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17/05/2004 | LUXEMBOURG | N°17271

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 mai 2004, 17271


Tribunal administratif N° 17271 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 décembre 2003 Audience publique du 17 mai 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17271 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 décembre 2003 par Maître Pascale PETOUD, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, de nationalité macédonienne, demeurant actuellement à L

-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 22 juillet 2003 par ...

Tribunal administratif N° 17271 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 décembre 2003 Audience publique du 17 mai 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17271 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 décembre 2003 par Maître Pascale PETOUD, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, de nationalité macédonienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 22 juillet 2003 par laquelle sa demande en obtention du statut de réfugié introduite en date du 18 avril 2003 a été déclarée irrecevable ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 mars 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 2 avril 2004 par Maître Pascale PETOUD au nom de Monsieur … ;

Vu les pièces versées au dossier et notamment la décision attaquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Pascale PETOUD et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 mai 2004.

Après l’échec d’une première demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève déposée au Luxembourg le 22 août 2001, Monsieur … introduisit par courrier du 18 avril 2003 adressé au service compétent du ministère de la Justice une nouvelle demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève », en se basant sur la survenance de nouveaux éléments depuis l’examen de sa première demande d’asile ;

Il a relevé plus particulièrement à cet égard avoir reçu successivement une convocation de la police de Skopje-Bit Pazar datant du 10 janvier 2003 et du tribunal d’instance de Skopje du 7 février 2003 afin de répondre de sa désertion de l’armée macédonienne.

Estimant qu’eu égard à son appartenance à la minorité des slaves musulmans et à son adhésion au parti politique « Alternative Démocratique », un retour dans son pays d’origine l’exposerait désormais à des traitements discriminatoires de la part aussi bien des Macédoniens que des Albanais, il a sollicité un réexamen de sa situation en vue de se voir accorder le statut de réfugié.

Par décision du 22 juillet 2003, le ministre de la Justice déclara cette nouvelle demande en obtention du statut de réfugié introduite par Monsieur … irrecevable sur base de l’article 15 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, au motif qu’il ne ferait pas état de nouveaux éléments d’après lesquels il existerait de sérieuses indications d’une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Le ministre a relevé plus particulièrement que la première demande d’asile de Monsieur … avait également été basée sur sa désertion de l’armée macédonienne et que les faits invoqués à l’appui de sa nouvelle demande, dont notamment les convocations alléguées de la police et du tribunal d’instance de Skopje afin de s’expliquer au sujet de sa désertion de l’armée macédonienne, ne ressortiraient pas des pièces versées au dossier lesquelles n’invoqueraient que l’instruction d’un dossier et le fait que Monsieur … serait inculpé, sans pour autant préciser les motifs de cette inculpation. Le ministre a signalé en outre que l’insoumission, à la supposer établie, serait en tout état de cause insuffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution, de même que la seule crainte d’une peine du chef d’insoumission ne constituerait pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant entendu qu’à cela s’ajouterait le fait que le 8 mars 2002 une loi d’amnistie a été votée par le parlement macédonien et qu’il ne serait par ailleurs pas établi que l’appartenance à la réserve de l’armée imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser. Le ministre a relevé finalement qu’il résulterait des informations à sa disposition que Monsieur … ne se serait pas présenté au bureau d’accueil pour les demandeurs d’asile après y avoir été convoqué pour une audition concernant les motifs à la base de sa deuxième demande d’asile.

Par courrier de son mandataire datant du 15 septembre 2003, Monsieur … a fait introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 22 juillet 2003. Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre datant du 27 octobre 2003, Monsieur …, par requête déposée en date du 10 décembre 2003, a fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation des décisions ministérielles prévisées des 22 juillet et 27 octobre 2003.

A l’appui de son recours, le demandeur conclut principalement à l’annulation des décisions litigieuses pour vice de procédure en faisant valoir que les agents du ministère de la Justice auraient indiqué à son mandataire qu’une nouvelle date d’audition serait prévue, mais que telle n’aurait pas été le cas. Estimant que l’audition d’un demandeur d’asile constitue un élément essentiel de la procédure d’asile, il conclut partant à l’annulation des décisions litigieuses.

A titre subsidiaire et quant au fond il fait valoir qu’en cas de retour dans son pays d’origine, son refus antérieur de combattre dans les rangs de l’armée macédonienne entraînerait des poursuites pénales à son encontre, de même qu’en raison de ses origines raciale et religieuse et de ses opinions politiques, il existerait un risque de traitement discriminatoire à son égard tant de la part des autorités macédoniennes que de la population albanaise. Estimant que ses craintes de persécution seraient réelles et parfaitement justifiées au sens de la Convention de Genève, il conclut partant au bien-

fondé de sa demande d’asile.

Le délégué du Gouvernement rétorque qu’il ressortirait clairement du dossier administratif qu’à la date prévue pour l’audition de Monsieur …, en l’occurrence le 2 juin 2003, seul son conseil juridique était présent, mais que lui-même ne se serait présenté audit bureau ni ce jour là, ni à une date ultérieure. Il relève par ailleurs qu’il résulterait clairement du dossier administratif que Monsieur … aurait disparu depuis le 30 avril 2003, de sorte que sur base des seuls éléments figurant au dossier, les décisions litigieuses d’irrecevabilité seraient justifiées. Il signale en outre que Monsieur … ne réside plus à Consdorf, 3, route de Luxembourg, adresse qui figurait pourtant dans la requête introductive du 10 décembre 2003 et que dès lors le Gouvernement se poserait des questions quant à l’effectivité du mandat à la base de ce recours.

Le représentant étatique conteste ensuite formellement qu’il aurait été convenu entre l’agent du ministère de la Justice et Maître MACHADO qu’une nouvelle audition serait prévue. Tout en admettant que d’après l’article 4 de la loi modifiée du 3 avril 1996, le demandeur d’asile est en droit d’être entendu, il estime qu’il résulterait en l’espèce du dossier que Monsieur … ne souhaite visiblement pas coopérer avec l’agent du ministère de la Justice, de sorte que le ministre aurait été obligé de statuer sur la demande lui adressée sur base des seuls éléments à sa disposition. Il relève finalement que le demandeur invoque, à la base de sa nouvelle demande d’asile, son insoumission à l’armée macédonienne, mais que cet argument ne serait pas à considérer comme nouveau au sens de l’article 15 de la loi modifiée du 3 avril 1996, étant donné qu’il a déjà été toisé par le ministre de la Justice, ainsi que par les juridictions administratives dans le cadre de la première demande d’asile présentée par l’intéressé.

Dans son mémoire en réplique le mandataire du demandeur précise que l’adresse figurant dans la requête introductive d’instance serait la seule qui lui a été fournie par Monsieur … et que l’indication d’une adresse erronée ne serait pas de nature à remettre en cause le mandat accordé par le requérant à son mandataire. Il insiste pour le surplus sur son droit d’être entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa nouvelle demande d’asile et verse à l’appui de ses affirmations concernant l’expectative d’une nouvelle audition une attestation testimoniale émanant de Maître Elisabeth MACHADO qui s’était présentée au ministère de la Justice en date du 2 juin 2003 et confirme qu’à cette occasion les agents concernés avaient précisé que Monsieur … serait convoqué une nouvelle fois pour s’expliquer notamment sur les raisons de son absence.

Seul un recours en annulation étant ouvert à l’encontre d’une décision déclarant une demande d’asile irrecevable sur base de l’article 15 de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée, le tribunal est compétent pour connaître du recours introduit lequel est également recevable pour avoir été par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi.

Il est constant que dans le cadre d’un recours en annulation le tribunal est appelé à vérifier la régularité d’une décision lui déférée à la date à laquelle cette décision fut prise, il lui appartient toutefois de prendre en considération des éléments de preuve qui bien que fournis postérieurement à la prise de la décision se rapportent, de par leur objet, à une situation ayant prévalu à la date à prendre en considération pour apprécier la régularité de la décision litigieuse.

Conformément aux dispositions de l’article 4 (1) de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée, tout demandeur d’asile a le droit d’être entendu par un agent du ministère de la Justice. Dans la mesure où l’article 15 de la même loi énonçant la possibilité de déclarer une demande d’asile irrecevable ne fait pas exception à cet droit d’ordre général d’être entendu, il y a dès lors lieu de retenir qu’en principe tout demandeur d’asile, même s’il présente une itérative demande à l’issue d’une procédure d’asile antérieure qui s’est soldée par un refus définitif, est en principe en droit d’être entendu.

Si ce droit n’est certes pas absolu en ce sens qu’un refus établi de coopérer avec les autorités compétentes ne saurait tenir en échec l’aboutissement de la procédure, il n’en reste cependant pas moins qu’il appartient au ministre de la Justice d’apporter des éléments suffisants pour établir le manquement allégué dans le chef du demandeur d’asile aux obligations importantes lui incombant dans le cadre de l’instruction de sa demande.

En l’espèce, il n’est pas contesté que le demandeur ne s’est pas présenté à la date du 2 juin 2003 au bureau d’accueil aux fins d’y être auditionné au sujet de sa demande d’asile et que seul son mandataire s’y est rendu à la date et à l’heure convenues. Force est cependant de constater que les circonstances à la base de cette absence, appréciées à la date de la prise de la décision initiale litigieuse du 22 juillet 2003, laissent d’être éclaircies à suffisance pour conclure à une attitude délibérée et flagrante du demandeur consistant à ne pas vouloir collaborer avec les autorités compétentes.

Il se dégage de surcroît de l’attestation testimoniale établie par Maître Elisabeth MACHADO et versée à l’appui du mémoire en réplique du demandeur qu’un éventuel problème de communication au niveau de l’adresse de l’intéressé fut évoqué à la date du 2 juin 2003 comme explication possible de son absence et qu’afin d’éclaircir ce point, il était prévu de convoquer une nouvelle fois Monsieur …, ce qui pourtant de manière non contestée en cause, n’a pas été le cas avant la prise de la décision litigieuse.

A défaut d’offre de preuve fournie par le représentant étatique, voire de contestations circonstanciées renseignées le cas échéant dans un mémoire en duplique pour contredire le contenu de l’attestation testimoniale versée au dossier, il y a dès lors lieu d’admettre, à partir des précisions apportées en cours d’instance contentieuse par le demandeur, que les décisions litigieuses, intervenues en l’absence d’audition du demandeur, ont été prises au mépris d’une garantie substantielle au niveau de l’instruction d’une demande d’asile sans qu’une justification satisfaisante afférente n’ait été fournie en cause.

Or, le défaut d’audition d’un demandeur d’asile par les services du ministère de la Justice constituant un vice de procédure relevant des droits de la défense et empêchant le demandeur de faire valoir ses moyens avant la décision administrative le concernant, il y a dès lors lieu d’annuler les décisions litigieuses pour violation de la loi, ceci eu égard à la situation de fait telle qu’elle prévalait à la date de la prise de ces décisions et telle qu’elle fut éclaircie en cours d’instance contentieuse.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit justifié ;

partant, annule les décisions litigieuses du ministre de la Justice des 22 juillet et 27 octobre 2003 ;

condamne l’Etat aux frais .

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 mai 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17271
Date de la décision : 17/05/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-05-17;17271 ?

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