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17/05/2004 | LUXEMBOURG | N°17244

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 mai 2004, 17244


Tribunal administratif N° 17244 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 décembre 2003 Audience publique du 17 mai 2004 Recours formé par les époux … et …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17244 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 décembre 2003 par Maître Ender ULCUN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …(Etat de Serbie et Monténégro) et de son épouse Mada

me …, née le … (Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant ac...

Tribunal administratif N° 17244 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 décembre 2003 Audience publique du 17 mai 2004 Recours formé par les époux … et …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17244 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 décembre 2003 par Maître Ender ULCUN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …(Etat de Serbie et Monténégro) et de son épouse Madame …, née le … (Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 4 septembre 2003 rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 mars 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 23 mars 2004 par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, occupant en remplacement de Maître Ender ULCUN pour compte des époux …-… ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Yvette NGONO YAH et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 mai 2004.

En date du 27 janvier 2003, les époux … et …, accompagnés de leurs deux enfants … et …, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux …-… furent entendus le même jour par un agent de la police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg ;

Ils furent entendus en outre le 27 février 2003 par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur les motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 4 septembre 2003, le ministre de la Justice les informa de ce que leur demande avait été rejetée au motif que les craintes par eux invoquées traduiraient un sentiment général d’insécurité plutôt qu’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, que par ailleurs la situation générale dans le pays d’origine des demandeurs d’asile ne saurait être suffisante pour justifier l’octroi du statut de réfugié et que les demandeurs resteraient en défaut d’établir que leur situation particulière serait telle qu’elle laisserait supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève. Le ministre a relevé en outre qu’il résulterait des recherches du service de police judiciaire qu’ils avaient été enregistrés comme demandeurs d’asile en Allemagne de 1992 à 1995, qu’ils auraient quitté l’Allemagne en 1998 et qu’ils auraient dès lors délibérément fait de fausses déclarations, étant donné que tous les deux ils ont déclaré ne jamais avoir demandé l’asile dans un autre pays que le Luxembourg. Le ministre en a déduit que l’ensemble des déclarations des requérants serait incrédible.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 décembre 2003, les époux …-… ont fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation de la décision ministérielle prévisée du 4 septembre 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Quant au fond, les demandeurs contestent avoir séjourné en Allemagne préalablement à l’introduction de leur demande d’asile au Luxembourg et reprochent au ministre de la Justice de n’apporter aucun élément concret à l’appui de cette accusation.

Ils s’emparent également à ce sujet d’une contradiction qui se dégagerait du rapport du service de police judiciaire du 28 janvier 2003 en ce qu’il y est retenu qu’une vérification dans le système Eurodac a été négative. Les demandeurs en déduisent que c’est à tort que le ministre a considéré l’ensemble de leurs déclarations comme étant incrédible. Quant à leur situation particulière, ils font valoir que Monsieur … est d’origine croate et de confession catholique et qu’avec la montée du nationalisme serbe, il ne ferait aucun doute qu’il serait poursuivi dans son pays d’origine en raison de son origine croate, étant donné que la population serbe ne tolérerait aucune autre religion à côté du culte orthodoxe. Il signale à cet égard avoir été à plusieurs fois menacé de mort s’il ne changeait pas de religion. Quant à la situation de Madame …, elle serait encore plus difficile, étant donné qu’elle serait d’origine bosniaque et de confession musulmane et qu’elle aurait à plusieurs reprises été menacée de viol si elle ne quittait pas le pays. Ils reprochent ainsi au ministre d’avoir mal interprété la réalité du danger par eux encouru en cas de retour en Serbie.

Le délégué du Gouvernement, dans son mémoire en réponse, signale qu’il ressortirait clairement du dossier administratif que d’après les renseignements fournis par le bureau commun de coopération policière, les requérants avaient tous posé une demande d’asile en Allemagne en date du 9 mars 1995 et qu’ils ont quitté ce pays le 2 avril 1998. Il estime dès lors que c’est à juste titre que le ministre de la Justice, au vu des fausses déclarations des demandeurs, a considéré l’ensemble de leurs déclarations comme étant devenu incrédible. Il insiste particulièrement à cet égard sur l’affirmation de Monsieur … lors de l’audition du 27 février 2003 qu’il aurait travaillé depuis 1984 dans une firme jusqu’en 2000, au moment où il aurait été licencié. Or, dans la mesure où serait établi qu’il se trouvait en Allemagne entre 1995 et 1998, cette affirmation, ainsi celle que d’avoir été licencié pour avoir refusé de changer de nom et de religion seraient à considérer comme étant manifestement fausses.

Dans leur mémoire en réplique les demandeurs insistent avoir subi des persécutions du fait de leur religion étant donné qu’on aurait constamment demandé à Monsieur … de changer de nom, cette pratique étant constitutive à leur sens d’harcèlement moral, justifiant l’octroi du statut de réfugié.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen auquel le tribunal est amené à se livrer dans le cadre d’un recours en réformation ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais comporte également l’appréciation de la valeur des éléments de preuve et de la crédibilité des déclarations du demandeur (cf. trib. adm. 13 novembre 1997, nos 9407 et 9806 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 40 et autres références y citées, page 186).

En l’espèce, les déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions et plus particulièrement l’affirmation de Monsieur … relatée comme suit : « J’ai travaillé depuis 1984 dans une firme jusqu’en 2000, et alors on m’a licencié (…) car je ne voulais pas changer mon nom et ma religion. J’aurai dû prendre un prénom serbe, et aussi leur religion. Ce n’était pas seulement le cas chez moi, cela se passait ainsi dans toute la Serbie », comportant l’essence du motif de persécution invoqué à l’appui de la demande d’asile sous examen pour traduire en fait les pressions alléguées exercées sur lui afin de le faire changer de nom, se trouvent en contradiction flagrante avec d’autres éléments du dossier administratif.

En effet, tel que relevé à juste titre par le ministre de la Justice et confirmé en cours d’instance contentieuse par le délégué du Gouvernement, force est de constater à partir du rapport du Centre de coopération policière et douanière établi le 15 mai 2003 que les autorités allemandes ont signalé que les consorts …-… avaient préalablement sollicité le statut de réfugié en Allemagne, que cette demande fut refusée en date du 9 mars 1995 et qu’ils ont quitté l’Allemagne en date du 2 avril 1998.

Dans la mesure où ces éléments d’information se trouvent en contradiction avec le récit des demandeurs ainsi qu’avec leur affirmation qu’ils n’auraient ni séjourné, ni demandé l’asile auparavant dans un autre pays, le ministre de la Justice a valablement pu conclure à l’incrédibilité du récit des demandeurs.

Cette conclusion ne saurait être énervée ni par les contestations afférentes formulées en cours d’instance contentieuse, faute de reposer sur un quelconque élément concret de nature à ébranler les affirmations pourtant très précises des autorités allemandes fournies par écrit au dossier, ni encore par le résultat négatif des vérifications effectuées dans le système Eurodac, étant donné que celui-ci n’était pas encore opérationnel à l’époque de l’introduction de la demande d’asile en Allemagne à laquelle se réfèrent les autorités du pays concerné et que partant aucune contradiction ne saurait en être dégagée.

Il se dégage des considérations qui précèdent que la décision ministérielle est motivée à suffisance par référence à ces incohérences, de sorte que le recours laisse d’être fondé sans qu’il y ait lieu d’examiner plus en avant les autres motifs invoqués à son appui.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais .

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 mai 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17244
Date de la décision : 17/05/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-05-17;17244 ?

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