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10/05/2004 | LUXEMBOURG | N°17326

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 mai 2004, 17326


Tribunal administratif N° 17326 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 décembre 2003 Audience publique du 10 mai 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17326 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 décembre 2003 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M.

…, né le … à Podgorica (Monténégro/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, de...

Tribunal administratif N° 17326 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 décembre 2003 Audience publique du 10 mai 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17326 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 décembre 2003 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Podgorica (Monténégro/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 7 août 2003, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, telle que cette décision a été confirmée par ledit ministre le 28 octobre 2003, suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 mars 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 26 mars 2003, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, M. … fut entendu par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Il fut encore entendu le 8 avril 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 7 août 2003, notifiée en mains propres le 8 septembre 2003, le ministre de la Justice l’informa que sa demande d’asile avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté le Monténégro le 24 mars 2003 pour aller en Italie par bateau. Ensuite, vous auriez pris place dans une voiture pour venir au Luxembourg.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 26 mars 2003.

Vous exposez que vous auriez fait quatre mois de service militaire en 1992/1993 en Serbie. Votre frère … aurait été assassiné le 27 février 1993 et cela vous aurait incité à déserter. La police vous aurait retrouvé et vous auriez été condamné à huit mois de prison avec sursis. Vous vous dites néanmoins encore recherché.

Vous n’auriez été membre d’aucun parti, bien que des membres du parti DPS auraient essayé de vous faire entrer de force dans ce parti.

En 1997, votre frère Djevat se serait fait poignarder en Grèce par un homme ivre, un certain GAROVIC, qui serait encore actuellement en détention préventive près de Podgorica.

Vous prétendez qu’un jugement sera bientôt prononcé mais que le meurtrier sera sûrement acquitté car le juge est un ami de l’avocat de GAROVIC. Vous affirmez aussi avoir reçu des menaces de la famille de GAROVIC. Les plaintes que vous auriez déposées suite à ces menaces n’auraient pas été suivies d’effets. Vous précisez que GAROVIC et sa famille terrorisent tout le monde, y compris la police.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

En ce qui concerne le fait que vous seriez encore recherché par la police militaire, il est peu crédible d’autant plus que les Accords de Dayton ont prévu une amnistie générale pour les réfractaires.

En ce qui concerne vos démêlés avec GAROVIC et sa famille, ils restent à l’état de pure allégation. De toutes façons, une bagarre dans un café qui dégénère en assassinat est un crime de droit commun. Votre supposition que GAROVIC serait acquitté ne repose sur rien de concret. Les menaces dont vous faites état constituent également des délits de droit commun dont rien ne prouve la moindre connotation raciste ou religieuse.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Or, rien dans vos dires ne répond aux critères de fond définis par la Convention de Genève.

De plus, le 15 mars 2002, un accord serbo-monténégrin a été signé par les présidents Kostunica et Djukanovic, prévoyant l’adoption d’une nouvelle Constitution et l’organisation d’élections permettant de donner plus d’autonomie au Monténégro. La République Fédérale de Yougoslavie a cessé d’exister pour être remplacée par un Etat de Serbie et Monténégro. La nouvelle Constitution a été élaborée en février 2003, des élections démocratiques ont eu lieu le 25 février 2003 et le nouveau Président a été élu par le Parlement le 7 mars 2003. A ce jour, le Monténégro n’est plus à considérer comme un territoire dans lequel des risques de persécutions sont à craindre.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est donc refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux introduit par lettre de son mandataire en date du 8 octobre 2003 et une décision confirmative de son refus initial prise par le ministre de la Justice le 28 octobre 2003, M. …, par requête déposée le 17 décembre 2003, a fait introduire un recours tendant à la réformation des deux décisions prévisées du ministre de la Justice des 7 août et 28 octobre 2003.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises. Le recours ayant également été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur d’appréciation en refusant sa demande d’asile. Dans ce contexte, il soutient qu’il remplirait les conditions pour être admis au statut de réfugié, au motif qu’il risquerait d’être maltraité voire même tué par un dénommé GAROVIC, qui aurait tué son frère à Athènes et qui serait actuellement en détention préventive au Monténégro, mais qui, « en raison de ses bonnes relations », aurait de fortes chances de ne pas être sanctionné et d’être remis en liberté et que les forces de l’ordre ne seraient pas en mesure de le protéger efficacement contre des exactions à son encontre.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que les déclarations du demandeur restent à l’état de simples allégations non confortées par un quelconque élément de preuve tangible. Ainsi, il ne ressort d’aucun élément du dossier administratif que M. … risquait ou risque, individuellement et concrètement, de subir des persécutions au sens de la Convention de Genève. - Les craintes exprimées par lui s’analysent au contraire essentiellement en un sentiment général d’insécurité qui, à lui seul ne saurait justifier une crainte justifiée de persécution.

Dans ce contexte, il convient d’ajouter que même s’il devait être vrai que le demandeur a reçu des menaces de la part du dénommé GAROVIC ou de membres de sa famille, ces personnes ne sauraient être qualifiées d’agents de persécution au sens de la Convention de Genève, leur motivation étant exempte de considérations politiques, religieuses, ethniques ou raciales et leurs actes s’insérant essentiellement dans un cadre de criminalité de droit commun, sans qu’il ne soit établi à suffisance de droit en cause que les autorités chargées d’assurer la sécurité publique ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de la Serbie-Monténégro.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 10 mai 2004, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17326
Date de la décision : 10/05/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-05-10;17326 ?

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