La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/04/2004 | LUXEMBOURG | N°17947

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 avril 2004, 17947


Tribunal administratif N° 17947 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 avril 2004 Audience publique du 29 avril 2004

==============================

Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre de la Justice en matière de rétention administrative

-----------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17947 du rôle, déposée le 22 avril 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Or

dre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à El Haarachi (Algérie), de nationalit...

Tribunal administratif N° 17947 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 avril 2004 Audience publique du 29 avril 2004

==============================

Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre de la Justice en matière de rétention administrative

-----------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17947 du rôle, déposée le 22 avril 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à El Haarachi (Algérie), de nationalité algérienne, ayant été placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 19 avril 2004 ordonnant la prorogation de son placement au dit Centre de séjour provisoire pour une nouvelle durée d’un mois;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 avril 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH en ses plaidoiries à l’audience publique du 29 avril 2004.

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Il ressort d’un procès-verbal du 19 mars 2004, référencé sous le numéro 50517, de la police grand-ducale, circonscription régionale de Luxembourg, service Groupe Gare, que Monsieur … fut interpellé le même jour sans être en possession des papiers de légitimation prescrits.

Par arrêté ministériel du 19 mars 2004, Monsieur … fut placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, ci-après dénommé « Centre de séjour provisoire », pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question dans l’attente de son éloignement du territoire luxembourgeois.

La décision de placement fut fondée sur les considérations et motifs suivants :

« Considérant que l’intéressé a été intercepté par la Police Grand-Ducale en date du 19 mars [2004] ;

Considérant que le Parquet a ordonné une mesure de rétention en date du 19 mars [2004] ;

Considérant que l’intéressé est démuni de toute pièce d’identité et de voyage valable ;

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels ;

- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

Considérant qu’en attendant le résultat des recherches quant à l’identité et à la situation de l’intéressé, l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ».

Les investigations entreprises par les autorités luxembourgeoises ayant dégagé que Monsieur … a présenté une demande d’asile le 27 janvier 2003 à Bruxelles et le 13 mai 2003 à Trèves, les autorités luxembourgeoises, sur formulaire uniforme envoyé aux autorités belges en date du 29 mars 2004, présentèrent une demande en vue de la reprise en charge de Monsieur …, tout en sollicitant une réponse pour le 12 avril 2004 au plus tard.

Par arrêté du 19 avril 2004, le ministre de la Justice prorogea le placement de Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour une nouvelle durée maximum d’un mois à partir de la notification dudit arrêté dans l’attente de son éloignement du territoire luxembourgeois. Cet arrêté est basé sur les motifs suivants :

« Vu mon arrêté pris en date du 19 mars 2004 décidant du placement temporaire de l’intéressé ;

Considérant [que] l’intéressé est démuni de toute pièce d’identité et de voyage valable ;

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels ;

- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

Considérant qu’une demande [de] reprise en charge en vertu des dispositions du règlement no CE 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 a été adressée aux autorités belges en date du 29 mars 2004 ;

- qu’en attendant l’accord de reprise, l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ».

En date du 23 avril 2004, les autorités luxembourgeoises informèrent les autorités belges qu’elles considérèrent, en l’absence de réponse de leur part, que la demande de reprise en charge de Monsieur … avait été tacitement acceptée.

Le ministre de la Justice prit le même jour encore un arrêté de refus d’entrée et de séjour à l’encontre du demandeur.

Par requête déposée le 22 avril 2004, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de l’arrêté ministériel précité du 19 avril 2004.

En date du 26 avril 2004, la police judiciaire fut saisie en vue de l’organisation du transfert vers la Belgique de Monsieur ….

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.

l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre l’arrêté ministériel du 19 avril 2004. Le recours sous analyse est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur affirme que les conditions pour prononcer une mesure de placement ne seraient pas données en l’espèce, au motif que les démarches entreprises par le ministère de la Justice en vue de son éloignement seraient insuffisantes, alors qu’aucune circonstance de fait n’empêcherait son transfert vers la Belgique, d’autant plus que depuis le 12 avril 2004, la Belgique devrait être considérée comme ayant tacitement accepté cette reprise, conformément aux articles 16 et 20 (1) c) du règlement CE no. 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers, ci-après dénommé « le règlement », et que son transfert n’aurait toujours pas eu lieu.

Le demandeur relève ensuite l’absence de « nécessité absolue » justifiant la prorogation de la mesure de placement. En effet, il estime que la motivation de la décision de prorogation devrait être différente de la première décision au motif que la prorogation ne serait possible qu’en cas de « nécessité absolue ».

Il fait encore valoir que le fait, connu des autorités luxembourgeoises, qu’il serait entré sur le territoire luxembourgeois en provenance de la Belgique, aurait dû faciliter son refoulement sur base de la Convention Schengen et des accords de réadmission Bénélux.

Enfin, il estime que la mesure de placement constituerait une mesure disproportionnée, l’esprit de la loi du 28 mars 1972, ainsi que les travaux parlementaires étant à interpréter dans le sens que le pouvoir exécutif devrait mettre en place une structure spécifique et appropriée pour accueillir les personnes retenues dans l’attente de leur éloignement du pays.

Le délégué du gouvernement rétorque en premier lieu que les autorités luxembourgeoises auraient entrepris des diligences suffisantes en faisant valoir, eu égard à l’acceptation tacite de la reprise en charge de la part des autorités belges, que l’organisation matérielle du transfert aurait été initiée dans un délai raisonnable, soit le 26 avril 2004 et que le transfert devrait avoir lieu « dans les meilleurs délais ».

Il soutient ensuite que la condition de « nécessité absolue » aurait été remplie en l’espèce, au motif que le demandeur n’aurait pas informé les autorités luxembourgeoises de ce qu’il avait déjà déposé une demande d’asile en Belgique et en Allemagne, faits qui n’auraient été révélés que par l’enquête policière.

Enfin, en ce qui concerne le caractère disproportionné du placement au « Centre Pénitentiaire de Schrassig », le représentant étatique rétorque que le demandeur ne serait pas placé au Centre Pénitentiaire de Schrassig, mais au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, lequel aurait été à plusieurs reprises qualifié d’établissement approprié par le tribunal.

Il est constant en cause que le ministre de la Justice a sollicité en date du 29 mars 2004 la reprise en charge de Monsieur … auprès des autorités belges sur base de l’article 16 (1) du règlement en sollicitant une réponse pour le 12 avril 2004 au plus tard. Les autorités belges n’ayant pas fait connaître leur décision quant à la demande de reprise en charge dans le délai de deux semaines, il y a lieu de considérer conformément à l’article 20 paragraphe 1 c) du règlement que la demande de reprise en charge de Monsieur … a été tacitement acceptée à partir du 13 avril 2004.

En ce qui concerne l’absence de démarches suffisantes entreprises et plus particulièrement l’absence de « nécessité absolue » en résultant, pourtant nécessaire à la prorogation de la décision de placement, il appartient au tribunal d’analyser si le ministre de la Justice a pu se baser sur des circonstances permettant de justifier qu’une nécessité absolue rend la prorogation de la décision de placement inévitable (cf. trib. adm. 20 décembre 2002, n° 15747 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 276 et autres références y citées).

En effet l’article 15, paragraphe 2 de la loi prévisée du 28 mars 1972 dispose que « la décision de placement (…) peut, en cas de nécessité absolue, être reconduite par le ministre de la Justice à deux reprises, chaque fois pour la durée d’un mois ».

Le tribunal vérifie si l’autorité compétente a veillé à ce que toutes les mesures appropriées soient prises afin d’assurer un éloignement dans les meilleurs délais, en vue d’éviter que la décision de placement ne doive être prorogée, étant donné que la prorogation d’une mesure de placement doit rester exceptionnelle et ne peut être décidée que lorsque des circonstances particulièrement graves ou autrement justifiées la rendent nécessaire (cf. trib.

adm. 20 décembre 2002, n° 15735 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 276 et autres références y citées).

Force est de constater que le ministre de la Justice n’a informé que le 23 avril 2003 les autorités belges qu’il considérait la demande de reprise en charge du demandeur, présentée en date du 29 mars 2004 comme tacitement acceptée. Trois jours après, le 26 avril 2004, le ministère de la Justice a saisi la police judiciaire de l’organisation du transfert de Monsieur … vers la Belgique. Or, conformément à l’article 16 paragraphe 1 c) du règlement, la demande de reprise en charge aurait dû être considérée comme acceptée dès le 13 avril 2004, et l’administration n’apporte aucune explication justifiant ce délai important entre le moment de l’acceptation tacite de la demande de reprise en charge de la part des autorités belges, soit le 13 avril 2004, et le moment de la notification de cette acceptation tacite aux autorités belges le 23 avril 2004, soit dix jours pendant lesquels les modalités pratiques du transfert du demandeur auraient déjà pu être organisées.

Or, dans ces conditions, force est de constater que le demandeur reproche à bon droit au ministre de la Justice de ne pas avoir entrepris les démarches nécessaires et utiles qui auraient pu assurer un éloignement de sa personne dans les meilleurs délais, c’est-à-dire, de façon à écourter au maximum sa privation de liberté.

Il se dégage des considérations qui précèdent qu’à défaut d’avoir pris des mesures appropriées, le ministre de la Justice ne saurait se prévaloir d’une nécessité absolue pour justifier la décision de reconduction de la mesure de placement du demandeur querellée et la prorogation de la mesure de placement n’était pas justifiée.

Le recours est partant fondé sans qu’il y ait lieu d’analyser les autres moyens invoqués par le demandeur à l’appui de son recours.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare justifié ;

partant annule la décision ministérielle du 19 avril 2004 ordonnant la prorogation de la mesure de placement prise à l’égard de Monsieur … et ordonne sa mise en liberté ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 29 avril 2004 à 18.00 heures par le vice-président en présence de M. LEGILLE, greffier.

s. LEGILLE S. CAMPILL 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17947
Date de la décision : 29/04/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-04-29;17947 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award