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10/05/2004 | LUXEMBOURG | N°17324

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 mai 2004, 17324


Tribunal administratif N° 17324 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 décembre 2003 Audience publique du 10 mai 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17324 du rôle, déposée le 17 décembre 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M

. …, né le … à Sibenik (Croatie), de nationalité croate, demeurant actuellement à L-…, tendant principale...

Tribunal administratif N° 17324 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 décembre 2003 Audience publique du 10 mai 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17324 du rôle, déposée le 17 décembre 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Sibenik (Croatie), de nationalité croate, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 11 novembre 2003, notifiée le 19 du même mois, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 mars 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 19 mars 2004 en nom et pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Stéphanie JACQUET, en remplacement de Maître François MOYSE, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 5 juin 2003, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 M. … fut entendu le 6 juin 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 11 novembre 2003, notifiée le 19 du même mois, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté la Croatie le 3 juin 2003 pour aller d’abord en Slovénie. De là, vous auriez pris place dans une camionnette qui vous a conduit au Luxembourg, via la France.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié au Luxembourg le 5 juin 2003.

Vous exposez que vous avez fait votre service militaire en 1981/1982 en Serbie ainsi que deux réserves.

Vous n’étiez pas membre d’un parti politique.

Vous expliquez que, pour obtenir le moindre papier officiel, vous devriez le réclamer quinze fois. Vous ajoutez que, lors du décès de votre père, des policiers seraient passés chez vous sans raison et qu’ils auraient dit, parlant de lui : « Ah. Il y en a un de moins ! ». Un jour, vous auriez été traité de « tchetnik » par un Croate et frappé sans que la police n’intervienne immédiatement.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Je constate que les faits que vous invoquez, notamment les lenteurs administratives ne sont pas l’apanage de la Croatie. Quant à la visite de la police au décès de votre père, elle ne saurait constituer un harcèlement, mais fait partie de la routine policière, même si on peut considérer que l’exclamation « Il y en a un de moins ! » est déplacée en ces circonstances.

Quant au fait d’avoir été frappé par un Croate, il ne saurait non plus constituer une persécution au sens de la prédite Convention.

Il résulte de vos dires que vous éprouvez surtout un sentiment général d’insécurité qui ne saurait fonder une persécution au sens de la Convention de Genève. Le Croate qui vous aurait agressé ne constitue pas non plus un agent de persécution au sens de la prédite Convention.

2 Votre demande en obtention du statut de réfugié est donc refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par requête déposée le 17 décembre 2003, M. … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du ministre de la Justice du 11 novembre 2003.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée. Le recours en réformation formulé en ordre principal ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable sous ce rapport. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

A l’appui de son recours, le demandeur soutient qu’il remplirait les conditions pour être admis au statut de réfugié et que le ministre de la Justice aurait commis une mauvaise appréciation tant des conditions prévues par la Convention de Genève que de sa situation personnelle. Dans ce contexte, il expose qu’il aurait été contraint de fuir son village d’origine et la Croatie en raison des discriminations et persécutions qu’il aurait subi en raison du fait qu’il appartient à la communauté serbe de Croatie. Ainsi, à l’occasion de la mort de son père, la police croate serait venue à son domicile pour proférer des paroles discriminatoires dans le but de le provoquer et parce qu’en 2001, à l’occasion d’une « manifestation civile » et sous les yeux de la police locale, il aurait été attaqué par des Croates sans que la police ne soit immédiatement intervenue, étant précisé que par après c’est lui qui aurait été emmené au poste de police et qu’il y aurait été maltraité.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

3 La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que les déclarations du demandeur restent à l’état de simples allégations non confortées par un quelconque élément de preuve tangible et que le seul récit du demandeur est insuffisant pour établir un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, respectivement est insuffisant pour établir que les autorités qui sont actuellement au pouvoir en Croatie ne sont pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de ce pays ou tolèrent voire encouragent des agressions à l’encontre des membres de la communauté serbe de Croatie. En ce qui concerne les prétendues exactions commises à son encontre par des membres de la police de son village, même à les admettre, elles sont certes répréhensibles, mais, se situant deux années avant le départ du demandeur, elles seules sont insuffisantes pour établir une attitude générale de refus de protection des autorités compétentes, de manière qu’il se verrait empêché de solliciter une protection adéquate auprès d’autres agents revêtant une position hiérarchiquement supérieure.

Il se dégage au contraire du rapport d’audition du demandeur du 6 juin 2003 que c’est essentiellement un sentiment général d’insécurité qui l’a poussé à quitter son village d’origine.

Enfin, même à admettre que le demandeur ait rencontré des problèmes dans son village, le caractère local de ces problèmes est apparent et le demandeur reste en défaut d’établir qu’il ne peut trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre ville de Croatie, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

4 reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 10 mai 2004, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17324
Date de la décision : 10/05/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-05-10;17324 ?

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