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10/05/2004 | LUXEMBOURG | N°17327

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 mai 2004, 17327


Tribunal administratif N° 17327 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 décembre 2003 Audience publique du 10 mai 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17327 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 décembre 2003 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au

nom de Monsieur …, né le … (Albanie) de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-… ...

Tribunal administratif N° 17327 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 décembre 2003 Audience publique du 10 mai 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17327 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 décembre 2003 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Albanie) de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-… , tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 4 septembre 2003, notifiée le 11 septembre 2003, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 28 octobre 2003, notifiée le 13 novembre 2003, suite à un recours gracieux du 29 septembre 2003 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 mars 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 mai 2004.

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Le 10 septembre 2002, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Monsieur …fut entendu le 18 septembre 2002 par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 4 septembre 2003, le ministre de la Justice informa Monsieur … de ce que sa demande avait été rejetée au motif qu’il n’alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raisons d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans son chef.

Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 29 septembre 2003 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre de la Justice prit une décision confirmative le 28 octobre 2003.

Le 17 décembre 2003, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation contre les décisions ministérielles précitées.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Quant au fond, le demandeur fait exposer qu’il aurait fait l’objet de persécutions en Albanie du fait de son activité politique. Il précise à ce sujet qu’il aurait été victime d’une tentative d’homicide à l’occasion d’une réunion politique organisée en juin 2001.

Monsieur … fait encore plaider que suite à cette agression il aurait été contraint de vivre dans la clandestinité.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la réalité et la gravité des motifs de crainte de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours.

Il reproche au demandeur de ne pas préciser de quelle manière et par qui il aurait été menacé ; il relève encore que le demandeur n’aurait fait état d’aucune menace ou persécution pendant l’année précédant sa fuite au Luxembourg.

Il en déduit que le demandeur n’aurait apporté aucune preuve qu’il risquerait actuellement, individuellement et concrètement, de subir des traitements discriminatoires du fait de son appartenance ethnique, religieuse ou politique.

Il expose par ailleurs que la situation en Albanie se serait améliorée depuis 1999, notamment du fait des efforts déployés par la police albanaise pour y combattre la criminalité.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Il résulte en effet du rapport d’audition de Monsieur …, qu’à part des pressions et menaces non autrement circonstanciées et précisées, il ne fait état que d’un seul incident, survenu à la mi-juin 2001, au cours duquel il aurait été blessé par le tir d’une arme à feu. Monsieur … expose à ce sujet qu’en juin 2001 il se serait rendu avec son oncle à une réunion politique, où son oncle aurait été poignardé dans le dos et où lui-même aurait reçu une balle « dans les fesses ».

Le tribunal constate que cette agression n’est établie par aucune pièce, alors qu’il aurait pourtant dû être aisé d’en établir la réalité, ne serait-ce que par le biais d’une attestation médicale, en particulier au vu de l’affirmation du demandeur que la balle n’aurait pas été extirpée de son corps (« La balle est toujours dedans, elle n’a pas encore été sortie »). Le tribunal estime encore que l’agression telle que relatée par Monsieur … est peu crédible, étant donné que le demandeur affirme que sa blessure n’aurait pas été grave et qu’à part des antibiotiques, il n’aurait fait l’objet d’aucun soin, ce qui, pour une blessure par balle, paraît douteux.

Sous cette réserve, à supposer que l’agression se soit effectivement produite telle que relatée, force est de constater que le demandeur n’a pas identifié le ou les agresseurs, et qu’il ne saurait prétendre avec certitude avoir été spécifiquement visé par cette agression. Il ne semble d’ailleurs guère crédible que le requérant, âgé de 21 ans au moment des faits, ait revêtu une importance politique qui aurait justifiée son élimination physique, de surcroît commanditée, ainsi que le prétend le demandeur, par l’actuel premier ministre d’Albanie, Monsieur Fatos NANO.

Le demandeur ne rapporte d’ailleurs à ce sujet aucun élément attestant qu’il aurait exercé une activité politique particulière, Monsieur … déclarant lui-même n’avoir été qu’un simple membre du parti politique SDA, auquel il aurait adhéré seulement un an avant l’agression évoquée.

Il y a lieu de relever à ce sujet que les documents rédigés en langue albanaise versés par le demandeur sans la moindre traduction ne sauraient être pris en considération par le tribunal.

Enfin, même à supposer que le demandeur ait effectivement fait l’objet de l’agression relatée, il n’est aucunement établi qu’un tel acte, perpétré par des personnes non identifiées, émanerait des autorités du pays, ou serait encouragé ou seulement toléré par ces mêmes autorités, le demandeur restant en défaut d’établir avoir personnellement et concrètement recherché, en vain, la protection des autorités Il est encore constant en cause qu’à partir de juin 2001, Monsieur … n’a subi ni persécution, ni même menace jusqu’à son départ pour le Luxembourg en septembre 2002.

L’explication selon laquelle il aurait vécu pendant plus d’un an en semi-clandestinité, non autrement précisée et circonstanciée, n’est guère satisfaisante.

Il résulte de ce qui précède que la déclaration et le récit du demandeur n’emportent pas la conviction du tribunal quant aux persécutions ou craintes de persécution alléguées, de sorte que le ministre a valablement pu retenir que le demandeur n’a pas fait état, de façon crédible, de persécutions vécues ou de craintes au sens de la Convention de Genève susceptibles de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef.

Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en la forme, au fond, déclare le recours non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 mai 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17327
Date de la décision : 10/05/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-05-10;17327 ?

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