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12/05/2004 | LUXEMBOURG | N°17437

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 mai 2004, 17437


Tribunal administratif N° 17437 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 janvier 2004 Audience publique du 12 mai 2004 Recours formé par Madame … et Monsieur … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17437 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 janvier 2004 par Maître Deidre DU BOIS, avocat à la Cour, assistée de Maître Aurore GIGOT, toutes les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …

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Tribunal administratif N° 17437 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 janvier 2004 Audience publique du 12 mai 2004 Recours formé par Madame … et Monsieur … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17437 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 janvier 2004 par Maître Deidre DU BOIS, avocat à la Cour, assistée de Maître Aurore GIGOT, toutes les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à Zarbincë (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), et Monsieur …, né le … à Kopernicë (Kosovo), agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leur fils commun … …, né le … à Kamenicë (Kosovo), tous de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision sur recours gracieux prise par le ministre de la Justice le 9 décembre 2003, confirmant dans son intégralité sa décision du 21 octobre 2003, par laquelle leur demande tendant à la reconnaissance du statut de réfugié a été déclarée non fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 mars 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Thomas WALSTER, en remplacement de Maître Deidre DU BOIS, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

Le 19 juin 2003, Madame … et Monsieur …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leur enfant mineur …, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Madame … et Monsieur … furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent entendus séparément le 3 juillet 2003 par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur les motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 21 octobre 2003, envoyée par lettre recommandée le 23 octobre 2003, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 24 juin 2003 et les rapports d’audition de l’agent du Ministère de la Justice du 3 juillet 2003.

Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous demandez l’asile politique et surtout la possibilité d’avoir un travail. Vous n’auriez pas eu d’engagement politique. On vous aurait reproché de ne pas vous être engagé. Ceci expliquerait pourquoi vous n’auriez pas trouvé un emploi au Kosovo.

Vous indiquez espérer trouver un emploi dans le secteur agricole au Luxembourg.

Vous déclarez que vous seriez resté au Kosovo si vous aviez trouvé un emploi. Vous n’invoquez pas d’autres motifs au soutien de votre demande d’asile.

Madame, vous relatez que les Albanais auraient menacé votre mari parce qu’il aurait collaboré avec les Serbes en leur transmettant des renseignements. Vous indiquez qu’on aurait partout jeté des pierres sur votre concubin, alors que ce dernier déclare ne pas avoir été agressé physiquement.

Force est cependant de constater qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, est installée au Kosovo pour assurer la coexistence pacifique entre les différentes communautés et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place.

Les problèmes que vous auriez eus - même à supposer ces faits établis – ne sauraient être considérés comme étant suffisamment graves pour justifier l’octroi du statut de réfugié.

En outre, il ressort de vos déclarations que les motifs de votre demande d’asile sont surtout de nature économique.

En plus, je constate que vous avez un sentiment général d’insécurité en raison de la situation au Kosovo. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par ailleurs, la situation générale dans le pays d’origine d’un demandeur d’asile ne saurait être suffisante pour justifier l’octroi du statut de réfugié. Vous restez en défaut d’établir que votre situation particulière est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, le Kosovo est un territoire où il n’existe pas, en règle générale, de risque sérieux de persécution pour les Albanais du Kosovo.

Dans ces circonstances vous ne pouvez pas faire état d’un risque actuel de persécution pour des motifs tenant à votre race, à vos opinions politiques, à votre religion, à votre nationalité ou à votre appartenance à un groupe social, que vous courriez si vous deviez retourner dans votre territoire d’origine.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 21 novembre 2003, Madame … et Monsieur … introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 21 octobre 2003.

Le 9 décembre 2003, le ministre de la Justice confirma simplement sa décision initiale de refus du 21 octobre 2003, « à défaut d’éléments nouveaux pertinents ».

Par requête déposée le 9 janvier 2004 au greffe du tribunal administratif, Madame … et Monsieur … ont introduit un recours en réformation contre la décision confirmative précitée du 9 décembre 2003.

Une décision prise sur recours gracieux, purement confirmative d'une décision initiale tire son existence de cette dernière, et, dès lors, les deux doivent être considérées comme formant un seul tout. Il s’ensuit qu’un recours introduit en temps utile contre la seule décision confirmative est valable (cf. trib. adm. 21 avril 1997, n° 9459 du rôle, Pas.

adm. 2003, V° Procédure contentieuse, n° 93 et autres références y citées).

L’article 12 de la loi précitée du 3 avril 1996 prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, est par conséquent recevable.

Quant au fond, les demandeurs font exposer qu’ils seraient « Serbes » [sic] originaires du Kosovo, qu’ils auraient quitté le Kosovo en raison des discriminations et des persécutions perpétrées par des membres de la communauté albanaise. Ils exposent plus particulièrement que Monsieur … aurait été accusé de collaborer avec les Serbes, aux motifs qu’il n’habitait pas loin de la frontière serbe, qu’il avait refusé de s’engager dans l’armée et que la famille de Madame … habitait en Serbie, et que ces accusations l’auraient empêché de trouver du travail. Ils font valoir que Madame … qui souffrirait d’une déficience des reins et du dos ne pourrait pas retourner au Kosovo où les soins médicaux appropriés feraient défaut. Ils précisent encore que les personnes d’origine non albanaise seraient exposées au Kosovo à de nombreuses discriminations et que l’accès égalitaire aux infrastructures médicales, écolières ou autres leur serait dénié. Dans ce contexte, ils font ajouter que les autorités nationales et internationales en place au Kosovo ne seraient pas en mesure de garantir leur sécurité.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte qu’ils seraient à débouter de leur recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Madame … et Monsieur … lors de leurs auditions du 3 juillet 2003, telles que celles-ci ont été relatées dans les compte rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que les demandeurs, interrogés sur les motifs de leur demande d’asile, ont répondu qu’ils avaient quitté le Kosovo en raison du fait que Monsieur … ne trouvait pas d’emploi et à cause des problèmes de santé de Madame ….

Les demandeurs ont par ailleurs affirmé qu’ils seraient restés au Kosovo, s’ils avaient un travail.

Ainsi, les demandeurs se réfèrent essentiellement à des problèmes d’ordre matériel et économique et aux problèmes de santé de Madame …, lesquels ne sauraient justifier la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, étant donné que ni les problèmes d’ordre économique ni les problèmes de santé en question ni encore la qualité des soins que peuvent assurer les médecins dans leur pays d’origine, ne sont de nature à justifier dans le chef des demandeurs une crainte de persécution au sens de ladite Convention (cf. trib. adm. du 20 juin 2001 n° 12679 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers n° 83, trib.adm. du 12 juillet 2001 n° 12812 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 80 et autres références y citées).

En ce qui concerne la situation générale régnant au Kosovo, région dont les demandeurs sont originaires, il convient de relever qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité de la décision querellée à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ. En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

A cet égard, abstraction faite de ce que l’appartenance alléguée à la minorité serbe du Kosovo est douteuse, étant donné que la langue maternelle des demandeurs est l’albanais et qu’ils sont de confession musulmane, il y a lieu de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Serbes, reste difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des persécutions.

Or, force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal. En effet, les faits personnels allégués par les demandeurs relativement au fait d’avoir été inquiétés par des membres de la population albanaise du Kosovo, et les menaces proférées à leur encontre voire les maltraitances subies, à les supposer établies étant relevé que Monsieur … a déclaré lors de son audition ne pas avoir été agressé alors que Madame … a déposé qu’il se serait fait agresser par des jets de pierres, constituent certainement des pratiques condamnables, mais en l’espèce, ne dénotent non seulement pas une gravité telle qu’ils établissent à l’heure actuelle un risque de persécution dans le chef des demandeurs au point que leur vie leur serait intolérable dans leur pays d’origine, mais encore et surtout, il convient de constater que ces actes ne s’analysent pas en une persécution émanant de l’Etat, mais d’un groupe de la population et ne sauraient dès lors être reconnus comme motif d’octroi du statut de réfugié que si les personnes en cause ne bénéficient pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève.- Il convient de préciser sous ce rapport que, s’agissant d’actes émanant de certains groupements de la population, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission matérielle d’un acte criminel et qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers uniquement en cas de défaut de protection dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p.113 nos. 73-

s).

Par ailleurs, même à admettre qu’à l’heure actuelle, il est toujours difficile pour un membre de la communauté serbe du Kosovo de s’y réinstaller au vu du risque subsistant de nouveaux conflits ethniques, les demandeurs ne soumettent toutefois aucun élément permettant d’établir les raisons pour lesquelles ils ne seraient pas en mesure de trouver refuge à l’heure actuelle, dans une autre partie de leur pays d’origine, et notamment en Serbie ou au Monténégro, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne devant être prises en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas.

adm. 2003, V° Etrangers, n° 45 et autres références y citées).

Il ressort de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 12 mai 2004 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 7


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17437
Date de la décision : 12/05/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-05-12;17437 ?

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