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10/05/2004 | LUXEMBOURG | N°17358

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 mai 2004, 17358


Tribunal administratif Numéro 17358 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 décembre 2003 Audience publique du 10 mai 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17358 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 décembre 2003 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Podujevo (Kosovo/Etat de Serbie et

Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réforma...

Tribunal administratif Numéro 17358 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 décembre 2003 Audience publique du 10 mai 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17358 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 décembre 2003 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Podujevo (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 23 septembre 2003, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, telle que cette décision a été confirmée par ledit ministre le 12 novembre 2003, suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 mars 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Frank WIES, en remplacement de Maître Olivier LANG, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 3 juillet 2003, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, M. … fut entendu par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Le 25 juillet 2003, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 23 septembre 2003, notifiée par lettre recommandée du 29 septembre 2003, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté le Kosovo en avril 2003 pour aller d’abord à Banja Luka / BIH où vous auriez séjourné un mois chez un ami de votre père.

Ensuite, vous auriez pris place dans un camion en partance pour Luxembourg. Vous ne pouvez donner aucune précision quant à votre trajet.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 3 juillet 2003.

Vous exposez que vous n’avez pas fait votre service militaire.

Vous expliquez que vous auriez travaillé dans l’entreprise de construction de votre père. Comme vous achetiez le matériel de chantier en Serbie, des Albanais vous auraient cambriolé à plusieurs reprises et vous auraient frappés, votre père et vous, vous reprochant de vous fournir dans cette région et de collaborer ainsi avec les Serbes. Vous ajoutez que ces agressions étaient aussi causées par la jalousie.

Vous auriez porté plainte, mais la police n’aurait pas trouvé les cambrioleurs car ils étaient masqués.

Vous ajoutez que vous auriez aussi reçu une lettre anonyme de menaces et que cela vous aurait décidé à quitter le pays car vous auriez entendu parler de jeunes gens qu’on aurait tués.

Vous n’auriez jamais été membre d’un parti politique.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Or, je constate que vous éprouvez surtout un sentiment d’insécurité générale plutôt qu’une crainte réelle de persécution. En effet, des personnes masquées ne sauraient constituer des agents de persécution au sens de la Convention de Genève. Je note aussi que, selon vous ces incidents étaient surtout provoqués par la jalousie vis-à-vis d’un entrepreneur qui gagnait bien sa vie. De plus, vous avez porté plainte lors des cambriolages et des agressions dont vous auriez fait l’objet et des enquêtes ont été ouvertes.

Il ne résulte pas non plus de votre dossier qu’il vous aurait été impossible de vous établir dans une autre ville, et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne.

Finalement, le Kosovo, pour des Albanais, ne saurait être considéré comme un territoire dans lequel des risques de persécutions sont à craindre.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le 29 octobre 2003, Monsieur … formula, par le biais de son mandataire, un recours gracieux auprès du ministre de la Justice à l’encontre de cette décision ministérielle.

Par décision du 12 novembre 2003, notifiée le 20 novembre 2003, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale, « à défaut d’éléments pertinents nouveaux ».

Le 22 décembre 2003, Monsieur … a introduit un recours en réformation contre les décisions ministérielles de refus des 23 septembre et 12 novembre 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait Albanais du Kosovo, qu’il aurait travaillé dans une entreprise de construction appartenant à son père et s’approvisionnant en matériel de chantier en Serbie, que le succès de l’entreprise aurait provoqué la « jalousie » des Albanais qui auraient cambriolé à plusieurs reprises ladite entreprise et qui l’auraient frappé, de même que son père, ce qui aurait incité ce dernier à arrêter son commerce. Monsieur … fait ajouter que les plaintes portées devant la KFOR et la police locale n’auraient pas permis de retrouver les cambrioleurs et que suite à de nouvelles intimidations et menaces par une lettre anonyme, il aurait décidé de quitter le Kosovo.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures contentieuse et gracieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, en ce qui concerne la situation au Kosovo, région dont le demandeur est originaire, il convient de relever qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ. En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

Force est de constater que les craintes de persécution exprimées par le demandeur se situent sur le terrain de la criminalité de droit commun et se révèlent insuffisantes pour établir un état de persécution dans son pays d’origine, respectivement sont insuffisantes pour établir que les nouvelles autorités qui sont au pouvoir au Kosovo ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de cette région de l’Etat de Serbie et Monténégro.

En effet, le récit du demandeur traduit tout au plus un sentiment général d’insécurité, sans qu’il n’ait fait état d’une persécution personnelle vécue ou d’une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

A cela s’ajoute que les craintes invoquées en l’espèce se cristallisent exclusivement autour de la localité de Podujevo au Kosovo et que le demandeur, en tant qu’Albanais du Kosovo, ne soumet aucun élément permettant d’établir des raisons pour lesquelles il ne serait pas en mesure de trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de son pays d’origine, et plus particulièrement, dans une autre ville du Kosovo, majoritairement peuplée par des Albanais, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib.

adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 45 et autres références y citées).

Dans ce contexte, le ministre de la Justice ne saurait non plus encourir le reproche d’avoir violé l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, tiré d’un défaut de motivation ou d’une motivation erronée, étant donné que ledit ministre a clairement énoncé dans sa décision initiale que le territoire du Kosovo ne saurait être considéré pour les Albanais comme un territoire dans lequel des risques de persécution sont à craindre, d’autant plus que les raisons mises en avant par le demandeur et qui empêcheraient une fuite interne constituent des considérations purement matérielles et économiques.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, juge et lu à l’audience publique du 10 mai 2004, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17358
Date de la décision : 10/05/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-05-10;17358 ?

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