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12/05/2004 | LUXEMBOURG | N°17392

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 mai 2004, 17392


Tribunal administratif Numéro 17392 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 décembre 2003 Audience publique du 12 mai 2004 Recours formé par les époux … et … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17392 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 31 décembre 2003 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Pec (

Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), et de son épouse, Mme …, née le … à Bijelo-Polje (Monténégro/ E...

Tribunal administratif Numéro 17392 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 décembre 2003 Audience publique du 12 mai 2004 Recours formé par les époux … et … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17392 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 31 décembre 2003 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Pec (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), et de son épouse, Mme …, née le … à Bijelo-Polje (Monténégro/ Etat de Serbie et Monténégro), agissant tant en leur nom personnel, qu’en celui de leurs enfants mineurs …, tous de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 21 octobre 2003 rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du 2 décembre 2003 prise par ledit ministre suite à un recours gracieux introduit par les demandeurs ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 mars 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

En dates respectives des 24 décembre 2002 et 9 janvier 2003, M. … et son épouse, Mme …, agissant tant en leur nom personnel, qu’en celui de leur enfant mineur …, introduisirent une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux …-… furent entendus aux mêmes dates par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 13 février 2003, ils furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur les motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 21 octobre 2003, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Monsieur, vous exposez avoir travaillé pour l’UNMIK et l’OSCE en tant que policier. Vous auriez constamment reçu des menaces de la part de certains Albanais. Vous auriez été agressé à plusieurs reprises. On aurait essayé d’incendier votre maison et on vous aurait tiré dessus dans la rue.

On vous aurait menacé d’éliminer votre famille. Vous indiquez que des Albanais se font aussi agresser par ces personnes.

Vous expliquez que votre peur vient du fait que vous faites partie de la minorité bochniaque et du fait que vous travaillez comme policier.

Madame, vous confirmez les déclarations de votre mari. Vous faites état des problèmes que vous auriez eu parce que vous ne parlez pas l’albanais. Vous n’auriez pas pu circuler librement.

Force est cependant de constater qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée au Kosovo et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place. La situation des minorités ethniques du Kosovo s’est améliorée par rapport à l’année 1999. Les diverses élections qui ont eu lieu après la fin du conflit armé en mai 1999 se sont conclues avec des victoires des partis modérés et des défaites des partis extrémistes. Ainsi une persécution systématique de minorités ethniques est actuellement à exclure.

De même, les Albanais du Kosovo ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

Les problèmes que vous relatez relèvent plutôt de la criminalité de droit commun ce qui est démontré par vos déclarations. En effet, vous indiquez que certains Albanais du Kosovo auraient le même genre de problèmes avec les personnes qui vous auraient menacé.

Un arrière-fond ethnique de vos problèmes est par conséquent à exclure.

En outre, il résulte du rapport établi par le chargé de mission du Bureau du Grand-

Duché de Luxembourg à Pristina que les faits contenus dans les rapports de police que vous versez peuvent être considérés comme invraisemblables.

Enfin, il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité.

Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par ailleurs, la situation générale dans le pays d’origine d’un demandeur d’asile ne saurait être suffisante pour justifier l’octroi du statut de réfugié. Vous restez en défaut d’établir que votre situation particulière est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Suite à un recours gracieux formulé par le mandataire des consorts …-… suivant courrier du 23 novembre 2003 à l’encontre de la décision ministérielle du 21 octobre 2003, le ministre de la Justice confirma le 2 décembre 2003 sa décision initiale.

Le 10 décembre 2003, les consorts …-… ont introduit un recours en réformation contre les décisions précitées des 21 octobre et 2 décembre 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, les demandeurs font exposer qu’ils seraient originaires du Kosovo, qu’ils appartiendraient à la minorité ethnique des « Bochniaques » et qu’ils auraient quitté leur pays d’origine en raison des persécutions incessantes dont ils auraient été victimes par la population albanaise en raison de leur appartenance ethnique et en raison du fait que Monsieur … aurait été policier au service de l’UNMIK et de l’OSCE. Dans ce contexte, ils exposent plus particulièrement que leur maison aurait fait l’objet d’une tentative d’incendie, que des extrémistes albanais auraient tiré sur Monsieur … en pleine rue, qu’ils auraient fait l’objet de menaces de mort et que toutes les plaintes portées devant les autorités compétentes seraient restées sans suite.

En substance, ils reprochent au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’ils ont mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte qu’ils seraient à débouter de leur recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, en ce qui concerne de prime abord la situation au Kosovo, région dont les demandeurs sont originaires, il convient de relever qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ. En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

A cet égard, il y a lieu de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Bochniaques, reste difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des persécutions.

Or, force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal. En effet, les faits personnels allégués par les demandeurs relativement au fait d’avoir été inquiétés par des membres de la population albanaise, sans qu’ils n’aient cependant apporté des précisions concrètes relativement à cet état de choses, d’une part, et les coups de feu tirés sur Monsieur … et la tentative de mettre le feu à leur maison, d’autre part, à les supposer établis, constituent certainement des pratiques condamnables, mais en l’espèce, ne dénotent non seulement pas une gravité telle qu’ils établissent à l’heure actuelle un risque de persécution dans le chef des demandeurs au point que leur vie leur serait intolérable dans leur pays d’origine, mais encore et surtout, il convient de constater que ces actes ne s’analysent pas en une persécution émanant de l’Etat, mais d’un groupe de la population et ne sauraient dès lors être reconnus comme motif d’octroi du statut de réfugié que si les personnes en cause ne bénéficient pas de la protection des autorités de leur pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève et que les demandeurs n’établissent pas à suffisance de droit l’incapacité actuelle des autorités compétentes de leur fournir une protection adéquate. - Il convient de préciser sous ce rapport que, s’agissant d’actes émanant de certains groupements de la population, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission matérielle d’un acte criminel et qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers uniquement en cas de défaut de protection dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves Carlier :

Qu’est ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p.113 nos. 73-s).

Par ailleurs, même à admettre qu’à l’heure actuelle, il est toujours difficile pour un membre de la communauté bochniaque du Kosovo de s’y réinstaller au vu du risque subsistant de nouveaux conflits ethniques, les demandeurs ne soumettent toutefois aucun élément permettant d’établir les raisons pour lesquelles ils ne seraient pas en mesure de trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de leur pays d’origine, et notamment au Monténégro où résident les parents et les frères et sœurs de Madame … (cf. page 2 du rapport d’audition de Madame …), étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf.

trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 45 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 12 mai 2004, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17392
Date de la décision : 12/05/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-05-12;17392 ?

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