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19/05/2004 | LUXEMBOURG | N°18042

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 mai 2004, 18042


Tribunal administratif Numéro 18042 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 mai 2004 Audience publique du 19 mai 2004

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Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18042 du rôle, déposée le 11 mai 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de

Monsieur …, alias S.Q., né le … à Téhéran (Iran), de nationalité iranienne, ayant été retenu au Cen...

Tribunal administratif Numéro 18042 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 mai 2004 Audience publique du 19 mai 2004

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Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18042 du rôle, déposée le 11 mai 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, alias S.Q., né le … à Téhéran (Iran), de nationalité iranienne, ayant été retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 20 avril 2004, notifiée le 4 mai 2004, instituant à son égard une mesure de placement pour la durée maximum d’un mois audit Centre de séjour provisoire ;

Vu la lettre du délégué du gouvernement valant mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif en date du 13 mai 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 13 mai 2004 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH au nom de Monsieur … ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 mai 2004 à 15.00 heures.

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Le 11 décembre 2003, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Lors de cette audition le demandeur déclara 1avoir effectué le trajet entre l’Iran et le Luxembourg en camion respectivement voiture particulière.

En date des 11 février et 4 mars 2004, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par la suite, il s’est cependant révélé que le demandeur avait effectué le trajet entre l’Iran et le Luxembourg par avion via Bruxelles moyennant usage du passeport de son cousin, Monsieur S.Q., sur base d’un visa délivré par l’Ambassade de Belgique et valable du 1er au 26 décembre 2003.

En date du 10 mars 2004, le ministère de la Justice soumit aux autorités belges compétentes une demande de prise en charge de Monsieur … sur base de l’article 9 paragraphe 4 du règlement CE n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers, ci-après dénommé « le règlement », demande qui fut acceptée en date du 14 avril 2004.

Suivant décision du 20 avril 2004, remise en mains propres le 4 mai 2004, le ministre de la Justice informa Monsieur … que le Luxembourg serait incompétent pour connaître de sa demande d’asile et que le Royaume de Belgique serait responsable du traitement de cette demande.

Le 20 avril 2004, ledit ministre prit encore à l’égard de Monsieur … un arrêté de refus d’entrée et de séjour et ordonna à son encontre une mesure de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, ci-après dénommé le « Centre de séjour provisoire », pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois.

Lesdites décisions furent également remises en mains propres à Monsieur … en date du 4 mai 2004 lors de son passage au bureau d’accueil pour demandeurs d’asile.

La décision de placement est fondée sur les considérations et motifs suivants :

« Vu les rapports N° 6/2628/03/HA du 11 décembre 2003 et N° 15/0718/04/HA du 8 mars 2004 établis par le Service de Police Judiciaire, section Police des Etrangers et des Jeux ;

Considérant que l’intéressé n’est pas en possession d’un document de voyage valable ;

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels suffisants ;

Considérant que l’intéressé a déposé une demande d’asile au Luxembourg en date du 11 décembre 2003 sous une fausse identité ;

- qu’une demande de prise en charge en vertu du règlement CE n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 a été adressée aux autorités belges en date du 10 mars [2004] ;

- que les autorités belges ont marqué leur accord de prise en charge en date du 14 avril 2004 ;

Considérant qu’un éloignement immédiat n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ».

2 En date du 5 mai 2004, le service de police judiciaire informa le ministère de la Justice que le transfert serait exécuté le 14 mai 2004 à 14.00 heures au poste frontalier de Sterpenich.

Les autorités belges furent avisées de cette date de transfert par les soins du ministère de la Justice en date du même jour.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 11 mai 2004, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision ministérielle de placement du 20 avril 2004.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.

l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision litigieuse.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement souligne que le transfert de l’intéressé vers la Belgique a été fixé au 14 mai 2004, de sorte que le recours serait devenu sans objet.

S’il est établi qu’en l’espèce ni la réformation, ni l’annulation de la décision litigieuse ne saurait avoir un effet concret, le demandeur garde néanmoins un intérêt à obtenir une décision relativement à la légalité de la mesure de placement de la part de la juridiction administrative, puisqu’en vertu d’une jurisprudence constante des tribunaux judiciaires, respectivement la réformation ou l’annulation des décisions administratives individuelles constitue une condition nécessaire pour la mise en œuvre de la responsabilité des pouvoirs publics du chef du préjudice causé au particulier par les décisions en question (cf. trib. adm.

24 janvier 1997, n° 9774 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Procédure contentieuse, n° 11 et autres références y citées).

Le recours est également recevable pour avoir été déposé dans les formes et délai prévus par la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur admet être entré sur le territoire luxembourgeois en date du 11 décembre 2003 avec un passeport appartenant à son cousin du côté maternel, le dénommé S.Q., à qui un visa avait été délivré par l’Ambassade de Belgique à Téhéran, et avoir présenté une demande d’asile auprès du bureau d’accueil pour réfugiés, sans avoir mis les autorités luxembourgeoises au courant du véritable itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le demandeur conclut en premier lieu à une absence des conditions pour prononcer une mesure de placement au motif que l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972, précitée, viserait uniquement un étranger en situation irrégulière et non un demandeur d’asile « entré illégalement au pays ». D’autre part, Monsieur … conteste tout danger de se soustraire à la mesure d’éloignement, ce qui serait démontré par son attitude consistant à répondre favorablement à toutes les convocations lui adressées par les autorités luxembourgeoises.

Pour le surplus, il soutient qu’au moins depuis le 14 avril 2004, aucune circonstance n’empêcherait son éloignement immédiat vers la Belgique, date de l’accord de prise en charge par ce pays, de sorte qu’une impossibilité effective de procéder à son éloignement ne serait pas donnée. Finalement, le demandeur estime que son placement au Centre de séjour 3provisoire serait « disproportionné » et ne saurait constituer un placement dans un endroit approprié tel qu’exigé par la loi précitée du 28 mars 1972.

Sur ce, il sollicite l’annulation pour violation de la loi de la décision déférée.

Il est constant en cause que suite à la demande d’asile introduite par Monsieur … en date du 11 décembre 2003, le ministre de la Justice a sollicité en date du 10 mars 2004 par application du mécanisme de répartition de la responsabilité de l’examen d’une demande d’asile en vertu du règlement, sa prise en charge auprès des autorités belges sur base de l’article 9, paragraphe 4 dudit règlement. Cette demande de prise en charge a été acceptée en date du 14 avril 2004 par les autorités belges. Monsieur … a alors fait l’objet d’une décision d’incompétence prise par le ministre de la Justice en date du 20 avril 2004 et son transfert vers la Belgique a été effectué le 14 mai 2004, après que les décisions d’incompétence et de placement lui avaient été notifiées le 4 mai 2004.

Il se dégage des considérations qui précèdent qu’il y a lieu d’examiner en l’espèce si Monsieur …, en tant que demandeur d’asile ayant fait l’objet d’une décision d’incompétence et devant être transféré par application du règlement vers un autre Etat membre responsable de l’examen de sa demande, rentrait dans les prévisions légales de l’article 15, paragraphe (1) de la loi modifiée du 28 mars 1972, précitée.

En effet, si le règlement a certes pour effet de restreindre le droit d’expulser ou de refouler les demandeurs d’asile, il ne tient pas pour autant entièrement en échec les droits nationaux afférents concernant l’expulsion et le refoulement, et, par voie de conséquence, le droit luxembourgeois concernant l’entrée et le séjour des étrangers qui prévoit que le placement, sous certaines conditions, de l’étranger faisant l’objet d’une mesure d’expulsion ou de refoulement reste applicable (cf. trib. adm. 3 octobre 2002, n° 15405, confirmé par Cour adm. 17 octobre 2002, n° 15438C du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 286 et autres références y citées).

Une mesure de rétention administrative est soumise aux conditions découlant directement de l’article 15 prévisé qui dispose dans son paragraphe (1) comme suit :

« Lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 ou 12 est impossible en raison des circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre de la Justice, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée d’un mois ».

Etant donné que Monsieur … n’a pas fait l’objet d’une mesure d’expulsion visée par l’article 9, il y a dès lors lieu d’examiner si, de par sa situation spécifique, il était susceptible d’être éloigné du territoire sur base d’une mesure de refoulement visée par l’article 12 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, qui énonce cinq catégories d’étrangers non autorisés à résidence susceptibles d’entrer en ligne de compte à cet égard, en l’occurrence ceux « 1.

qui sont trouvés en état de vagabondage ou de mendicité ou en contravention à la loi sur le colportage ;

2.

qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ;

3.

auxquels l’entrée dans le pays a été refusée en conformité de l’article 2 de la présente loi [en question] ;

44.

qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis ;

5.

qui, dans les hypothèses prévues à l’article 2, paragraphe 2 de la Convention d’application de l’accord de Schengen, sont trouvés en contravention à la loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions ou sont susceptibles de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics. » D’après la définition donnée à l’article 2 d) du règlement, on entend par demandeur d’asile « le ressortissant d’un pays tiers ayant présenté une demande d’asile sur laquelle il n’a pas encore été statué définitivement ». Dans ce contexte, sans préjudice quant à la qualité de demandeur d’asile au regard dudit article 2 d) et des droits en découlant, mais en raison de la ventilation des compétences nationales pour l’examen au fond d’une demande d’asile et de la considération qu’en l’espèce, la Belgique s’est déclarée compétente et le Luxembourg incompétent, c’est à juste titre que le ministre de la Justice a considéré que, pour ce qui concerne la situation de Monsieur … au Luxembourg, il ne peut plus invoquer sa qualité de demandeur d’asile pour justifier un droit de séjourner au Luxembourg. Ainsi, à défaut d’autre titre de séjour, le ministre pouvait valablement le considérer comme ne se trouvant pas en séjour régulier et en application des dispositions légales nationales prendre une mesure de refoulement à son égard.

Pour le surplus, et compte tenu du fait que le demandeur s’est rendu d’abord en Belgique moyennant un passeport appartenant à un cousin et ensuite au Luxembourg sans solliciter le statut de réfugié en Belgique et qu’il a persisté pendant plusieurs mois dans le mensonge quant à l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg afin que les autorités luxembourgeoises statuent sur le bien-fondé de sa demande d’asile, et non les autorités belges, le ministre a valablement pu estimer que l’intéressé présente un risque de se soustraire à la mesure d’éloignement envisagée.

La mesure de placement entreprise n’est cependant légalement admissible que si l’éloignement ne peut être immédiatement mis à exécution en raison d’une circonstance de fait et si depuis lors des diligences suffisantes ont été entreprises en vue d’assurer une prompte exécution de l’éloignement de l’intéressé, afin d’écourter au maximum la mesure restrictive de ses libertés.

Or, en l’espèce, force est de constater qu’il appert des éléments d’appréciation soumis au tribunal que l’impossibilité d’un éloignement immédiat de l’intéressé était patente au jour de la prise de la décision litigieuse. En outre, ladite décision, qui a été notifiée au demandeur en date du 4 mai 2004, a été exécutée 10 jours après le placement de Monsieur … au Centre de séjour provisoire, après que les autorités de police judiciaire aient obtenu des autorités belges la date pour le transfert du demandeur, de sorte que les autorités luxembourgeoises ne sauraient encourir le reproche de ne pas avoir été diligentes en ce qui concerne l’organisation matérielle et la coordination dudit transfert avec leurs homologues étrangers .

Enfin, force est de constater que le Centre de séjour provisoire est à considérer comme un établissement approprié au sens de la loi précitée de 1972, étant donné que le demandeur est en séjour irrégulier au pays, qu’il n’existe aucun élément qui permette de garantir au ministre de la Justice sa présence au moment où il pourra être procédé à son éloignement et qu’il n’a fait état d’aucun autre élément ou circonstance particuliers justifiant à son égard un caractère inapproprié du Centre de séjour provisoire, de sorte que le moyen afférent est à rejeter.

5 Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours laisse d’être fondé et que le demandeur doit en être débouté.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant le rejette ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 19 mai 2004 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18042
Date de la décision : 19/05/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-05-19;18042 ?

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