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17/05/2004 | LUXEMBOURG | N°17294

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 mai 2004, 17294


Tribunal administratif Numéro 17294 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 décembre 2003 Audience publique du 17 mai 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17294 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 décembre 2003 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né en … (Somalie), de nationalité somalienne, demeurant actuel

lement à L-… , tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 28 ao...

Tribunal administratif Numéro 17294 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 décembre 2003 Audience publique du 17 mai 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17294 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 décembre 2003 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né en … (Somalie), de nationalité somalienne, demeurant actuellement à L-… , tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 28 août 2003, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative prise par ledit ministre le 28 octobre 2003 suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er mars 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 mai 2004.

Après avoir été intercepté par le service de contrôle à l’aéroport de la police grand-

ducale en date du 24 juillet 2003 pour avoir fait usage d’un faux passeport en vue de se diriger vers Dublin, Monsieur … introduisit en date du 1er août 2003 une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu en date du 18 août 2003 par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 28 août 2003, notifiée le même jour, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée au motif que des craintes de persécution commises par des groupes ou des personnes qui ne sont pas sous le contrôle du Gouvernement ne peuvent être invoqués à l’appui d’une demande d’asile que si les autorités gouvernementales soutiennent ces groupes ou personnes, les tolèrent ou ne sont pas en mesure d’assurer une protection adéquate aux victimes et si ces victimes sont visées pour une des causes énumérés par la Convention de Genève. Il relève dans ce contexte que le Gouvernement transitoire dont a été dotée la Somalie avec le soutien des Nations Unies suite à une consultation longue et démocratique de la population, a mis en place à la suite des événements du 11 septembre 2001 aux Etats Unis, une force nationale d’intervention contre le terrorisme, tout en relevant par ailleurs que des groupes islamistes ne sauraient être considérés comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève. Le ministre a relevé en outre certaines invraisemblances au niveau du récit présenté par le demandeur en retenant qu’il serait peu concevable qu’il sache lire et écrire alors qu’il n’aurait suivi que quelques cours du soir pendant seulement quelques mois, de même qu’il serait peu probable qu’aucun gardien n’aurait été présent lors de sa fuite et que tous les prisonniers auraient pu s’enfuir sans avoir été poursuivi ni gêné lors de leur évasion. Le ministre a retenu de surcroît que l’emprisonnement, même à le supposer établi, ne saurait à lui seul fonder une crainte justifiée de persécution à défaut pour le demandeur d’avoir établi que cet emprisonnement était dû à l’un des motifs énoncés à la Convention de Genève. Enfin, au sujet d’une possibilité de fuite interne, le ministre estime que les explications fournies par le demandeur comme quoi il n’y aurait aucun endroit sûr en Somalie et qu’au Nord il y aurait plus de problèmes en raison d’une activité économique plus importante, il y aurait lieu de considérer que les motifs ainsi invoqués traduiraient clairement un sentiment général d’insécurité plutôt qu’une crainte de persécution caractérisée au sens de la Convention de Genève.

Le 29 septembre 2003, Monsieur … formula, par le biais de son mandataire, un recours gracieux auprès du ministre de la Justice à l’encontre de cette décision ministérielle.

Par décision du 28 octobre 2003, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale, « à défaut d’éléments pertinents nouveaux ».

Par requête déposée le 12 décembre 2003, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions ministérielles prévisées des 28 août et 28 octobre 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, qui a par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur expose être originaire de l’île de Chouva en Somalie et de confession musulmane, ainsi que d’avoir quitté sa région natale au courant du mois de juillet 2003 au motif notamment qu’il aurait fait l’objet d’actes de persécution de la part de personnes qui, après avoir tué sa mère, l’auraient séquestré afin de le contraindre à accepter d’être enrôlé dans une milice prête à mener le « djihad ». Il signale qu’à défaut d’avoir trouvé d’endroit en Somalie où il aurait pu trouver refuge, il aurait décidé de quitter son pays pour se diriger vers l’Europe et demander finalement l’asile politique auprès des autorités luxembourgeoises. Il reproche au ministre de ne pas avoir tiré les conséquences qui se seraient imposées du fait qu’il se serait trouvé dans une situation dans laquelle sa liberté, voire sa vie étaient gravement mises en danger sans que les autorités somaliennes n’aient été capables d’y remédier. Dans la mesure où le comportement délictueux des personnes l’ayant menacé et mis en danger ne serait pas de nature à être empêché par les autorités de son pays d’origine et que partout ailleurs en Somalie la situation serait largement instable, il estime dès lors remplir les conditions d’octroi du statut de réfugié.

Le délégué du Gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, au-delà des doutes émis par le ministre de la Justice quant à la crédibilité des déclarations du demandeur, force est de constater que les auteurs des actes de persécution allégués à l’appui de la demande d’asile sont des groupes de la population qui, en tant que tels, ne sauraient en principe être considérés comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève. Un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, ne peut en effet être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. En ce qui concerne la notion de protection de la part du pays d’origine, elle n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Il s’y ajoute que le tribunal, statuant dans le cadre d’un recours réformation, est appelé à examiner le bien fondé du recours à la date à laquelle il est amené à statuer.

Or, en l’espèce, force est de constater que le demandeur reste en défaut de démontrer concrètement que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics actuellement en place dans son pays d’origine seraient incapables d’assurer un niveau de protection suffisant. En outre, il y a lieu de constater au vu des déclarations du demandeur telles que relatées dans le compte rendu d’audition, qu’il n’a pas autrement recherché la protection des autorités en place, de sorte que les éléments du dossier ne permettent pas de conclure à l’existence d’une attitude générale de refus de protection des autorités compétentes susceptibles de sous-tendre utilement la demande d’asile sous examen.

Pour le surplus, les risques allégués par le demandeur se limitent essentiellement à sa région d’origine et il reste en défaut d’établir qu’il ne peut pas trouver refuge, surtout à l’heure actuelle, dans une autre partie de la Somalie, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité d’un demandeur d’asile sans restriction territoriale et que les raisons d’ordre tout à fait général invoquées par le demandeur pour conclure à l’absence de possibilité de fuite interne laissent en l’espèce de convaincre le tribunal.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours sous analyse est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 mai 2004 par:

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17294
Date de la décision : 17/05/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-05-17;17294 ?

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