été organisé par l’ami de votre père. Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié politique le 27 novembre 2003. Vous demandez de l’aide parce que vous n’auriez plus de famille et parce que vous ne pourriez pas subvenir à vos besoins.

Enfin, vous admettez que ni vous, ni un membre de votre famille n’auriez été membre d’un parti politique, groupe rebelle ou milice.

Selon l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ». Par ailleurs, l’article 3 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 précitée, dispose que « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ».

Je vous informe qu’une demande d’asile qui peut être déclarée manifestement infondée peut, a fortiori, être déclarée non fondée pour les mêmes motifs.

Force est de constater que vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution pour une des raisons invoquées par la Convention de Genève. En effet, vous avez basé votre demande d’asile sur des motifs d’ordre personnel, sans citer un quelconque fait pouvant être considéré comme constituant une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. Ainsi, vous avez plus particulièrement déclaré que vous auriez quitté le Burundi parce que vous n’y auriez plus de famille et que vous ne puissiez pas subvenir à vos besoins.

2 En ce qui concerne l’attaque des bandits d’octobre 2003 dans laquelle vos parents auraient été tués, force est de constater qu’il s’agit là d’une infraction de droit commun. Vous dites avoir été attaqués à cause de l’argent de votre père. Cette attaque n’est donc pas liée à une persécution dans votre pays d’origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un certain groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, § 2 de la Convention de Genève. A cela s’ajoute que des bandits armés qui s’attaquent à des commerçants ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

Vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la prédite Convention.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par requête déposée le 19 février 2004, M. … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision prévisée du ministre de la Justice du 21 janvier 2004.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée. – Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.

Le recours principal en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

En premier lieu, Monsieur … estime que ministre de la Justice ne satisfait pas à l’exigence de motivation inscrite dans les textes légaux, et plus particulièrement à l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relative à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes et à l’article 12 de la loi précitée du 3 avril 1996, en reprenant une motivation « purement stéréotypée ».

Force est cependant de constater que ce moyen n’est pas justifié en fait. En effet, la décision du ministre de la Justice du 21 janvier 2004 est suffisamment motivée en ce que les faits tels que résumés dans la décision correspondent aux faits sous-jacents à la demande d’asile du demandeur et les motifs de refus y sont énumérés. Le ministre a partant indiqué de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait sur lesquels il s’est fondé pour 3 justifier son refus et les motifs ont ainsi été portés à suffisance de droit à la connaissance du demandeur.

Le premier moyen fondé sur le défaut de motivation de la décision ministérielle soumise au tribunal est partant à rejeter.

Quant au fond, le demandeur expose appartenir à l’ethnie des « Hutu », que son père aurait été un riche commerçant dans son village d’origine et que le domicile de ses parents aurait été attaqué à deux reprises par des rebelles appartenant à l’ethnie des « Tutsi », plus particulièrement au courant du mois de février 2003 et en date du 10 octobre 2003. Le demandeur relate que lors de la deuxième attaque, ses parents auraient été tués devant ses yeux, mais qu’il aurait réussi à s’enfuir pour rejoindre un ami de son père qui l’aurait aidé à gagner l’Europe en avion via l’Ouganda. Eu égard au fait que la situation actuelle au Burundi serait loin d’être stable, au vu des affrontements entre « Hutu » et « Tutsi », un retour dans son pays d’origine ne serait pas envisageable, d’autant plus qu’il ne pourrait bénéficier d’une protection de la part des autorités burundaises.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que les attaques des rebelles « Tutsi » – à les supposer établies, le demandeur restant en défaut de produire le moindre élément de preuve concret susceptible d’étayer ses dires - se résument en substance à des attaques à main armée, c’est-à-

4 dire à des infractions de droit commun. Ainsi, le demandeur affirme lui-même lors de ses auditions devant l’agent du ministère de la Justice que les agresseurs ont « demandé l’argent » de son père, respectivement que « les attaquants étaient sûr de trouver beaucoup d’argent chez nous », de sorte que les faits relatés sont sans aucun rapport avec des motifs de persécution prévus par la Convention de Genève.

Or, à la lumière de cette constatation, le récit du demandeur n’est pas de nature à dégager l’existence d’un risque réel de persécution au sens de la Convention de Genève dans son chef.

Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 5 juillet 2004, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17612
Date de la décision : 05/07/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-07-05;17612 ?

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