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29/04/2004 | LUXEMBOURG | N°17372

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 avril 2004, 17372


Tribunal administratif N° 17372 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 décembre 2003 Audience publique du 29 avril 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17372 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 décembre 2003 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Bagdad (Iraq), de nationalité iraquienne, demeurant a

ctuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice inter...

Tribunal administratif N° 17372 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 décembre 2003 Audience publique du 29 avril 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17372 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 décembre 2003 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Bagdad (Iraq), de nationalité iraquienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 23 septembre 2003, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme étant non fondée, telle que cette décision a été confirmée par ledit ministre le 2 décembre 2003, suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 février 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

En date du 31 octobre 2001, Monsieur …, intercepté la veille par la police grand-

ducale à Remich, fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Lors de cette audition Monsieur … déclara être originaire du Caire, de nationalité égyptienne, et avoir résidé auparavant de façon illégale à Paris.

En date du 12 novembre 2002, Monsieur … introduisit par écrit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié en dates respectives des 28 novembre, 4 décembre 2002, 8 avril et 28 avril 2003.

Par décision du 23 septembre 2003, notifiée par lettre recommandée le 30 septembre 2003 et remise en mains propres le 6 novembre 2003, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations à la police grand-ducale que vous seriez né au Caire le 10/08/1972, que vous auriez séjourné illégalement en France depuis quatre ans, que vous y seriez venu en train, avec un passeport égyptien valable jusqu’au 30 octobre 2002.

Il résulte, par contre, de vos déclarations à l’agent du ministère de la Justice que vous auriez quitté votre pays d’origine, l’Iraq, en octobre 2002 pour aller d’abord en Turquie. De là, en compagnie de différents passeurs, vous seriez arrivé au Luxembourg, à Remich.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié par courrier daté du 12 novembre 2002.

Vous exposez que vous n’avez pas fait votre service militaire, car vous auriez été exempté étant fils unique.

Vous exposez dans votre audition datée du 28 novembre 2002 que vous auriez participé à des manifestations contre le régime. Ces manifestations auraient eu lieu spontanément et étaient organisées par un petit groupe d’amis d’université dont vous faisiez partie. Vous n’auriez cependant pas été membre d’un parti politique. La police se serait doutée de votre participation à ces manifestations mais sans pouvoir le prouver.

L’un de vos amis aurait été tué et la police vous aurait, cette fois-là, battu pour vous faire avouer votre participation aux manifestations. Vous n’auriez rien avoué. Vous précisez que trois jours avant votre sortie d’Iraq, un de vos camarades aurait été arrêté et que vous auriez craint qu’il ne donne la liste des manifestants.

Vous aviez aussi ajouté que votre père serait mort en 1996 dans des circonstances douteuses.

Finalement, vous aviez dit que l’Iraq était une dictature, que les musulmans n’y avaient pas le droit de fréquenter les non-musulmans et que vous étiez mal vu parce que votre femme, décédée en couches, était chrétienne.

Dans l’audition du 28 avril 2003, vous exposez que vous auriez été membre d’une organisation politique secrète appelée FRONT DE LIBERATION DE L’IRAQ. Vous y auriez été très actif. En effet, vous auriez été chargé de rédiger des tracts contre le régime de Saddam Hussein. Vous auriez été arrêté et torturé à plusieurs reprises, mais vous n’auriez jamais avoué votre participation à ce groupement. Vous précisez que, comme vous seriez ambidextre, vous auriez toujours rédigé les tracts à la main gauche et que personne n’aurait pu prouver que ces tracts étaient écrits de votre main.

Vous précisez que vous auriez été expulsé de la Faculté de Droit de l’Université de Bagdad alors que vous faisiez un doctorat. Vous auriez cependant obtenu auparavant la maîtrise en Droit et vous auriez exercé, avec succès, la profession d’avocat. Ce serait d’ailleurs à ce titre que vous auriez demandé une autopsie de votre père à sa mort, en 1997, ce qui vous aurait été refusé. Suite à la mort de celui-ci, votre famille et vous-même auriez été expulsé[s] de votre domicile, vos biens confisqués et vos avoirs bancaires gelés. Vous auriez été rayé du barreau et auriez dû vivre d’expédients. Vous précisez que votre père aurait été membre d’un parti politique clandestin dont vous ignorez le nom.

Finalement, vous dites qu’après votre mariage, en 1999, votre épouse, chrétienne, aurait subi des pressions pour se convertir à l’Islam. Elle serait morte en couches avant votre départ d’Iraq. Vous-même seriez en voie de conversion à la religion chrétienne.

Des précisions quant à votre réelle identité vous ont été demandées lors d’une audition le 4 décembre 2002 et vous avez affirmé avoir donné une adresse au Caire, après une demande de la police concernant d’éventuelles connaissances en Egypte. Vous niez connaître la langue française et avoir séjourné en France; vous ajoutez avoir mal compris les questions de la police.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il y a d’abord lieu de relever les nombreuses contradictions qui émaillent vos récits, que celles-ci concernent votre identité, vos activités « politiques » et même le décès de votre père qui se situe une fois en 1996 et une fois en 1997.

La principale contradiction concerne votre identité. Vous avez écrit vous-même, en annexe au procès-verbal du service de police judiciaire du 31 octobre 2002 « Prénom : S…, Nom : A…, date de naissance : …, Lieu : Le Caire ». Par contre, dans le questionnaire de la police grand-ducale que vous avez rempli le 30 octobre 2002 vous mentionnez vous appeler K…, être né à Bagdad et avoir la nationalité iraquienne. Par la suite, le nom de « K… » s’est avéré être « … ». La seule pièce que vous versez au dossier, une copie d’un certificat de scolarité de l’Université de Bagdad, mentionne le nom E…..

En ce qui concerne ensuite vos activités au sein du FRONT DE LIBERATION DE L’IRAQ, elles sont également sujettes à caution. Votre facilité à écrire aussi lisiblement à la main gauche qu’à la main droite a été mise à mal par un test d’écriture à la main gauche qui a prouvé l’illisibilité du texte ainsi rédigé.

Quant à votre conversion à l’Islam [sic], elle n’en est encore qu’à l’état de projet, comme cela résulte de vos déclarations à la police en février 2003, suite à la plainte que vous avez déposée contre Fatah LAKROUF.

Je constate donc qu’il est impossible d’ajouter foi à votre récit car les explications que vous avez données quant aux contradictions relevées ne sont pas plus crédibles que le reste de votre récit.

Pour le surplus, il convient de relever que la situation a profondément changé en Iraq. Le régime de Saddam Hussein est tombé suite à la guerre entamée par les troupes américaines et leurs alliés. Les dirigeants de l’ancien régime ne sont plus en place et les forces des Etats Unis sont en train d’installer un régime de transition pluriconfessionnel.

Les opposants à l’ancien régime ne risquent plus de poursuites par les membres du gouvernement de Saddam Hussein.

Il résulte de ce qui précède que votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Le 3 novembre 2003, Monsieur … formula, par le biais de son mandataire, un recours gracieux auprès du ministre de la Justice à l’encontre de cette décision ministérielle.

Le 2 décembre 2003, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale, « à défaut d’éléments pertinents nouveaux ».

Le 29 décembre 2003, Monsieur … a introduit un recours en réformation contre les décisions ministérielles de refus des 23 septembre et 2 décembre 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées.

Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, le demandeur fait exposer qu’il aurait quitté l’Iraq en raison de son opposition au régime de Saddam Hussein, régime sous lequel son père serait décédé dans des conditions suspectes et qui aurait procédé à l’expropriation des biens de sa famille ainsi qu’à la « destitution » de son titre d’avocat. Le demandeur expose plus particulièrement qu’il aurait participé en tant qu’étudiant à des manifestations contre le régime en place, qu’il aurait encore été renvoyé de l’Université en raison de sa participation à ces manifestations et qu’il aurait intégré par la suite un mouvement d’opposition clandestin appelé « Front de Libération de l’Iraq » pour lequel il aurait distribué des tracts. En raison de son activisme politique, il aurait été arrêté à plusieurs reprises par la police et torturé afin d’avouer son idéologie contraire à celle du pouvoir en place. Finalement, le demandeur fait encore état de sa conversion au christianisme qui empêcherait tout retour vers l’Iraq où pareille conversion serait sanctionnée par la lapidation. Dans ce contexte, Monsieur … signale encore qu’il aurait été menacé de mort par un dénommé F.L. au Luxembourg qui lui aurait précisément reproché ce changement de religion.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice, au vu des nombreuses contradictions contenues dans le récit du demandeur, aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions devant la police grand-ducale et l’agent du ministère de la Justice, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, la crédibilité et la véracité du récit du demandeur sont sérieusement ébranlées par le fait que Monsieur … n’a pas présenté sa demande d’asile spontanément après son arrivée au Luxembourg, mais seulement après avoir été placé au Centre de séjour pour étrangers en situation irrégulière, et par les contradictions et fausses déclarations exhaustivement relevées par le ministre dans sa décision initiale, contradictions ayant plus précisément trait à son identité et à un séjour antérieur en France, de même qu’à la date de décès de son père et à la réalité de ses activités politiques.

Dans ce contexte, l’explication donnée à l’heure actuelle par le demandeur quant à ces incohérences et tirée d’une maîtrise approximative de la langue italienne est peu crédible, étant donné qu’il ressort d’une note du directeur du service de police judiciaire du 2 décembre 2002 à l’adresse du ministère de la Justice que le demandeur parle couramment la langue italienne.

Finalement, le tribunal ne saurait prendre en considération la conversion récente du demandeur à la religion chrétienne et les prétendues menaces de mort de la part du dénommé F.L., étant donné que lesdits faits sont sans la moindre relation avec le départ du demandeur d’Iraq et ne sauraient partant constituer un acte de persécution des autorités centrales de son pays d’origine, indépendamment de la considération que le régime politique à la base des prétendues persécutions de Monsieur … a été renversé.

Or, à la lumière de cet état de chose et compte tenu du défaut d’un quelconque élément de preuve tangible relativement à des persécutions concrètes que le demandeur a subi ou des risques réels afférents, le récit du demandeur n’est pas de nature à dégager dans son chef l’existence d’un risque réel de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 29 avril 2004, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 7


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17372
Date de la décision : 29/04/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-04-29;17372 ?

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