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12/05/2004 | LUXEMBOURG | N°17290

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 mai 2004, 17290


Tribunal administratif N° 17290 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 décembre 2003 Audience publique du 12 mai 2004

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Recours formé par les époux … et … et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17290 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 décembre 2003 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avo

cats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo - Etat de Serbie et Monténégro), et son épouse ...

Tribunal administratif N° 17290 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 décembre 2003 Audience publique du 12 mai 2004

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Recours formé par les époux … et … et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17290 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 décembre 2003 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo - Etat de Serbie et Monténégro), et son épouse Madame …, née… , agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants … …, née le … et … …, née le… , tous de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 4 septembre 2003, rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 18 novembre 2003 intervenue sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er mars 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 mai 2004.

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En date du 23 mai 2002, Monsieur … et son épouse Madame …, accompagnés de leurs enfants mineurs … et …, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, ils furent entendus par un agent de la police grand-ducale sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

En date des 6 juin 2002 et 28 janvier 2003, les époux …-… furent entendus en outre séparément par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur les motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 4 septembre 2003, notifiée par courrier recommandé expédié le 11 septembre 2003, le ministre de la Justice les informa de ce que leur demande avait été refusée au motif que les craintes de persécution par eux invoquées ne revêtiraient pas une gravité telle à fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, mais traduiraient plutôt un sentiment général d’insécurité. Le ministre a relevé en outre que des groupements d’Albanais ne sauraient être considérés comme des agents de persécution au sens de ladite Convention et que par ailleurs il ne serait pas établi que les forces onusiennes sur place auraient été dans l’incapacité de leur fournir une protection suffisante. Le ministre a encore fait état d’une amélioration de la situation de la minorité goranaise au Kosovo.

Le recours gracieux que les époux …-… ont fait introduire par courrier de leur mandataire datant du 10 octobre 2003 à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 4 septembre 2003 s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 28 octobre 2003, ils ont fait introduire un recours tendant à la réformation desdites décisions ministérielles par requête déposée en date du 12 décembre 2003.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour analyser le recours introduit. Le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer qu’ils seraient originaires du Kosovo et de confession musulmane, qu’ils feraient partie de la minorité des Goranais et qu’ils auraient quitté leur pays d’origine en raison du fait qu’ils y auraient subi des persécutions en raison de leur appartenance ethnique. Ils font valoir que les Goranais seraient exposés à de nombreuses discriminations et persécutions de la part des Albanais et des Serbes.

Eu égard aux risques de maltraitance auxquels ils seraient exposés en cas de retour dans leur pays, les demandeurs estiment dès lors remplir les conditions d’octroi du statut de réfugié sur base des craintes raisonnables de persécution qu’ils éprouvent vis-à-vis notamment des éléments de la population albanaise en raison de leur appartenance ethnique. Quant à la possibilité d’une fuite interne leur opposée par le ministre, les demandeurs font valoir qu’il y aurait lieu de considérer l’ensemble des éléments objectifs et subjectifs attachés à pareille hypothèse et qu’en l’espèce l’autorité administrative resterait en défaut de prouver l’existence d’une possibilité effective de fuite interne dans leur chef.

Le délégué du Gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte qu’ils seraient à débouter de leur recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions des 6 juin 2002 et 28 janvier 2003, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leur opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, les demandeurs font essentiellement état de leur crainte de subir des persécutions de la part des Albanais et des Serbes du Kosovo et de l’hostilité que ces deux groupes de la population manifestent envers les membres de la minorité ethnique des Goranais. A cet égard, il y a lieu de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Goranais, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des persécutions.

Or, force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal. En effet, les faits personnels allégués par les demandeurs relativement à des insultes et des menaces de mort, à les supposer établis, constituent certainement des pratiques condamnables, mais en l’espèce, ne dénotent pas une gravité telle qu’ils établissent à l’heure actuelle un risque de persécution dans le chef des demandeurs au point que leur vie leur serait intolérable dans leur pays d’origine. Le récit des demandeurs traduit tout au plus un sentiment général d’insécurité, sans qu’ils n’aient fait état d’une persécution personnelle vécue ou d’une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine.

Par ailleurs, les actes concrets de persécution de la part de groupements d’Albanais et de Serbes invoqués par les demandeurs et remontant en grande partie aux années 1999 et 2000, s’analysent en une persécution émanant non pas de l’Etat, mais d’un groupe de la population et ne sauraient dès lors être reconnus comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève. S’y ajoute que, s’agissant d’actes émanant de certains groupements de la population, force est de relever que la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission matérielle d’un acte criminel. En effet, il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers uniquement en cas de défaut de protection dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-

Yves Carlier : Qu’est ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p.113 nos 73-s).

Si les demandeurs décrivent en l’espèce certes une situation d’insécurité et de conflit généralisé dans leur pays d’origine, ils n’ont pourtant soumis aucun indice concret relativement à l’incapacité actuelle des autorités compétentes de leur fournir une protection adéquate, voire allégué une démarche concrète en vue d’obtenir la protection de la part des autorités en place. En effet, il se dégage du compte rendu d’audition des demandeurs qu’ils n’ont pas porté plainte auprès des troupes de la KFOR concernant les menaces et agressions dont ils ont été victimes. Il en résulte que les demandeurs restent en défaut d’établir l’incapacité des autorités en place de leur assurer une protection adéquate.

Force est de constater par ailleurs que les demandeurs ne soumettent aucun élément permettant d’établir les raisons pour lesquelles ils ne seraient pas en mesure de trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de leur pays d’origine, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne devant être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 45 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 12 mai 2004 par:

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17290
Date de la décision : 12/05/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-05-12;17290 ?

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