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17/05/2004 | LUXEMBOURG | N°17305

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 mai 2004, 17305


Tribunal administratif N° 17305 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 décembre 2003 Audience publique du 17 mai 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17305 et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 décembre 2003 par Maître François GENGLER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né à … (Guinée-Bissau), de nationalité bissau-guinéenne, demeurant

actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice inter...

Tribunal administratif N° 17305 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 décembre 2003 Audience publique du 17 mai 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17305 et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 décembre 2003 par Maître François GENGLER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né à … (Guinée-Bissau), de nationalité bissau-guinéenne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 26 novembre 2003 et confirmant sur recours gracieux une décision initiale du même ministre du 23 septembre 2003 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 mars 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Jean-Paul WILTZIUS, en remplacement de Maître François GENGLER, et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 mai 2004.

Le 14 mars 2003, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

En date des 22 juillet et 12 août 2003, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 23 septembre 2003, notifiée par courrier recommandée du 25 septembre 2003, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée au motif notamment qu’il aurait délibérément menti quant à son âge puisqu’un certificat médical du 11 avril 2003 attestant le fait qu’il a subi un examen médical en vue de la détermination de son âge osseux à la Clinique Sainte Thérèse conclut qu’il n’est absolument pas mineur tel qu’il le prétendait, mais que son âge est supérieur ou égal à dix-huit ans et que partant ce mensonge entacherait sérieusement la véracité et la crédibilité de ses déclarations. Le ministre a ajouté qu’il serait difficilement concevable qu’il ne parle par le portugais, langue officielle de la Guinée-Bissau, alors que Monsieur … a indiqué y avoir séjourné toute sa vie.

Quant aux actions alléguées menées par le Gouvernement bissau-guinéen contre le général Mané et ses soldats, aux côtés desquels le père du demandeur aurait combattu, le ministre relève que le pouvoir de nuisance de ce général aurait été tel que l’ONU, avant même de connaître les tenants et aboutissants du putsch du 20 novembre 2000,a déclaré à Mané qu’il serait tenu personnellement responsable des troubles éventuels qui pourraient ensanglanter la Guinée-Bissau, de sorte que le Gouvernement bissau-guinéen aurait valablement pu se défendre contre les assaillants sans que cette action ne pourrait être considérée comme s’analysant en une persécution au sens de la Convention de Genève.

Quant à l’emprisonnement allégué du frère du demandeur, même à le supposer établi, le ministre a retenu qu’il ne saurait, à lui seul, fonder une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève. Il a signalé pour le surplus que la situation aurait actuellement changé en Guinée-Bissau par la prise de pouvoir par un coup d’Etat le 14 septembre 2003 du chef d’état-major des forces armées bissau-guinéennes, pour en déduire que la crainte alléguée à l’appui de la demande d’asile de Monsieur … de se faire tuer ou emprisonner par le Gouvernement Yala ne serait plus fondée, étant entendu que le général Verissimo Cabra Correia a déclaré assurer la présidence par interim jusqu’à la tenue d’élections.

Quant aux raisons invoquées par Monsieur … en rapport avec son départ du Sénégal, il a retenu que celles-ci ne pourraient pas être prises en considération dans le cadre de l’examen de sa demande d’asile, étant donné que le Sénégal est un Etat tiers d’accueil et non son pays d’origine, ceci au-delà même de la considération que les rebelles ne sauraient être considérés comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

Le recours gracieux que Monsieur … a fait introduire à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 23 septembre 2003 par courrier de son mandataire datant du 15 octobre 2003 s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 26 novembre 2003, il a introduit un recours en réformation contre les deux décisions ministérielles de refus ainsi visées.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1.

d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, le demandeur fait exposer qu’il a quitté son pays d’origine par crainte de subir des représailles du fait que son père a combattu aux côtés du général Mané et ils se prévaut en outre du fait que son frère aurait été emprisonné pour avoir écrit une lettre à une radio en prétendant que le groupe du général Mané ne voudrait pas renverser le pouvoir.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de craintes de persécutions qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours. Il relève en particulier qu’au vu des fausses déclarations faites par le demandeur au sujet de son âge, son récit serait sujet à caution, ceci d’autant plus qu’il resterait fort improbable qu’il n’ait aucune connaissance de la langue portugaise qui est pourtant la langue officielle en Guinée-Bissau. Il se réfère pour le plus à la motivation retenue à la base des décisions litigieuses.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que le demandeur est resté en défaut de fournir la moindre explication plausible de nature à élucider les incohérences épinglées par le ministre de la Justice au niveau de ses déclarations initiales. A cet égard le tribunal peut entièrement partager les doutes émis par le ministre quant à la crédibilité du récit du demandeur qui ne parle pas la langue officielle de son pays d’origine et, tout en ayant indiqué ne pas avoir fréquenté l’école, maîtrise pourtant visiblement la langue anglaise, ceci d’autant plus qu’il est resté en défaut de prendre utilement position par rapport au reproche lui adressé à cet égard et de fournir des précisions susceptibles de rencontrer utilement ces interrogations. A cet égard l’explication fournie en cause que c’est depuis son arrivée au Luxembourg, par le contact avec une personne originaire du Liberia, qu’il aurait acquis ses connaissances de la langue anglaise, n’est pas de nature à emporter la conviction du tribunal.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le ministre de la Justice a valablement pu considérer que le demandeur a fait des fausses déclarations à l’appui de sa demande d’asile et en tirer les conséquences légales.

Pour le surplus, en ce qui concerne les craintes alléguées de persécutions, il y a lieu de relever que s’il est certes vrai que des persécutions pour une des raisons énoncées à l'article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève contre des proches parents peuvent justifier une crainte légitime de subir le même sort, il n’en reste cependant pas moins qu’il appartient au demandeur de fournir, à défaut de pièces, des explications cohérentes et crédibles permettant d’établir dans son chef un risque réel d’être victime d’actes similaires.

A ce sujet, le tribunal, saisi d’un recours en réformation, est appelé à examiner le bien-fondé et l’opportunité de la décision querellée à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ.

En ce qui concerne cette situation actuelle en l’espèce, il est constant en cause que si la situation politique en Guinée-Bissau reste instable et précaire et que les droits de l’homme continuent à y être violés, il résulte du rapport annuel 2003 d’Amnesty International que les militaires arrêtés ou poursuivis pour avoir prétendument participé à une tentative de renversement du gouvernement, ont tous, à l’exception de huit hauts gradés, bénéficié d’une amnistie présidentielle, de sorte que les craintes de persécution pour les individus concernés ont été réduites.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef.

Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais .

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 mai 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17305
Date de la décision : 17/05/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-05-17;17305 ?

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