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12/05/2004 | LUXEMBOURG | N°17411

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 mai 2004, 17411


Tribunal administratif N° 17411 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 janvier 2004 Audience publique du 12 mai 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17411 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 janvier 2004 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de

Monsieur …, né le … à Godijevo/Bijelo Polje (Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-mont...

Tribunal administratif N° 17411 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 janvier 2004 Audience publique du 12 mai 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17411 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 janvier 2004 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Godijevo/Bijelo Polje (Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 12 août 2003, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 26 novembre 2003, suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 mars 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Mourad SEBKI, en remplacement de Maître Edmond DAUPHIN, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 26 mai 2003, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, M. … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 11 juin 2003, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 12 août 2003, notifiée par lettre recommandée du 22 août 2003, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« En mains le rapport d’audition de l’agent du Ministère de la Justice daté du 11 juin 2003.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté le Monténégro le 20 mai 2003 pour prendre place dans une voiture qui vous aurait conduit au Luxembourg. Vous dites être passé par la Serbie, la Hongrie, l’Autriche et l’Allemagne. Vous seriez arrivé au Luxembourg le 23 mai 2003.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 26 mai 2003.

Vous exposez que vous avez fait votre service militaire en 2001/2002 à Zajecar comme simple soldat. Vous n’auriez pas terminé votre service militaire car vous auriez déserté. Vous dites que vous ne supportiez plus les remarques désobligeantes de vos camarades concernant votre nationalité et votre religion. Vous ajoutez que votre unité se trouvait dans une zone frontalière et que des terroristes de l’UCK tiraient régulièrement. Le 15 mars 2002, vous auriez déserté. La police militaire vous aurait recherché mais vous vous seriez caché. Ils ne seraient plus venus après le mois de décembre 2002. Vous auriez aussi reçu des convocations à vous présenter à l’office militaire. Vous ajoutez qu’en cas de non-présentation, vous risqueriez de comparaître devant le Tribunal Militaire.

Vous prétendez aussi que la situation économique du Monténégro serait mauvaise et que vous n’auriez vécu que de petits travaux au noir.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

La crainte de peines du chef de désertion ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève. De même, la désertion ne constitue pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié, d’autant plus que vous n’étiez pas amené à participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables. Il ne résulte pas de votre dossier qu’il vous aurait été impossible de vous expliquer quant à votre désertion devant les autorités militaires ni que vous auriez subi, devant un éventuel Tribunal Militaire, une sanction disproportionnée.

Il ressort de votre récit que vous éprouvez surtout un sentiment général d’insécurité qui ne saurait suffire à fonder une persécution au sens de la Convention de Genève.

De plus, le 15 mars 2002, un accord serbo-monténégrin a été signé par les Présidents Kostunica et Djukanovic, prévoyant l’adoption d’une nouvelle Constitution et l’organisation d’élections permettant de donner plus d’autonomie au Monténégro. La République Fédérale de Yougoslavie a cessé d’exister pour être remplacée par un Etat de Serbie et Monténégro. La nouvelle Constitution a été élaborée en février 2003, des élections démocratiques ont eu lieu le 25 février 2003 et le nouveau Président a été élu par le Parlement le 7 mars 2003. A ce jour, le Monténégro n’est plus à considérer comme un territoire dans lequel des risques de persécutions sont à craindre.

Quant à la situation économique de votre pays, elle n’est pas une cause d’obtention du statut de réfugié.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est donc refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le 25 septembre 2003, M. … formula, par le biais de son mandataire, un recours gracieux auprès du ministre de la Justice à l’encontre de cette décision ministérielle.

Suivant décision du 26 novembre 2003, notifiée par lettre recommandée expédiée le 1er décembre 2003 et notifiée en mains propres le 30 décembre 2003, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale, « à défaut d’éléments pertinents nouveaux ».

Le 5 janvier 2003, M. … a introduit un recours en réformation contre les décisions ministérielles de refus des 12 août et 26 novembre 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire du Monténégro, qu’il appartiendrait à la minorité ethnique des « Bochniaques » et qu’il aurait quitté son pays d’origine en mars 2002 en raison de sa désertion de l’armée serbe, au motif qu’il aurait constamment dû subir des insultes, menaces et discriminations émanant des membres de son unité en raison de son appartenance à la minorité des Bochniaques. Il fait plus particulièrement valoir que sa vie aurait été en danger en raison du fait que les soldats de son unité, stationnée à la frontière entre le Monténégro et le Kosovo et appartenant à une minorité ethnique, auraient toujours été envoyés en première ligne et que les pertes auraient été importantes parmi eux. Il fait ajouter qu’un retour au Monténégro ne serait pas possible, au motif qu’il serait passible d’une peine d’emprisonnement de plusieurs années et qu’il ne serait pas protégé en prison.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures contentieuse et gracieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que les déclarations du demandeur restent à l’état de simples allégations non confortées par un quelconque élément de preuve tangible. Ainsi, il ne ressort d’aucun élément du dossier administratif que M. … ait effectivement été soldat dans l’armée serbe, voire qu’il ait déserté de l’armée ni encore qu’il risquait ou risque effectivement de faire l’objet d’une condamnation par un tribunal militaire ni que des traitements discriminatoires risquent de lui être infligés en prison.

Pour le surplus, même à admettre les faits exposés par M. …, il convient de relever que la désertion n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur une crainte justifiée d’être persécuté pour un des motifs prévus par la Convention de Genève et il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que la condamnation que M. … prétend risquer d’encourir en raison de sa désertion serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 12 mai 2004, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17411
Date de la décision : 12/05/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-05-12;17411 ?

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