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10/05/2004 | LUXEMBOURG | N°17329

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 mai 2004, 17329


Tribunal administratif N° 17329 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 décembre 2003 Audience publique du 10 mai 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17329 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 décembre 2003 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au

nom de Monsieur …, né le … (Kosovo) de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellemen...

Tribunal administratif N° 17329 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 décembre 2003 Audience publique du 10 mai 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17329 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 décembre 2003 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo) de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-… , tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 13 août 2003, notifiée le 15 septembre 2003, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 28 octobre 2003, notifiée le 13 novembre 2003, suite à un recours gracieux du 15 octobre 2003 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er mars 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 mai 2004.

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Le 4 février 2003, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Monsieur … fut entendu le 26 février 2003 par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 13 août 2003, le ministre de la Justice informa Monsieur … de ce que sa demande avait été rejetée au motif qu’il n’alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raisons d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans son chef.

Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 15 octobre 2003 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre de la Justice prit une décision confirmative le 28 octobre 2003.

Le 17 décembre 2003, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation contre les décisions ministérielles précitées.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Quant au fond, le demandeur fait exposer qu’il aurait fait l’objet de persécutions au Kosovo du fait de son appartenance à la minorité bochniaque. Il précise à ce sujet qu’il aurait été, du fait de son origine, une « victime désignée » pour la population albanaise majoritaire au Kosovo et décrit, d’une manière générale, la situation difficile dont souffriraient les Bochniaques au Kosovo.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la réalité et la gravité des motifs de crainte de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours.

Il relève que ni la situation générale d’un pays, ni la simple appartenance à une minorité ethnique ne justifierait à elle seule l’octroi du statut de réfugié. Il expose encore qu’une crainte de persécutions par les Albanais du Kosovo ne serait pas admissible au sens de la Convention de Genève, étant donné que les Albanais du Kosovo ne sauraient constituer un agent de persécution au sens de cette Convention.

Il expose encore que la situation des minorités au Kosovo se serait améliorée, la formation d'un gouvernement de coalition sous la direction d'Ibrahim RUGOVA constituant une garantie pour les minorités ethniques. Les Bochniaques bénéficieraient du droit de vote, auraient accès aux soins de santé et aux avantages sociaux, circonstances qui démentiraient la prétendue discrimination de la minorité en question. Finalement, les anciens Etats ayant formé la fédération de Yougoslavie auraient retrouvé le chemin de la démocratie et auraient réintégré la communauté internationale, en adhérant notamment au Conseil de l’Europe et à la Convention européenne des Droits de l’Homme.

Enfin, il reproche au demandeur de ne pas avoir fait usage des possibilités de fuite interne.

Le demandeur conteste l’appréciation de la situation au Kosovo faite par le délégué du Gouvernement, et renvoie, en termes de plaidoiries, à une récente version, datant de mars 2004, du rapport de l’UNHCR sur la situation des minorités au Kosovo.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Concernant la crainte générale exprimée par le demandeur d’actes de persécution de la part d’Albanais du Kosovo à son encontre en raison de son appartenance à la minorité bochniaque, force est de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Bochniaques, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur risque de subir des persécutions.

Les persécutions dont fait état le demandeur, émanant de certains éléments de la population albanaise, proviennent de tiers et non pas de l’Etat, de sorte qu’il appartient de surcroît au demandeur de mettre suffisamment en évidence un défaut de protection de la part des autorités.

Or les autorités, qui comprennent non seulement une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, mais encore une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, loin de se cantonner dans une attitude passive, ont mis en place des structures destinées à protéger la sécurité physique de la population. La notion de protection de la part du pays d'origine n'implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d'une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d'un acte criminel, mais seulement dans l'hypothèse où des agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d'offrir une protection appropriée.

Le demandeur n’a cependant pas démontré que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient ni disposées ni capables de lui assurer un niveau de protection suffisant, étant entendu qu’il n’a pas fait état d’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités en place. Bien au contraire, il ressort du rapport d’audition de Monsieur … que celui-ci n’a entrepris aucune démarche auprès des autorités pour tenter d’obtenir leur protection à l’encontre des Albanais, estimant d’office que toute tentative en ce sens serait vaine : « Comment voulez-vous qu’on se plaint si c’est eux qui sont au pouvoir. Pour moi la situation sera encore pire. C’est pour cela que je ne suis jamais allé me plaindre ».

Pour le surplus, il résulte des déclarations du demandeur telles que relatées dans le rapport d’audition du 26 février 2003 que celui-ci n’a pas fait l’objet de persécutions spécifiques laissant supposer un danger sérieux pour sa personne. En effet, s’il fait état de manière générale et vague de bagarres, de disputes et d’insultes émanant d’Albanais, il ne relate aucun incident précis laissant supposer un danger sérieux et spécifique pour sa personne, et qui justifierait sa fuite.

Il s’avère dès lors à l’examen des déclarations faites par le demandeur que sa fuite vers le Luxembourg a été motivée par un sentiment général d’insécurité, mais non par des actes concrets laissant supposer un danger sérieux pour sa personne. Interrogé quant aux raisons ayant justifié son départ, le demandeur explique en effet : « Parce que je ne peux plus vivre là-bas. J’ai subi de mauvais traitements par les Albanais (…) Je ne peux plus commencer une vie là-bas. Les Albanais ne me laissent pas tranquille. Ce n’est plus comme avant. On est une minorité là-bas.

Actuellement on n’a plus aucun droit là-bas ». Il précise de surcroît avoir décidé de quitter le Kosovo « tout de suite après la guerre, quand ces problèmes ont commencé ». Le tribunal constate à ce sujet que le demandeur a déjà déposé deux demandes d’asile infructueuses aux Pays-Bas (13 mai 2001 et 9 janvier 2002), ainsi qu’une demande au Danemark (6 juin 2001).

Questionné quant aux conséquences éventuelles de son retour au pays, il répond : « Je ne le sais pas vraiment, mais je ne le veux pas. C’est pour cela. » Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef.

Cette conclusion n’est pas énervée par les moyens développés oralement par le mandataire du demandeur et relatifs à la situation actuelle au Kosovo. En effet, comme relevé ci-

avant, une situation généralement difficile subie de manière générale par une minorité du Kosovo n’est pas suffisante pour caractériser à elle seule une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, dès lors que le demandeur n’établit pas un danger direct et spécifique pour sa personne et sa situation particulière. Il y a par ailleurs lieu de relever dans ce contexte qu’un refus de reconnaissance du statut de réfugié n’implique pas nécessairement et automatiquement l’éloignement du demandeur du territoire luxembourgeois et son retour au Kosovo.

Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en la forme, au fond, déclare le recours non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 mai 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17329
Date de la décision : 10/05/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-05-10;17329 ?

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