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19/05/2004 | LUXEMBOURG | N°18057

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 mai 2004, 18057


Tribunal administratif N° 18057 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 mai 2004 Audience publique du 19 mai 2004

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Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre un arrêté du ministre de la Justice en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18057 du rôle et déposée le 14 mai 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au

nom de Monsieur …, né le … à Bijelo Polje (Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-

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Tribunal administratif N° 18057 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 mai 2004 Audience publique du 19 mai 2004

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Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre un arrêté du ministre de la Justice en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18057 du rôle et déposée le 14 mai 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Bijelo Polje (Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-

monténégrine, actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière de Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 12 janvier 2004, lui notifiée le 26 avril suivant, ordonnant son placement audit Centre de séjour pour la durée maximum d’un mois ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 mai 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté entrepris ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Yvette NGONO YAH et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 19 mai 2004 à 9.00 heures.

Le 17 mars 2000, M. … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Par décision du 12 octobre 2000, notifiée en mains propres le 1er décembre 2000, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée.

Le 15 mars 2001, le ministre de la Justice invita M. … à quitter le territoire dans le mois à partir de la notification de la décision en question, laquelle notification fut refusée par M. … en date du 22 mars 2001.

Le 21 novembre 2003, suite à la demande du ministre de la Justice, les autorités serbo-monténégrines marquèrent leur accord en vue du rapatriement de M.

….

Le 7 janvier 2004, M. … fut invité par le ministère de la Justice à se présenter au Bureau d’accueil pour les demandeurs d’asile. Ne s’étant pas présenté à la date indiquée du 9 janvier 2004, il fut signalé à la police grand-ducale aux fins de découvrir sa résidence.

Par arrêté du 12 janvier 2004, le ministre de la Justice refusa l’entrée et le séjour à M. ….

Suivant arrêté du même jour, le ministre de la Justice ordonna à l’encontre de M. … une décision de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, ci-après le « Centre de séjour provisoire », pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de la décision en question, qui eut lieu le 26 avril 2004, dans l’attente de son éloignement du territoire luxembourgeois.

La décision de placement est fondée sur les considérations et motifs suivants :

« Considérant que l’intéressé est dépourvu du visa requis ;

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels ;

- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

Considérant qu’un éloignement immédiat n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ».

Par requête déposée le 14 mai 2004, M. … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision ministérielle de placement précitée du 12 janvier 2004.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une mesure de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 12 janvier 2004.

Le délégué du gouvernement se rapporte à prudence de justice équivalant à une contestation quant à la recevabilité du recours, la requête étant adressée à « Madame/Monsieur le Président du Tribunal Administratif ».

Le tribunal ne saurait cependant accueillir l’argumentation du représentant étatique, étant donné que le demandeur s’adresse dans le dispositif de la requête introductive d’instance à « Mesdames/Messieurs le Président et juges composant le Tribunal Administratif », donc bien à la formation collégiale et non pas au président du tribunal administratif. Ledit moyen d’irrecevabilité est partant à rejeter.

Le recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur ne conteste pas que son séjour au Luxembourg soit irrégulier, mais il fait valoir qu’il aurait déposé une nouvelle demande d’asile dans une requête déposée au tribunal administratif le 14 mai 2004 ainsi qu’une demande d’autorisation de séjour pour le cas où sa demande d’asile serait déclarée irrecevable. Il soutient que l’article 2 de loi du 28 mars 1972, précitée, investirait le ministre d’« un pouvoir d’appréciation souverain », en ce qu’il pourrait refuser l’entrée et le séjour. Or, il estime que ni le séjour irrégulier ni l’absence de moyens personnels suffisants ne sauraient constituer un motif valable de privation de liberté ou justifier une mesure d’éloignement. Il en conclut que la mesure de placement décidée à son encontre violerait l’article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 et approuvée par une loi du 29 août 1953. Enfin, il conteste le fait que son éloignement immédiat ne serait pas possible, ainsi que l’existence d’un risque de fuite dans son chef ou qu’il constituerait un danger pour l’ordre et la sécurité publics.

Sur ce, il sollicite la réformation de la décision déférée et sa remise en liberté immédiate, ainsi que l’autorisation de demeurer au Grand-Duché de Luxembourg en attendant une décision définitive quant à sa demande d’asile respectivement sa demande d’autorisation de séjour.

Le délégué du gouvernement rétorque que les conditions justifiant la mesure de rétention seraient remplies en l’espèce, aux motifs que le demandeur aurait refusé de donner suite à l’ordre de quitter le territoire et qu’il n’aurait pas saisi l’occasion d’un rapatriement volontaire dans son pays d’origine. Il ajoute que le demandeur aurait été sans adresse connue, qu’il n’aurait pas été en possession de documents de voyage valables, de sorte que le refoulement immédiat aurait été impossible. Il conteste l’existence d’une nouvelle demande d’asile et soutient que le moyen tiré de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme ne serait pas pertinent.

Enfin, il soutient que les autorités luxembourgeoises auraient entrepris toutes les diligences en vue d’un éloignement rapide. Ainsi, il expose qu’un laissez-passer aurait été sollicité en date du 14 mai 2004, lequel suivant l’accord de réadmission conclu avec l’Etat de Serbie et Monténégro devrait être émis dans les trois jours et qu’en date du même jour, le Service de Police Judiciaire aurait été saisi en vue de l’organisation du rapatriement du demandeur dans son pays d’origine, lequel devrait avoir lieu dans la semaine du 24 mai 2004. A l’audience, le délégué a confirmé que le rapatriement devrait avoir lieu le 25 mai 2004, voire déjà le 24 mai 2004.

En vertu de l’article 15, paragraphe (1) de la loi modifiée du 28 mars 1972, précitée, lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 ou 12 de la même loi est impossible en raison des circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre de la Justice, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée maximum d’un mois.

Il en découle qu’une décision de placement au sens de la disposition précitée présuppose une mesure d’expulsion ou de refoulement légalement prise, ainsi que l’impossibilité d’exécuter cette mesure.

Il se dégage du dossier que le ministre de la Justice a pris le 12 janvier 2004 un arrêté de refus d’entrée et de séjour contre le demandeur, décision non critiquée et par ailleurs légalement justifiée en présence d’un étranger dépourvu du visa requis et ne disposant pas de moyens d’existence personnels. - Cette conclusion n’est pas ébranlée par les allégations du demandeur soutenant qu’il aurait introduit une demande d’asile au sens de la Convention de Genève, étant donné qu’il ne ressort d’aucun élément du dossier qu’il soit à l’heure actuelle effectivement demandeur d’asile, alors que le simple fait d’affirmer avoir fait une nouvelle demande d’asile n’est pas suffisant pour valoir à son auteur la qualité de demandeur d’asile, tant qu’il n’est pas établi que cette demande fut introduite et enregistrée auprès de l’autorité compétente telle que définie par la loi.

La mesure de placement entreprise n’est cependant légalement admissible que si l’éloignement ne peut être immédiatement mis à exécution en raison d’une circonstance de fait.

Cette exigence légale appelle le tribunal à vérifier si le ministre de la Justice a pu se baser sur des circonstances de fait permettant de justifier en l’espèce une impossibilité de procéder à un éloignement immédiat de l’intéressé.

En l’espèce, il est constant que le demandeur n’est pas en possession de documents de voyage valables permettant son rapatriement vers l’Etat de Serbie et Monténégro. Dans la mesure où l’obtention d’un laissez-passer de la part des autorités serbo-monténégrines, ainsi que l’organisation du voyage vers Podgorica comportent nécessairement un minimum de démarches tenant notamment à la délivrance du prédit laissez-passer, l’introduction d’une demande auprès du corps de la police grand-

ducale en vue d’obtenir une escorte, l’organisation du vol avec le cas échéant la nécessité de solliciter une permission de transit, le ministre a valablement pu estimer que l’exécution immédiate de la mesure d’éloignement à la base de la décision sous analyse, était impossible à la date de la mesure de rétention déférée.

Si c’est encore à bon droit que le demandeur fait relever qu’une mesure de placement ne se justifie qu’au cas où il existe dans le chef de la personne qui se trouve sous le coup d’une décision de refoulement, un danger réel qu’elle essaie de se soustraire à la mesure de rapatriement ultérieure, c’est cependant à tort que le demandeur conteste l’existence d’un tel danger dans son chef.

En effet, il échet de relever que le demandeur a été débouté de sa demande d’asile, qu’il n’a pas donné suite à l’ordre de quitter le territoire, qu’il n’a pas accepté la proposition d’un rapatriement volontaire vers son pays d’origine et qu’il a dû être signalé à la police grand-ducale en vue de découvrir son adresse, de sorte qu’il existe dans son chef un risque qu’il essaie de se soustraire à la mesure d’éloignement.

Dans la mesure où c’est dès lors précisément dans l’attente de la mise en œuvre des formalités préalables à son éloignement que le demandeur est maintenu en placement, la décision déférée ne saurait encourir le reproche de ne pas s’inscrire dans le cadre des prévisions légales en la matière.

Pour le surplus, concernant le moyen tiré de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme, proscrivant les détentions arbitraires, il ne saurait être retenu, alors qu’il résulte d’une jurisprudence constante des juridictions administratives que l’article 5 § 1 point f de ladite Convention prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours, le terme d’expulsion devant être entendu dans son acceptation la plus large comme visant toutes les mesures respectivement d’éloignement et de refoulement de personnes qui se trouvent en séjour irrégulier dans un pays (cf. trib. adm. 22 mars 1999, Pas. adm. 2003, V° Droits de l’homme, n° 4, et les autres références y citées).

Dans ce contexte, il convient d’ajouter qu’il est constant d’après les affirmations non contestées en cause que par application de la décision litigieuse, le demandeur a été placé, non pas dans un établissement pénitentiaire, mais au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière créé par le règlement grand-

ducal du 20 septembre 2002. Or, force est de constater que le Centre de séjour provisoire est à considérer comme un établissement approprié au sens de la loi précitée de 1972, étant donné que le demandeur est en séjour irrégulier au pays, qu’il n’existe aucun élément qui permette de garantir au ministre de la Justice sa présence au moment où il pourra être procédé à son éloignement et qu’il n’a fait état d’aucun autre élément ou circonstance particuliers justifiant à son égard un caractère inapproprié du Centre de séjour provisoire.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours laisse d’être fondé et que le demandeur est à en débouter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 19 mai 2004 à 12.00 heures par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18057
Date de la décision : 19/05/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-05-19;18057 ?

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