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18/05/2004 | LUXEMBOURG | N°18041

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 mai 2004, 18041


Tribunal administratif N° 18041 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 mai 2004 Audience publique extraordinaire du 18 mai 2004 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête déposée le 11 mai 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, né le … (Sierra Leone), placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation ir

régulière à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justi...

Tribunal administratif N° 18041 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 mai 2004 Audience publique extraordinaire du 18 mai 2004 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête déposée le 11 mai 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, né le … (Sierra Leone), placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 5 mai 2004 ordonnant la prorogation de son placement pour une nouvelle durée d’un mois à partir de la notification ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 12 mai 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRÜCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 mai 2004.

Il ressort d’un rapport de la police grand-ducale, service de police judiciaire, police des étrangers et des jeux que Monsieur … … a introduit en date du 5 avril 2004 une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971.

Du même rapport il résulte que des recherches dans le système EURODAC ont révélé que Monsieur … a déjà introduit le 18 juin 2003 une demande d’asile aux Pays-Bas et le 5 janvier 2004 une demande d’asile en Allemagne.

Par décision du ministre de la Justice du 6 avril 2004, notifiée le 8 avril 2004, Monsieur … fut placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de la dite décision dans l’attente de son éloignement du territoire luxembourgeois.

1En date du 9 avril 2004, les autorités luxembourgeoises ont contacté les autorités néerlandaises en vue de sa reprise en charge sur le fondement de l’article 16 1. c) du règlement (CE) N° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers.

Par une décision du ministre de la Justice du 5 mai 2004, notifiée le 7 mai 2004, la mesure de placement fut prorogée pour une nouvelle durée d’un mois à partir de sa notification sur base des motifs et considérations suivants :

« Vu l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ;

Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;

Vu mon arrêté pris en date du 6 avril 2004 décidant du placement temporaire de l’intéressé ;

Considérant que l’intéressé n’est pas en possession d’un document de voyage valable ;

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels suffisants ;

Considérant que l’intéressé a déposé une demande d’asile au Luxembourg en date du 5 avril 2004 ;

- qu’il est signalé au système EURODAC comme ayant déposé une demande d’asile aux Pays-Bas en date du 18 juin 2003 et en Allemagne en date du 5 janvier 2004 ;

- qu’une demande de reprise en charge en vertu du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 a été adressée aux autorités néerlandaises, respectivement allemandes, - que le transfert sera organisé dans les meilleurs délais ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ;» Par requête déposée le 11 mai 2004 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision ministérielle du 5 mai 2004 portant prorogation de son placement.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.

l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre ladite décision. Ledit recours ayant, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, Monsieur … fait valoir qu’il se rapporterait à la sagesse du tribunal quant à la validité de la décision ministérielle litigieuse dans la mesure où celle-ci aurait été notifiée en dehors de la date limite légale du 7 mai 2004, étant donné que la décision initiale date du 6 avril 2004.

Il est constant que la décision de placement initiale a été prise le 6 avril 2004 et qu’elle a été notifiée au demandeur le 8 avril 2004. La décision de prorogation date du 5 mai 2004 et elle a été notifiée au demandeur le 7 mai 2004.

2Etant donné qu’aussi bien la prise de la décision de prorogation que la notification de celle-ci ont été effectuées dans le délai d’un mois à compter de la date de la prise de la décision initiale et de la date de la notification respective, le moyen présenté par le demandeur est à écarter pour manquer de fondement.

Il invoque ensuite que les autorités administratives luxembourgeoises resteraient en défaut de justifier des circonstances à la base de la décision litigieuse au sens de l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 qui subordonne la prorogation de la décision de placement au constat d’une « nécessité absolue » afférente. Il estime notamment qu’étant donné qu’il existerait une acceptation tacite des autorités néerlandaises à sa reprise en charge, la condition essentielle pour une rétention administrative, à savoir l’impossibilité de refoulement dans son chef ferait défaut.

En ce qui concerne l’absence de démarches suffisantes entreprises et par conséquent l’absence de « nécessité absolue » en résultant, pourtant nécessaire à la prorogation de la décision de placement, il appartient au tribunal d’analyser si le ministre de la Justice a pu se baser sur des circonstances permettant de justifier qu’une nécessité absolue rend la prorogation de la décision de placement inévitable (trib. adm. 20 décembre 2002, n° 15747 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 276 et autres références y citées).

En effet l’article 15, paragraphe 2 de la loi prévisée du 28 mars 1972 dispose que « la décision de placement (…) peut, en cas de nécessité absolue, être reconduite par le ministre de la Justice à deux reprises, chaque fois pour la durée d’un mois ».

Le tribunal vérifie si l’autorité compétente a veillé à ce que toutes les mesures appropriées soient prises afin d’assurer un éloignement dans les meilleurs délais, en vue d’éviter que la décision de placement ne doive être prorogée, étant donné que la prorogation d’une mesure de placement doit rester exceptionnelle et ne peut être décidée que lorsque des circonstances particulièrement graves ou autrement justifiées la rendent nécessaire (trib. adm.

20 décembre 2002, n° 15735 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 276 et autres références y citées).

Il est constant que les autorités luxembourgeoises ont contacté le 9 avril 2004, les autorités néerlandaises en vue de la reprise en charge de Monsieur … sur le fondement de l’article 16 1. c) du règlement (CE) N° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003. Ils ont indiqué dans leur demande qu’il s’agit d’une « rétention », que la réponse serait à fournir de façon urgente et au plus tard pour le 23 avril 2004.

Aux termes de l’article 20 1. c) « si l’Etat membre requis ne fait pas connaître sa décision dans le délai d’un mois ou dans le délai de deux semaines mentionné au point b)1, il est considéré qu’il accepte la reprise en charge du demandeur d’asile ».

Etant donné que les Pays-Bas n’ont pas fait connaître leur décision dans le délai de deux semaines, applicable en l’espèce vu que la demande est fondée sur des données obtenues 1 « Art. 20 1. b) L’Etat membre requis pour la reprise en charge est tenu de procéder aux vérifications nécessaires et de répondre à la demande qui lui est faite aussi rapidement que possible et en tout état de cause dans un délai n’excédant pas un mois à compter de la saisine. Lorsque la demande est fondée sur des donnnées obtenues par le système EURODAC, ce délai est réduit à deux semaines » 3par le système EURODAC, ils sont à considérer, en application de l’article 20 1. c) cité ci-

avant, comme ayant accepté la reprise en charge de Monsieur … le 24 avril 2004.

Force est cependant de constater que ce n’est qu’en date du 7 mai 2004, soit 13 jours plus tard, que le ministre de la Justice a entendu tirer les conséquences de l’expiration du délai prévu à l’article 20 1. c), en considérant que les Pays-Bas ont implicitement accepté la reprise en charge. Or il n’appartient pas au ministre de déterminer la date de cette décision tacite d’acceptation, étant donné qu’elle est fixée par l’article 20 1. c) du règlement (CE) N° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003.

Pour le surplus la partie publique n’apporte aucune explication justifiant le fait qu’elle n’a contacté le service de police judiciaire, qu’en date du 12 mai 2004, en vue d’organiser le transfert de Monsieur …, alors que ces démarches auraient déjà pu être entamées à partir du 24 avril 2004, soit 18 jours plus tôt, de sorte que c’est à bon droit que le demandeur reproche au ministre de la Justice de ne pas avoir entrepris les démarches nécessaires qui auraient pu assurer un éloignement de sa personne dans les meilleurs délais, c’est-à-dire, de façon à écourter au maximum sa privation de liberté.

La seule explication avancée qu’il serait d’usage que les autorités attendent une réponse de la part du pays étranger requis, responsable de l’examen de la demande d’asile et qu’en cas de non-réponse de l’Etat requis, les autorités luxembourgeoises auraient néanmoins fait les diligences nécessaires en rappelant cet état de choses aux autorités néerlandaises et en les informant que leur refus de réponse équivalait à une acceptation tacite, ne saurait constituer une explication valable et fondée.

En effet l’usage ne saurait mettre en échec les dispositions claires et précises d’un règlement communautaire. A cela s’ajoute que la disposition permettant de considérer l’Etat requis, resté inactif pendant plus de 2 semaines, comme ayant accepté la demande de reprise en charge est une disposition introduite dans un souci d’écourter au maximum les délais d’attente afin de pouvoir accélérer les procédures, de sorte qu’on ne saurait laisser la prise d’effet de cette décision d’acceptation tacite à l’appréciation d’une partie, sous peine de vider la disposition afférente de son contenu.

Il se dégage des considérations qui précèdent qu’à défaut d’avoir entrepris les diligences nécessaires, le ministre de la Justice ne saurait se prévaloir d’une nécessité absolue pour justifier la décision de reconduction de la mesure de placement, de sorte que celle-ci encourt la réformation.

Le recours est partant fondé sans qu’il y ait lieu d’analyser les autres moyens invoqués par le demandeur à l’appui de son recours.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en la forme ;

4au fond, le déclare justifié ;

partant par réformation de la décision du ministre de la Justice du 5 mai 2004 ordonne la mise en liberté de Monsieur …;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 18 mai 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18041
Date de la décision : 18/05/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-05-18;18041 ?

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