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10/05/2004 | LUXEMBOURG | N°17337

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 mai 2004, 17337


Tribunal administratif N° 17337 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 décembre 2003 Audience publique du 10 mai 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17337 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 décembre 2003 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxem

bourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo) de nationalité serbo-monténégrine, demeurant a...

Tribunal administratif N° 17337 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 décembre 2003 Audience publique du 10 mai 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17337 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 décembre 2003 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo) de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-… , tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 23 septembre 2003, notifiée le 1er octobre 2003, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 12 novembre 2003, notifiée le 20 novembre 2003, suite à un recours gracieux du 29 octobre 2003 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 mars 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 mai 2004.

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Le 18 juillet 2003, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Monsieur … fut entendu le 14 août 2003 par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 23 septembre 2003, le ministre de la Justice informa Monsieur … de ce que sa demande avait été rejetée au motif qu’il n’alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans son chef.

Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 29 octobre 2003 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre de la Justice prit une décision confirmative le 12 novembre 2003.

Le 18 décembre 2003, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation contre les décisions ministérielles précitées.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Quant au fond, le demandeur fait exposer qu’il aurait fait l’objet de persécutions au Kosovo du fait de son appartenance à la minorité goranaise. Il précise à ce sujet qu’il aurait été lui-même, « respectivement la minorité Goranis » considéré comme collaborateur des Serbes pendant la guerre, et décrit, d’une manière générale, la situation difficile dont souffriraient les minorités ethniques en général et les Goranais en particulier au Kosovo.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la réalité et la gravité des motifs de crainte de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours.

Il relève que ni la situation générale d’un pays, ni la simple appartenance à une minorité ethnique ne justifierait à elle seule l’octroi du statut de réfugié. Il expose encore qu’une crainte de persécutions par les Albanais du Kosovo ne serait pas admissible au sens de la Convention de Genève, étant donné que les Albanais du Kosovo ne sauraient constituer un agent de persécution au sens de cette Convention.

Il expose encore que la situation des minorités au Kosovo, et celle des Goranais de la région de Prizren en particulier, se serait améliorée, la formation d'un gouvernement de coalition sous la direction d'Ibrahim RUGOVA constituant une garantie pour les minorités ethniques. Les minorités bénéficieraient du droit de vote, auraient accès aux soins de santé et aux avantages sociaux, circonstances qui démentiraient la prétendue discrimination de la minorité en question.

Finalement, les anciens Etats ayant formé la fédération de Yougoslavie auraient retrouvé le chemin de la démocratie et auraient réintégré la communauté internationale, en adhérant notamment au Conseil de l’Europe et à la Convention européenne des Droits de l’Homme.

Enfin, il reproche au demandeur de ne pas avoir fait usage des possibilités de fuite interne.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Il résulte en effet des déclarations du demandeur telles que relatées dans le rapport d’audition du 14 août 2003 que celui-ci n’a pas fait l’objet de persécutions spécifiques laissant supposer un danger sérieux pour sa personne. En effet, s’il fait état de manière générale et vague de difficultés avec les Albanais (« concrètement si je vais dans une des villes du Kosovo, comme Prizen ou Pristina, et je parle la langue serbe, il se peut que je me fais tuer ») et de bagarres, il ne relate aucun incident précis laissant supposer un danger sérieux et spécifique pour sa personne, et qui justifierait sa fuite.

Il s’avère de surcroît que sa fuite vers le Luxembourg a été motivée d’une part par un sentiment général d’insécurité (« Un des motif est aussi la liberté de circulation. J’appartiens à la minorité goranaise et je ne parle pas la langue albanaise. Je ne peux pas m’exprimer librement. Partout où je vais au Kosovo, c’est pareil. Il y a toujours des conflits parce qu’on parle la langue serbe »), et d’autre part par la volonté de poursuivre ses études, sinon de permettre à sa future famille de faire des études. Cette raison est en effet répétée à d’itératives reprises par le demandeur au cours de son audition : « Le motif principal est mes études. Au Kosovo on peut suivre les études en langues yougoslave et albanaise jusqu’en fin de l’école moyenne. Il n’y a plus d’enseignement en langue serbe à la faculté. (…) C’est une vrai catastrophe si quelqu’un dans son propre pays n’a pas la possibilité de faire ses études. (…) Définitivement j’ai décidé de quitter le Kosovo après mon deuxième échec de m’inscrire à Belgrade à l’école ».

Concernant la crainte générale exprimée par le demandeur d’actes de persécution à son encontre en raison de son appartenance à la minorité goranaise de la part d’Albanais du Kosovo et d’Albanie, ces derniers étant qualifiés par le demandeur de « voleurs et mafieux », force est de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Goranais, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur risque de subir des persécutions.

Or il résulte de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef, d’autant plus que des Albanais, que ce soient ceux du Kosovo ou ceux d’Albanie, ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de cette même Convention.

En ce qui concerne les raisons avancées par le demandeur relatives aux difficultés, voire à l’impossibilité de poursuivre des études supérieures du fait de problèmes linguistiques et subsidiairement à cause de problèmes administratifs liés au fait que les Serbes ne reconnaissent pas les documents d’identité délivrés par l’UNMIK, force est encore de constater que de pareilles considérations ne correspondent pas à l’un des motifs de fond prévus par la Convention de Genève.

Il s’avère encore que le demandeur aspire à de meilleures conditions de vie en venant au Luxembourg : « je veux assurer à mes prochains qu’ils puissent faire des études. (…) De toute façon pour l’instant il y a la crise économique au Kosovo. Il n’y a pas de travail. (…) ». Interrogé quant aux conséquences éventuelles de son retour au pays, il répond : « Il y aura chaque jour la question de la vie. Il n’y a pas de travail, mais l’insécurité ».

Or, des considérations d’ordre matériel et économique, telles qu’en l’espèce l’espoir de jouir de meilleures conditions de vie, ne constituent pas non plus un motif d’obtention du statut de réfugié.

C’est partant à juste titre que le ministre de la Justice a déclaré la demande d’asile sous analyse comme étant non fondée. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non justifié.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en la forme, au fond, déclare le recours non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 mai 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17337
Date de la décision : 10/05/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-05-10;17337 ?

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