Tribunal administratif N° 17591 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 février 2004 Audience publique du 26 mai 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 17591 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 février 2004 par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo, Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 15 décembre 2003 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 avril 2004 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 10 mai 2004 par Maître Yvette NGONO YAH au nom de Monsieur … ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en ses plaidoiries à l’audience publique du 24 mai 2004.
Le 6 octobre 2003, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Monsieur … fut entendu le 23 octobre 2003 par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.
Par décision du 15 décembre 2003, notifiée par voie de courrier recommandé expédié en date du 22 décembre 2003, le ministre de la Justice informa Monsieur … de ce que sa demande avait été rejetée au motif que les ennuis principaux par lui relatés dateraient d’avant le conflit au Kosovo et que par la suite il aurait exercé son commerce de bétail sans problèmes majeurs, de sorte que ses dires s’analyseraient davantage en un sentiment d’insécurité générale qu’en une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. Le ministre a relevé en outre que des Albanais, non autrement spécifiés, ne sauraient être considérés comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève, que pour le surplus le Kosovo, pour un Albanais, ne saurait être considéré comme un territoire sur lequel des risques de persécution seraient à craindre et que Monsieur … serait malvenu de dire que les autorités ne serviraient à rien étant donné qu’il n’aurait même pas essayé de porter plainte.
Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 27 janvier 2004 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre de la Justice prit une décision confirmative le 2 février 2004.
Le 17 février 2004, Monsieur … a fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle prévisée du 15 décembre 2003.
L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées.
Il s’ensuit que le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit.
Dans son mémoire en réponse le délégué du Gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en faisant valoir qu’il serait devenu sans objet du fait que Monsieur … est retourné volontairement dans son pays d’origine en date du 5 mars 2004.
La recevabilité du recours se mesurant à l’intérêt à agir du demandeur lequel s’analyse au jour du dépôt de la requête introductive (cf. trib. adm. 27 juin 2001, n° 11342 du rôle, V° Pas. adm. 2003, Procédure contentieuse, n° 9, p. 497), l’incidence de l’argument ainsi avancé en cause ne saurait à avoir de retombée au niveau de la recevabilité du recours.
En l’absence de preuve tangible fournie en cause quant à la date effective de notification de la décision et en l’absence de contestation afférente, , il y a par ailleurs lieu d’admettre que le recours a été introduit dans le délai légal.
Il s’ensuit que le recours en réformation, introduit pour le surplus dans les formes prévues par la loi, est recevable et que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.
Quant au fond, le demandeur fait exposer qu’il se dégagerait du procès-verbal d’audition qu’il était commerçant de fruits au marché de Pristina dans les années 1998 et que pour avoir eu accès à cette place, il avait accepté de donner des informations sur les voleurs et plus particulièrement les détenteurs d’armes au responsable du marché, de sorte qu’après la guerre, il aurait fait l’objet d’agressions de la part d’Albanais au motif qu’il aurait collaboré avec les Serbes. Dans la mesure où, suite à ces agressions, qui se seraient soldées par des traitements en milieu hospitalier, il aurait décidé d’arrêter ses activités au marché, mais que malgré son absence sur son lieu de travail il aurait été poursuivi jusqu’à son domicile privé pour y subir des contraintes morales, le demandeur estime remplir les conditions d’octroi du statut de réfugié pour éprouver des craintes justifiées de persécution de la part des personnes qui le qualifieraient de collaborateur des Serbes.
Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours.
L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.
L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
Il résulte en effet des déclarations du demandeur, telles que précisées par ailleurs en cours d’instance contentieuse, que les craintes de persécutions par lui alléguées trouvent leur origine non pas dans son appartenance à un certain groupe social ou dans ses opinions politiques, sa race, sa religion ou sa nationalité, mais exclusivement dans le fait que depuis 1996, il avait un stand de fruits au marché et qu’en vue de maintenir ce commerce, il a cherché à avoir de bonnes relations avec la police serbe, le demandeur ayant déclaré à cet égard que « celui qui arrivait à faire des bonnes relations avec la police serbe obtenait une autorisation et pouvait travailler. Moi j’avais pris contact avec un policier serbe qui m’a permis de travailler au marché mais à la condition que je lui rends des services. Il m’a dit que je devrais juste lui renseigner qui vole au marché et qui est en possession d’armes. C’est ainsi que je travaillait jusqu’au début de la guerre. Je lui ai fourni des renseignements sur ceux qui portaient des armes et sur les voleurs ».
Dans la mesure où il est patent que les craintes de persécutions ainsi alléguées s’analysent en des actes de revanche en rapport direct avec les relations entretenues par le demandeur avec la police serbe dans un but avoué purement commercial et sans la moindre connotation politique, force est de constater que ces problèmes, quelle que puisse être leur gravité par ailleurs, restent sans rapport avec le champ d’application de la Convention de Genève qui vise spécifiquement des craintes de persécution du fait de la race, de la religion, de la nationalité, de l’appartenance à un certain groupe social ou des opinions politiques d’une personne, sans pour autant englober des persécutions de nature purement privée qui puissent exister par ailleurs.
Il résulte de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef, cette conclusion se trouvant encore corroborée clairement par le fait non contesté en cause du retour volontaire de l’intéressé dans son pays d’origine intervenu, d’après les informations du délégué du Gouvernement, en date du 5 mars 2004.
Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, déclare le recours non justifié et en déboute ;
déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;
condamne le demandeur aux frais .
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 26 mai 2004 par :
Mme Lenert, premier juge, Mme Gillardin, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Lenert 5