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05/05/2004 | LUXEMBOURG | N°16797

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 mai 2004, 16797


Numéro 16797 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 juillet 2003 Audience publique du 5 mai 2004 Recours formé par les époux … et …, … contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16797 du rôle, déposée le 30 juillet 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Romain LUTGEN, av

ocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …...

Numéro 16797 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 juillet 2003 Audience publique du 5 mai 2004 Recours formé par les époux … et …, … contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16797 du rôle, déposée le 30 juillet 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Romain LUTGEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, ingénieur diplômé, et de son épouse, Madame …, institutrice, demeurant ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 30 avril 2003 (n° du rôle C 10845) rejetant comme non fondée la réclamation de Monsieur … à l’encontre du bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année 1999 émis à leur égard le 3 novembre 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 février 2004;

Vu l’acte de désistement d’instance déposé le 16 mars 2004 par Maître Romain LUTGEN au nom de Madame …;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Romain LUTGEN et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Marie KLEIN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 mars 2004.

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Dans le cadre de leur déclaration pour l’impôt sur le revenu de l’année 1999, les époux … et …, préqualifiés, sollicitèrent la déduction d’un montant de 943.000 LUF en tant que charges extraordinaires constituées par les frais d’études de leurs deux enfants qui accomplissaient à cette époque simultanément des études dans deux pays différents.

Par lettre du 16 mai 2000, le bureau d’imposition Esch I de la section personnes physiques du service d’imposition de l’administration des Contributions directes informa les époux …-… de ce qu’il envisagerait de s’écarter de leur déclaration pour l’année 1999 en ce qu’il dénierait le caractère extraordinaire aux frais d’études par eux invoqués.

Monsieur … affirma, par courrier du 21 mai 2000 à l’adresse du bureau d'imposition Esch I, qu’il ne pourrait pas accepter cette position et il soumit une argumentation pour conclure au caractère extraordinaire et inévitable des frais d’études litigieux qui réduiraient également considérablement sa capacité contributive.

Par bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année 1999 du 3 novembre 2000, le bureau d'imposition Esch I fixa à l’égard des époux …-… une cote d’impôt sur le revenu du chef de cette année qui ne tint pas compte de la déduction des frais d’études par eux avancés.

Ce même bulletin comporte la remarque que l’imposition diffère de la déclaration en ce sens que « l’imposition a été effectuée sans prise en considération des frais d’études sub charges extraordinaires ».

Par courrier du 12 novembre 2000 à l’adresse du bureau d'imposition Esch I, Monsieur … introduisit une réclamation à l’encontre de ce bulletin d’impôt du 3 novembre 2000.

Le directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « directeur », rejeta cette réclamation par décision du 30 avril 2003 (n° du rôle C 10845) aux motifs suivants :

« Considérant que la réclamation a été introduite par qui de droit dans les formes et délai de la loi, qu’elle est partant recevable ;

Considérant que le réclamant fait grief au bureau d’imposition d’avoir refusé un abattement de revenu imposable du fait des frais d’études de deux enfants ;

Considérant qu’en vertu du § 243 AO, une réclamation régulièrement introduite déclenche d’office un réexamen intégral de la cause, la loi d’impôt étant d’ordre public ;

Qu’à cet égard le contrôle de la légalité externe de l’acte doit précéder celui du bien-fondé, qu’en l’espèce la forme suivie par le bureau d’imposition ne prête pas à critique ;

Considérant que l’article 12, alinéa 1er LIR dispose que ne sont déductibles ni dans les différentes catégories de revenus ni du total des revenus nets : « les dépenses effectuées dans l’intérêt du ménage du contribuable et pour l’entretien des membres de sa famille, » dont les frais de scolarité et d’études, ces frais constituant des dépenses privées (cf. : doc. parl. 571-4, p. 14) ;

Considérant qu’aux termes de l’article 127, alinéa 1er LIR le contribuable obtient sur demande un abattement de revenu imposable du fait de charges extraordinaires qui sont inévitables et qui réduisent d’une façon considérable sa faculté contributive ;

Qu’une charge est réputée extraordinaire lorsqu’elle n’incombe pas à une majorité de contribuables se trouvant dans une condition analogue quant à la situation familiale et quant à l’importance des revenus et de la fortune (art. 127, al. 2), que cette définition élimine toutes charges qui ne sont pas extraordinaires par leur nature, lors même qu’importantes par leur montant ;

Qu’une charge est inévitable lorsque le contribuable ne peut s’y soustraire pour des raisons matérielles, juridiques ou morales (art. 127, al. 3) ;

Considérant en principe que l’importance de la dépense ne saurait décider du caractère d’une charge ;

Considérant que la volonté d’obtenir des diplômes universitaires ne résulte ni en général ni en l’espèce d’une obligation inévitable, que pareille obligation n’existe pas en ce qui concerne les études universitaires (doc. parl. cit., p. 270) ;

Qu’il est d’ailleurs établi, partant, non extraordinaire, que de nombreux étudiants luxembourgeois poursuivent année pour année leurs études universitaires à l’étranger ;

Considérant à ce titre, d’une part, que les obligations qu’un contribuable s’impose à lui-

même et qui résultent donc de son libre choix ne sauraient être visées par les dispositions de l’article 127 précitées, d’autre part, que les frais pour entretien et études d’enfants sont couverts, d’une manière générale, par l’attribution de la modération d’impôt pour enfants conformément à l’art. 123 LIR (cf. doc. parl. cit., p. 269) et ne donnent pas lieu à l’octroi d’un abattement du chef de charges extraordinaires ;

Considérant que les charges litigieuses seraient susceptibles d’incomber normalement aux contribuables se trouvant dans une condition analogue quant à la situation familiale et quant à l’importance des revenus et de la fortune, (cf. Tribunal administratif : 28.10.1999, n° 10583 du rôle) et que l’art. 127 LIR ne peut être invoqué pour les dépenses en rapport avec des études universitaires (v. ma circulaire LIR 127/1 du 22.05.2000) ;

Considérant qu’il ne suffit pas, d’après les termes de l’article 127 précités, que les charges soient extraordinaires, mais qu’il faut encore qu’elles soient inévitables, c’est-à-dire que la situation les ayant engendrées soit provoquée par une contrainte ou nécessité extérieure, donc indépendante, du contribuable de façon qu’il ne puisse s’y soustraire ;

Que ces conditions ne sont toutefois pas remplies à l’endroit des frais d’études déclarés, la libre volonté de les entamer ayant été prédominante ;

Considérant qu’il résulte des développements qui précèdent que les charges litigieuses incombent normalement à la majorité des contribuables se trouvant dans une condition analogue quant à la situation familiale et quant à l’importance des revenus et de la fortune (cf. Trib. adm. cit.), et que les al. 2 et 3 précités de l’art. 127 LIR s’opposent à la reconnaissance des frais invoqués en tant que charges fiscalement déductibles ;

Que les trois conditions cumulatives à remplir simultanément par un contribuable en vue de bénéficier de l’art. 127 LIR ne sont pas remplies en l’espèce ;

Que c’est donc par une juste application des dispositions légales que le bureau d’imposition a refusé un abattement de revenu imposable du fait de frais d’études ;

Considérant que pour le surplus, l’imposition est conforme à la loi et aux faits de la cause et n’est d’ailleurs pas contestée » A l’encontre de cette décision directoriale de rejet, les époux …-… ont fait introduire un recours en réformation par requête déposée le 30 juillet 2003.

Il y a lieu de donner préliminairement acte à Madame … de son désistement de la présente instance.

Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », et de l’article 8 (3) 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif, le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation contre un bulletin d’impôt sur le revenu. Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en réformation, lequel est encore recevable dans le chef de Monsieur … pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

En présence des dispositions de l’article 5 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, dont l’alinéa (1) confère au délégué du gouvernement un délai de trois mois pour fournir sa réponse à la requête introductive et dont l’alinéa (5) dispose que ce délai est prévu à peine de forclusion, le tribunal est amené à vérifier d’office si le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé le 18 février 2004 répond aux exigences de délai ainsi posées, les dispositions prévisées étant à considérer comme étant d’ordre public en tant que touchant à l’organisation juridictionnelle (cf. trib. adm. 14 février 2001, n° 11607, Pas. adm. 2003, v° Procédure contentieuse, n° 305).

La requête introductive de la présente instance ayant été déposée le 30 juillet 2003, le délai pour le dépôt du mémoire en réponse a commencé à courir, compte tenu de la suspension prévue par l’article 4 (6) de la prédite loi du 21 juin 1999, le 16 septembre 2003 pour expirer le 16 décembre 2003. Il s’ensuit qu’à défaut de prorogation du délai accordée par voie d’ordonnance, le mémoire en réponse a été déposé tardivement et doit être écarté.

Le demandeur estime que les trois conditions cumulatives pour une déduction des frais d’études comme charges extraordinaires, à savoir leur caractère extraordinaire et inévitable ainsi que la réduction considérable de la capacité contributive, se trouveraient réunies en l’espèce.

Quant à la réduction de sa capacité contributive, il fait valoir que l’importance relative des frais d’études par rapport au revenu total de son ménage devrait être prise en considération et n’aurait pas été expressément reniée par la décision directoriale déférée.

Relativement au caractère inévitable des frais d’études, le demandeur expose qu’il ne pourrait pas se soustraire juridiquement, en raison de l’obligation alimentaire à sa charge, au financement des études sérieuses accomplies par ses enfants et que même « au cas où le code civil ne réserverait aucun moyen aux enfants d’obliger leurs parents à les secourir dans leurs études, il demeurerait une très forte obligation morale à laquelle un père et une mère dignes de cette appellation ne sauraient se dérober ». La décision directoriale verserait ainsi dans l’erreur en retenant qu’une telle obligation résulterait du libre choix du contribuable.

Quant au caractère extraordinaire, le demandeur soutient que la loi ne définirait pas les charges à prendre en considération, de manière qu’elles pourraient être de toute nature, hormis celles dont la loi réglementerait la prise en compte par d’autres dispositions. Il admet qu’en principe, toute personne élevant ses enfants devrait les éduquer et subvenir à leurs besoins, entraînant que ces frais n’auraient à première vue rien d’extraordinaire. Il fait néanmoins valoir que les études supérieures seraient entamées par des enfants déjà adultes « dont les décisions échappent très largement à leurs parents en fait et encore davantage en droit », ces derniers étant ainsi obligés de suivre les choix d’études de leurs enfants. Si les frais d’études constituent certes des dépenses privées pour l’entretien de membres de la famille, les charges qui en découlent pourraient accuser des différences très importantes selon la nature des études, de sorte que la charge supportée par certains parents d’étudiants – surtout lorsque deux ou plusieurs enfants suivent parallèlement des études – les mettrait dans une situation différente de celles de la majorité des contribuables. Le demandeur estime que, s’il est vrai que les charges d’entretien des enfants sont prises en compte à travers l’attribution d’une certaine classe d’impôt, la modération d’impôt afférente n’exclurait le bénéfice complémentaire d’une déduction pour charges extraordinaires que dans la mesure où les dépenses y relatives ne dépasseraient pas les normes usuelles, ainsi que l’administration des Contributions l’admettrait elle-même, tandis que des charges allant au-

delà de ces normes devraient être considérées comme charges extraordinaires.

L’article 127, alinéa 1er de la loi du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, en abrégé « LIR », pose le principe que le contribuable obtient, sur demande, un abattement de revenu imposable du fait de charges « extraordinaires » qui sont « inévitables » et qui « réduisent d’une façon considérable sa faculté contributive ». Les alinéas 2, 3 et 4 de l’article 127 LIR précisent les conditions suivant lesquelles les charges sont à considérer comme extraordinaires (alinéa 2) et inévitables (alinéa 3) et quand elles réduisent d’une façon considérable la faculté contributive du contribuable (alinéa 4).

Pour qu’un contribuable puisse faire valoir l’abattement, la charge par lui avancée doit répondre cumulativement aux trois conditions de fond posées par l’article 127, alinéa 1er LIR.

Il appartient dès lors au tribunal de vérifier si les dites conditions sont remplies en l’espèce.

Concernant le caractère extraordinaire d’une charge, l’article 127, alinéa 2 LIR dispose que « le contribuable est censé avoir des charges extraordinaires lorsqu’il a des obligations qui n’incombent normalement pas à la majorité des contribuables se trouvant dans une situation analogue quant à la situation familiale et quant à l’importance des revenus et de la fortune. Ne sont toutefois pas à prendre en considération les charges et dépenses déductibles à titre de dépenses d’exploitation, de frais d’obtention ou de dépenses spéciales ».

La situation à la base du recours sous examen est celle d’un couple qui doit engager des dépenses afin de permettre à ses deux enfants de suivre simultanément et parallèlement des études universitaires dans deux pays différents. Ces frais revêtent a priori un caractère ordinaire dans la mesure où ils incombent à tous les parents qui ont un ou des enfants accomplissant des études post-secondaires. Par voie de conséquence, il appartient au tribunal de vérifier si la situation spécifique des époux …-… se distingue de la situation de la majorité des contribuables ayant également à charge des enfants poursuivant des études universitaires à l’étranger d’une telle manière que les dits frais prennent une envergure excessive par rapport aux revenus du couple et revêtent ainsi un caractère extraordinaire.

Il ressort des éléments du dossier que le demandeur et son épouse s’adonnaient à une activité salariée et que pour l’année 1999, le revenu imposable ajusté de leur ménage s’est élevé à 6.180.313 francs luxembourgeois et le revenu effectivement disponible après déduction de la cote d’impôt sur le revenu à quelques 4 millions de francs. Au vu de ce revenu disponible rémanent et en l’absence d’autres charges non fiscalement déductibles invoquées par le demandeur, le montant avancé de frais d’études avoisinant un million de francs ne peut pas être considéré comme affectant d’une manière excessive la capacité contributive du couple …-…, de manière que ces derniers ne peuvent pas être considérés comme s’étant trouvé pour l’année 1999 dans une situation différente de celle de la majorité des contribuables. Partant, les frais d’études en cause ne peuvent pas être qualifiés d’extraordinaires.

Etant donné que la première des trois conditions de fond posées par l’article 127, alinéa 1er LIR laisse d’être vérifiée dans le chef des frais d’études litigieux, ceux-ci ne sauraient être déduits du revenu imposable en qualité de charges extraordinaires pour l’année 1999, de sorte que c’est à juste titre que le directeur a rejeté la réclamation afférente du demandeur et que le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, donne acte à Madame … de son désistement d’instance, écarte le mémoire en réponse du délégué du gouvernement, reçoit le recours en réformation en la forme dans le chef de Monsieur …, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, M. SPIELMANN, juge, et lu à l’audience publique du 5 mai 2004 par le vice-président en présence de M.

LEGILLE, greffier.

LEGILLE CAMPILL 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16797
Date de la décision : 05/05/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-05-05;16797 ?

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