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12/05/2004 | LUXEMBOURG | N°17429

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 mai 2004, 17429


Tribunal administratif N° 17429 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 janvier 2004 Audience publique du 12 mai 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17429 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 janvier 2004 par Maître Chris SCOTT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M

onsieur …, né le … (Tanzanie), de nationalité tanzanienne, demeurant actuellement à L-…, t...

Tribunal administratif N° 17429 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 janvier 2004 Audience publique du 12 mai 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17429 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 janvier 2004 par Maître Chris SCOTT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Tanzanie), de nationalité tanzanienne, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 8 décembre 2003, confirmant une précédente décision du même ministre datée du 21 octobre 2003 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 mars 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé le 7 avril 2004 au greffe du tribunal administratif en nom et pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Chris SCOTT, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 mai 2004.

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Le 5 mars 2003, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Les 26 mars et 11 avril 2003, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 21 octobre 2003, expédiée par lettre recommandée le 22 octobre 2003, le ministre de la Justice l’informa de ce que sa demande avait été rejetée au motif qu’il n’alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raisons d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans son chef.

Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 14 novembre 2003 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre de la Justice prit une décision confirmative le 8 décembre 2003, aux termes de laquellel il maintient sa précédente décision en son intégralité.

Le 8 janvier 2004, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation sinon en annulation contre la décision ministérielle de refus du 8 décembre 2003 Le délégué du Gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours subsidiaire en annulation au motif que seul un recours au fond est prévu par la loi en la matière.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître en tant que juge du fond de la demande introduite contre la décision ministérielle entreprise. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Le recours en annulation, formulé à titre subsidiaire, est dès lors irrecevable.

Quant au fond, le demandeur conteste les motifs invoqués pour lui refuser le statut de réfugié. Il fait exposer qu’il aurait fait l’objet de persécutions dans son pays, et qu’il aurait été contraint de quitter son pays d’origine sous la menace de policiers. Il expose à ce sujet avoir été membre du parti d’opposition CUF (Civil United Front), avoir en cette qualité fait du prosélytisme en faveur de son parti et avoir, en octobre 2000, et supervisé le bon déroulement des élections présidentielles et parlementaires.

Monsieur … expose encore avoir assisté, en date du 27 janvier 2001, à une perquisition policière dans la maison d’un ami sur l’île de Pemba, perquisition s’inscrivant dans le cadre de répressions policières ordonnées par le pouvoir en place contre les partis politiques d’opposition.

Il fait plaider que si deux personnes ont été tuées lors de cette perquisition, il a réussi pour sa part à s’enfuir et à se réfugier sur le continent, d’où il a contacté son épouse qui l’a averti qu’il était recherché par la police.

Le demandeur conteste encore l’appréciation de la situation en Tanzanie faite par le délégué du Gouvernement, et estime qu’actuellement, en dépit de quelques améliorations, la situation y serait encore telle qu’il ne saurait y retourner sans y risquer sa vie.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la réalité et la gravité des motifs de crainte de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours.

Il relève que le demandeur ne ferait état d’aucun fait réel de nature à établir une persécution ou un risque de persécution ; il estime encore que le demandeur n’apporterait aucun élément corroborant les faits allégués. Il reproche en outre au demandeur de ne pas avoir profité de possibilités de fuite interne, en s’installant dans une autre région de son pays. Enfin, il estime que la situation en Tanzanie se serait stabilisée, et renvoie à ce sujet à un rapport d’Amnesty International de 2002.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève Il résulte en effet des déclarations faites par le demandeur que celui-ci n’a pas fait l’objet de persécutions ou menaces directes ; le seul fait précis relaté est sa présence dans la maison d’un ami au moment où la police y opéra une perquisition. Si le demandeur prétend avoir également été visé par cette perquisition (« La police est venue pour nous y attraper »), il ne fournit aucune explication cohérente pour une telle persécution.

Le demandeur à ce sujet ne se définit d’ailleurs que comme « simple » membre du parti d’opposition, et ne mentionne, avant l’incident relaté ci-dessus, aucune persécution personnelle émanant des autorités ou du parti au pouvoir ; il affirme d’ailleurs explicitement ne pas avoir eu de problèmes avec la police. Le tribunal constate encore que le demandeur n’a pas participé aux manifestations du 27 janvier 2001, pourtant présentées comme la cause des persécutions dont il souffrirait.

Il y a encore lieu de relever que le demandeur ne se base, pour affirmer faire l’objet de persécutions, que sur les dires de son épouse, qui l’aurait informé du fait que la police serait venue s’enquérir du lieu où il se trouvait.

Il en résulte que les craintes exprimées se basent uniquement sur la situation générale de la Tanzanie, et des îles de Pemba et de Zanzibar en particulier, et non sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur risque de subir des persécutions.

Il convient de relever en outre que le demandeur reste en défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles il n’aurait pas été en mesure de s’installer dans une autre partie du pays et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne, notamment en se rendant sur le continent auprès de son oncle, où, aux dires du demandeur, il n’y aurait pas de problèmes, voire même sur l’île de Zanzibar. Le tribunal ne saurait à ce sujet partager les explications du demandeur selon lesquelles la taille de l’île serait telle que tout le monde s‘y connaîtrait, ce qui exclurait tout retour du demandeur, alors qu’une telle affirmation, eu égard à la population sur l’île de plus de 800.000 habitants, n’est guère sérieuse.

En la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ.

Or la conclusion retenue ci-avant n’est pas énervée par les moyens du demandeur et relatifs à la situation en Tanzanie en 2003, les articles de journaux versés à ce sujet par le mandataire du demandeur ne concernant que les craintes émises par le parti au pouvoir comme quoi le comportement des partis d’opposition risquerait de mettre à mal l’accord de paix conclu entre les différents partis. Ces articles en particulier ne signalent pas une reprise des persécutions par les autorités.

Il ressort en revanche du « Amnesty International Report 2003 – Tanzania »1 que «Political tension in Zanzibar reduced considerably as a result of the October 2001 agreement between the ruling Chama Cha Mapinduzi (CCM), Party of the Revolution, and the opposition Civic United Front (CUF). By early 2002 all detainees held in connection with the January 2001 demonstrations had been released and restrictions on opposition activities lifted. The targeting of CUF members for arrests and beatings ceased, although in February, five people were arrested in Zanzibar and charged with bombing a government office. They were awaiting trial at the end of 2002. Several thousand people who had fled to the mainland or Kenya returned safely during 2002. Talks between the CCM and the CUF on democratic reforms continued. The semi-

1 web.amnesty.org/report2003/Tza-summary-eng autonomous Zanzibar Constitution was amended in April to create an independent electoral commission ».

Le « U.S. Department of State Country Report on Human Rights Practices 2003 – Tanzania» daté du 25 février 20042 pour sa part indique que si la situation en Tanzanie est encore trop souvent caractérisée par des brutalités policières et des exactions, en revanche des améliorations importantes ont eu lieu, et qui ont donné des résultats concrets. Ainsi, ce rapport relève qu’en 2003 il n’y a eu aucun assassinat politique ou « extra-judiciaire » et qu’aucune disparition d’opposants politiques n’a été signalée. Le gouvernement tanzanien a par ailleurs entamé une réforme des forces de police, en confiant la formation d’officiers supérieurs de police à la Commission des Nations Unies pour les droits de l’homme.

Ce rapport indique encore que des élections libres partielles ont eu lieu sur l’île de Pemba en mai 2003, élections largement remportées par le CUF, dont les réunions ne sont plus interdites (« Unlike in previous years, CUF meetings were not banned ») et dont les membres ne sont plus harcelés (« Unlike in previous years, police in Zanzibar did not dedain, arrest, or harass CUF members and suspected supporters »).

Or comme relevé ci-avant, non seulement une situation généralement difficile n’est pas suffisante pour caractériser à elle seule une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, dès lors que le demandeur n’établit pas un danger direct et spécifique pour sa personne et sa situation particulière, mais il appert encore des informations citées ci-dessus que la situation en Tanzanie, si elle demeure toujours précaire en ce qui concerne le respect des droits de l’homme, s’est cependant notablement améliorée en ce qui concerne les droits des partis d’opposition en général et du CUF, dont relève le demandeur, en particulier.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Le demandeur réclame encore l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 750 €. Cette demande, au vu de l’issue du recours, est à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, 2 www.state.gov/g/drl/rls/hrrpt/2003/27756.htm déclare le recours en annulation irrecevable, rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 12 mai 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17429
Date de la décision : 12/05/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-05-12;17429 ?

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